Modélisation de la CompleXité
Programme européen MCX
"Modélisation de la CompleXité"

Association pour la Pensée Complexe
Association pour la Pensée Complexe
 

Note de lecture

Rédigée par J.L. Le Moigne sur l'ouvrage de BOUGNOUX Daniel :
« La Communication contre l'Information »
     Ed. Hachette Livre (Collection "Questions de Sociétés"). Paris, 1995. 142 pages.

La communication "contient" l'information aux deux sens du verbe "contenir" : elle la retient captive, l'empêchant de déborder et même de circuler ; et elle en est le contenant, le véhicule, rendant possible son activité et même son émergence. C'est à explorer ce paradoxe de la "contention" de la communication que Daniel Bougnoux (qui avait déjà publié "La communication par la bande", Ed. La Découverte, 1991) va s'attacher, en nous interrogeant sur la nature même de son petit essai : est-il ce medium contemporain de la communication, comme semble le suggérrer la collection "Grand public" qui le publie ? Ou est-il traité des nouvelles sciences de la communication, comme le laisse penser la réputation de son auteur, Professeur de sciences de la communication à l'Université de Grenoble III (et éditeur en particulier des "Textes essentiels en sciences de l'information et de la communication", Larousse 1993), dont on a déjà souligné l'exceptionnelle richesse : cf. La Lette MCX n- 17, 1993. Contient-il l'information au sens où il la borne, la réduit, la limite ? On peut le craindre si l'on s'en tient à la définition bien restrictive qu'il en propose : "Nous appelons information le message qui s'en tient aux faits, nettoyé de rhétorique autant que de convenances, de prévenances ou de connivences" (p. 37). Comme si "un fait n'était pas déjà une théorie" (Kant) et comme si ce n'était pas un exercice de rhétorique exemplaire que d'affirmer que l'énoncé est "nettoyé de rhétorique" ! Si la rhétorique est la science de l'argumentation, l'information, qui ne s'entend que dans une argumentation raisonnée, peut-elle s'en débarasser dès lors qu'elle doit s'exposer ? Certes cette définition suggère-t-elle plus une intention qu'une contention, et D. Bougnoux va l'interpréter de façon très convaincante et illustrée avec vivacité (pour des lecteurs français au fait de l'actualité médiatique contemporaine) dans les deux chapitres qu'il consacre au primat et aux stratégies de la communication contemporaine. Son propos là n'est pas tant de théoriser information et communication que de proposer au citoyen les repères d'un recul suffisant pour rester intelligent dans la pression médiatique contemporaine. Ce qui lui permettra de conclure que ce "surcroît de communication" peut être aussi, si nous le voulons, "chance de l'information", une information citoyenne dans un "espace public enfin réalisé".

D. Bougnoux n'aurait-il pu poursuivre sa méditation plus avant, s'interrogeant sur l'étonnante complexité de cette interaction "Information-Cornmunication-Computation" qui fonde l'organisation et qu'Edgar Morin a placée au coeur de "La Méthode" et de "la Pensée Complexe". J'ai été surpris qu'il ne s'y réfère pas, s'arrêtant me semble-t-il sur le seuil d'une réflexion épistémologique dont la "Médiologie" à laquelle il se réfère, a tant besoin (Réflexion épistémologique à laquelle il a si bien contribué ailleurs dans son "Textes Essentiels"). Les quelques pages qu'il consacre au malaise de la communication des scientifiques dans les médias par exemple, lui suggérait pourtant l'opportunité de ce type de discussion : n'est-ce pas la "funeste réduction positiviste" du discours scientifique médiaté qui éclaire le mieux aujourd'hui ce malaise ?

Mais on risque en poursuivant, de faire un mauvais procès à ce petit ouvrage qui n'ambitionnait pas un retour aux fondements épistémologiques, et qui propose une sortede désacralisation culturelle de la communication dont le citoyen -fut-il scientifique- a bien besoin.


J.L. Le Moigne

Fiche mise en ligne le 12/02/2003


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