Modélisation de la CompleXité
Programme européen MCX
"Modélisation de la CompleXité"

Association pour la Pensée Complexe
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Note de lecture

Rédigée par J.-L. Le Moigne. sur l'ouvrage de LERBET-SERENI Frédérique :
« Les régulations de la relation pédagogique »
     Ed. L'Harmattan. Paris 1997. 217 pages.

André de Peretti, son brillant préfacier, dit de cette étude systémique de la complexe relation pédagogique, qu'elle nous apporte "quelques fils d'Ariane pour nous mouvoir dans le labyrinthe indéfini du petit monde scolaire". Cette image du fil d'Ariane pour explorer les "labyrinthes indéfinis" que sont les situations que nous percevons complexes, me semble fort bien décrire les démarches tâtonnantes de la modélisation systémique ; l'exercice qu'en propose ici F. Lerbet-Séréni ayant le grand mérite de rendre visible, presque palpable, la conception et l'usage de ce fil d'Ariane dans le cadre familier du "petit monde scolaire" et plus directement de cette fascinante relation dite pédagogique qui associe dans un lycée ou une école, pendant toute une année, un enseignant et "une classe". Je présume que tous les professionnels de l'enseignement, enseignants, conseillers, proviseurs, délégués des élèves et des parents, inspecteurs même, s'intéresseront à cette démarche et discuteront des propositions "ingéniérisant les acquis théoriques... pour les exprimer en termes opérationnels" (p. 79) que propose la deuxième partie du livre. ("Pour une relation pédagogique opérationnelle"). Il faut sans doute vivre une expérience quotidienne de cette "relation pédagogique" pour intervenir avec assez d'attention dans ces "opérations qui ne sont intelligibles que dans leur contexte mouvant. Mais je peux dire combien la première partie de cette étude, modestement intitulée "Repérages" m'a semblé fort solidement argumentée, documentée, articulée : la mise en perspective épistémologique des principaux concepts que les sciences des systèmes et de la complexité apportent aujourd'hui aux sciences de l'homme et de la société sont à la fois "repérés" et interprétés dans le contexte général des sciences de l'éducation ; lesquelles, en retour, relancent une discussion épistémologique originale, ne se satisfaisant pas d'une "application" des concepts forgés ailleurs. L'enchevêtrement des relations entre savoirs, et des relations entre enseignants et enseignés, révèle des formes de complexité "triadiques" que nous ne savions pas appréhender (F. Lerbet-Séréni introduit le concept heureux d'"Inter-trans-co-action", restaurant en particulier le rôle de la co-action dans la relation pédagogique ("Je ne sais pas, cherchons ensemble"). André de Peretti, dans la très riche préface qu'il a rédigée pour ce livre met fort bien en valeur cette originalité. Plutôt que de le paraphraser maladroitement, je préfère inviter les lecteurs pensifs à le lire dans sa version originale. Pourquoi me faudrait-il dé-réguler une si belle et si complexe "relation pédagogique", celle qui associe réflexivement le lecteur et l'auteur ?

L'attention que F. Lerbet-Sérini attache aux réflexions des psychothérapeutes systémiciens (et en particulier ici à celles de Philippe Caillé) m'incite à souligner un phénomène qui mérite peut-être qu'on y prête attention dans l'évolution de la culture scientifique contemporaine : ce sont de plus en plus les "nouvelles sciences de l'homme" (sciences de la communication, de l'éducation, de la cognition...) qui, assumant la complexité de leur projet, s'astreignent, et nous invitent avec une insistance de plus en plus forte, à des méditations épistémologiques obstinées. Ces interpellations et ces contributions tâtonnantes sont je crois une opportunité exceptionnelle pour une "science en crise" qui ne s'intéresse peut-être plus assez à sa propre légitimité et aux fondements sur lesquels elle assure les savoirs qu'elle veut livrer à la société. Ces nouveaux questionnements ne sont-ils pas les mêmes que ceux que l'on entend à l'autre "extrémité" (mais est-ce le bon mot ?) du spectre des disciplines scientifiques, en lisant l'étude que M. Mugur-Schächter consacrait il y a peu aux "leçons de la mécanique quantique" ? ("Vers une épistémologie formelle", Le Débat, mars 1997, n° 94, p. 169-192). "La pensée "systémique" met en évidence l'importance décisive... des "conceptions" induites par des buts subjectifs qu'on place dans le futur, mais qui façonnent les actions présentes... (lesquelles)... en se développant, modifient les buts..." Cette "dynamique complexe" n'est-elle pas, elle aussi au coeur de la relation pédagogique... dès lors qu'elle ne veut plus "exclure le tiers".

J.-L. Le Moigne.

Fiche mise en ligne le 12/02/2003


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