Modélisation de la CompleXité
Programme européen MCX
"Modélisation de la CompleXité"

Association pour la Pensée Complexe
Association pour la Pensée Complexe
 

Note de lecture

Rédigée par J.L. Le Moigne sur l'ouvrage de CHARUE-DUBOC Florence (Ed.) :
« Des savoirs en action. Contribution à la recherche en gestion »
     Ed. L'Harmattan. Paris 1995. 294 pages.

"Savoirs en action", mais aussi savoirs pour l'action et actions pour savoir, peut-être même actions auto-productrices des savoirs singuliers qui les suscitent... Bien des facettes de l'ancestrale confrontation du savoir et du faire, du rhéteur et de l'acteur, semblent s'éclairer dès que l'on s'attache à l'examen de ces productions d'énoncés enseignables que veulent assurer les recherches en sciences de gestion. Le Centre de Recherche en Gestion de l'École Polytechnique, riche de son expérience et de sa notoriété, s'est attaché à colliger quelques unes de ses études récentes, choisies aussi diverses que possible dans leurs thèmes et dans leurs méthodes, pour tenter de mettre en valeur quelques unes de ces interactions du savoir et du faire qui devraient éclairer notre intelligence dans l'action collective ; ce qui nous vaut un recueil d'articles intéressant et souvent original, plus juxtaposé que relié par le thème fédérateur un peu trop lâche que l'on s'est ici proposé. Sans doute parce que l'action comme la connaissance ne nous sont intelligibles que par rapport à quelques projets, eux-mêmes en permanente transformation,... et que l'inattention délibérée à ce caractère téléologique du savoir et du faire ne permet pas de révéler le lien et le liant qui font "sentir" cette ineffable correspondance d'épistémè et de Pragmatiké. La réflexion épistémologique sous-jacente au projet de ce recueil y est trop souvent révélée par "le faire" plutôt que par "le dire" (pour reprendre la très intéressante distinction que J. Girin développe en conclusion, mais qu'il n'applique pas à ce livre qui se veut pourtant savoir en action, et donc conjonction du dire et du faire) ; et l'effort demandé au lecteur enquête d'évaluation des savoirs engendrés par la recherche en gestion est peut-être trop grand. Si le savoir est dans l'action ("Labourez, prenez de la peine..."), pourquoi ne pas le dire ? Et s'il s'en sépare, pourquoi ne pas le montrer, dans sa positivité scientifique ? Sans doute parce que cette interaction du savoir et du faire est infiniment plus complexe et décidément irréductible à nos schémas quasi scientistes hérités d'Auguste Comte, nous objecteront les auteurs : réponse pertinente, et courageuse si l'on se souvient qu'ils pratiquent à l'École Polytechnique ! Considérons alors leur recueil comme une contribution significative du "programme de recherche esquissé (qui se donne) pour objectif de théoriser l'entreprise "intelligente"" (p. 23). Un objectif bien peu positiviste, ce dont on ne peut que se féliciter. Une allusion de J. Girin dans son avant-propos mérite à ce propos d'être soulignée : "... Une partie de nos recherches actuelles marquent une inflexion par rapport d des travaux plus anciens. Après nous êtreintéressés à démontrer que les acteurs étaient, dans une très large mesure, déterminés dans leurs comportements par les conditions dans lesquelles ils étaient placés,... nous avons commencé à nous intéresser avec plus d'attention au "résidu", c'est-à-dire à la part d'inventivité, de créativité, d'adaptabilité de ces memes acteurs..." (p. 8). Peut-être conviendra-t-on, dans un prochain recueil, que ce "résidu" est le noyau épistémique des multiples formes d'action collective qu'expriment nos organisations ?


J.L. Le Moigne

Fiche mise en ligne le 12/02/2003


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