Modélisation de la CompleXité
Programme européen MCX
"Modélisation de la CompleXité"

Association pour la Pensée Complexe
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Note de lecture

Rédigée par J.-L. Le Moigne sur l'ouvrage de DE CARLO Laurence :
« Gestion de la ville et démocratie locale »
     Ed. L'Harmattan, Paris, 1996. 284 pages.

"Une démocratie authentique peut-elle exister sans un changement de notre relation au savoir ?" (p. 22). En acceptant d'emblée ce type de question habituellement tenue pour incongrue lorsqu'on s'intéresse aux problèmes les plus concrets de l'action collective (ici la gestion de la ville, et plus précisément, un projet de gestion des déchets par la ville de Montréal en 1992, projet impliquant des engagements lourds pour une vingtaine d'années), L. de Carlo va intéresser -et, je l'espère, passionner- les citoyens autant que les scientifiques. Le titre de son ouvrage est sans doute un peu trop ambitieux, mais dès les premières pages, son lecteur est informé : il s'agit, et il ne s'agit que, d'une étude attentive d'un processus de consultation publique à Montréal, en 1991-92. Un cas particulier, dans un contexte culturel et politique spécifique, visant seulement à rendre compte de l'effectivité locale d'une procédure somme toute "classique" dans le cadre d'une décision d'action collective perçue complexe et irréversible ; et non pas un exercice d'ingénierie socio-économique innovante susceptible de renouveler les modes de gestion démocratique des complexes urbains. Comme par ailleurs, L. de Carlo semble conclure qu'une procédure de consultation publique relativement effective au Québec ne devrait pas l'être en France pour des raisons culturelles classiques (les Québécois ne sont pas victimes des traditions du corps des ingénieurs des Ponts !), le lecteur risquerait même d'être déçu s'il demandait à cet ouvrage une recette clef en main pour assurer une gestion démocratique de sa ville ! Mais l'intéressant ici n'est pas dans le résultat ; il est dans le processus. Au lieu de partir de la démarche administrative et technique que pratiquent si volontiers les tenants français du génie urbain (un problème ? : cahier des charges, consultation d'entreprise, détermination du "mieux-disant"... la solution !), L. de Carlo part de la problématique de la participation des citoyens aux décisions publiques (chapitre 1) et s'attache longuement à développer un cadre conceptuel et méthodologique pour modéliser les processus de consultation publique (chapitre 2) : cadre qu'elle établit en puisant dans le corpus contemporain de la modélisation systémique (qu'elle appelle "renouvelée", sans doute pour la démarquer de la modélisation cybernétique ?) : sa lecture attentive d'E. Morin et d'Y. Barel, plus maladroite d'H.A. Simon, lui permet de camper un cadre bien argumenté et ouvert, qui va s'avérer pertinent pour la modélisation de tout processus de gestion en situation perçue complexe. La "théorie des processus de consultation publique" (chapitre 3) qu'elle en infère me semble insuffisamment matricielle (un modèle "pentagonal" qui deviendra "hexagonal" après l'étude de terrain !), nous privant des ressources proprement ingénieriales qu'aurait pu lui permettre le cadre conceptuel de départ. Mais l'important, tant pour les citoyens que pour les modélisateurs, tient dans les processus d"'apprenance" de l'action collective : les schémas théoriques mis en oeuvre permettent de les mettre en évidence, de repérer quelques conditions de leur développement et d'interpréter certaines situations de "blocages". La scrupuleuse observation "sur le terrain" à laquelle L. de Carlo se livre (chap. 4 et 5) permet de donner à son propos un tour souvent "concret" qui stimule l'intelligence créatrice de son lecteur : ouverture que j'attribue au cadre conceptuel systémique ouvert qu'elle s'est attachée à construire d'emblée : on ne sépare pas aisément dans l'action le faire et le savoir, ce qui doit nous inciter à ne pas nous satisfaire de savoirs réducteurs pour élaborer nos faire !

Peut-être aurait-elle dû soigner davantage sa "conclusion", qui semble un peu légère après les perspectives épistémologiques qu'ouvrait la première partie ? Elle nous annonçait "un regard enjoué et malicieux" (p. 13), mais la prudence académique a dû reprendre le dessus au fil de l'écriture : à défaut de malice, le lecteur trouvera l'enthousiasme civique et scientifique des jeunes chercheurs attentifs à leur culture épistémologique... N'est-ce pas l'essentiel ?


J.-L. Le Moigne

Fiche mise en ligne le 12/02/2003


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