Modélisation de la CompleXité
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"Modélisation de la CompleXité"

Association pour la Pensée Complexe
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Note de lecture

Rédigée par Georges Lerbet sur l'ouvrage de SALLABERRY :
« Groupe, création et alternance »
     Paris, L’Harmattan, 1998, collection "Cognition et formation", 228 pages.

Cet ouvrage est le deuxième volet d’un triptyque que Jean-Claude Sallaberry se propose de consacrer à sa théorisation des représentations.

Le lecteur attentif à cette modélisation retient que, en s’appuyant sur ses travaux de terrain en tant que didacticien des sciences physiques, l’auteur considère que l’on peut repérer au moins deux formes de représentations.

Les plus proches du concret (R1) sont caractérisées par des bords flous et elles reposent sur un ancrage puissant dans le domaine des observables relativement peu distanciés opératoirement par le sujet connaissant ; ce sont des représentations-images.

Les secondes (R2) alimentent par un "affinement des bords", un niveau de cognition plus abstrait fécondant (et fécondé par) des démarches à vocation très rationnelle. Au-delà de ces repérages, JCS conjecture désormais aussi ce qu’il nomme des représentations R3 qui correspondent à des "coordinations actives de R1 et R2". Ce nouvel outillage théorique traduit l’accès à (ou la construction de) modélisations qui marquent un élargissement du champ cognitif et visent à fonder l’ambition intellectuelle de faire de la représentation le concept central d’une modélisation du psychisme.

C’est en reprenant un corpus déjà ancien sur la dynamique d’un groupe de formation dit du "bébé ambivalent", développée dans six séances d’atelier-création que J.C. Sallaberry s’efforce de fonder le concept de représentations dominantes à l’intérieur des groupes. En effet, il est ici question de représentations si communes aux membres d’un groupe que l’on ne saurait les attribuer électivement à l’un d’entre eux. Tout se passerait donc comme si dans de telles circonstances, la parole émise par un sujet pouvait s’entendre comme étant la parole du groupe tout entier, comme si à l’instar de l’hypothèse d’Esriel sur la résonance des fantasmes, les représentations pouvaient entrer en résonance comme par impression d’un accord entre les partenaires.

L’hypothèse est intéressante, mais aussi audacieuse. Elle repose sur l’idée selon laquelle, qu’on le veuille ou non, l’individu peut se dissoudre ou plutôt, selon la réflexion de J.C. Sallaberry, "se sentir immergé" dans le groupe au point que sa cognition représentative devient commune à tous. Il nous paraît bien cependant qu’ici Jean-Claude Sallaberry fait un peu vite la part belle à ce que peut être le "self" qui joue un rôle éminent dans l’autonomie de chacun. A lui de nous aider à méditer sur cela dans le troisième ouvrage que nous attendons avec impatience.

C’est aussi dans un autre ouvrage que nous attendons l’approfondissement d’un point de celui-ci, point qui vaut méditation. Cela concerne le moment où Jean-Claude Sallaberry va plus loin dans sa théorie des représentations. Jusqu'à présent, il avait surtout fait de sa théorie une théorie du sujet cognitif. Certes, il avait également induit combien ce discours théorique de l’ordre de la complexité, favorisait une lecture intéressante et nouvelle de la théorie de l’institution, en insistant sur l’importance générale qu’il convient d’accorder à la coémergence élément-forme ; ce qui concourt à faire du sujet cognitif un sujet social selon une sorte de nécessité existentielle.

En revenant, sur des travaux de Piaget concernant l’emboîtement de formes de la logique, nous nous rappelons que chaque élément est "un contenu pour l’inférieur et une forme pour le supérieur". Autrement dit, dans une hiérarchie structurelle en abstraction, se dégage une succession vers le plus abstrait, qui emboîte contenu -> élément ->forme.

Entendre évoquer par Sallaberry l’idée de co-émergence élément-forme, me fait irrésistiblement penser que derrière cette intuition du résultat de la réflexion théorique, se trouve un modèle d’organisation cognitive selon lequel s’emboîtent deux hiérarchies enchevêtrées propres au sujet dans ses rapports à l’institution. En tant que sujet cognitif, il donne forme à sa place dans l’institution qui n’est alors qu’un élément de sa connaissance. En revanche, en tant que sujet social, il ne vaut que comme élément de la dite institution.

Si J.C. Sallaberry a pu prétendre, à mon avis à juste titre, à une coémergence des deux, il faut voir là plusieurs significations.

- Intrinsèquement au sujet autonome, on peut penser que la co-émergence témoigne d’une oscillation de deux niveaux où vie cognitive et vie sociale sont entremêlées.

- Pour l’observateur, la coémergence traduit une prise en considération opérationnelle de deux domaines dans la recherche (le sujet et l’institution) et de la reconnaissance de leur appréhension conjointe.

- Mais surtout, chez le chercheur, la prise en considération théorique de cette coémergence élément-forme implique l’éveil à la pensée complexe par la construction plus ou moins explicite d’un modèle "recadrant" qui dépasse en abstraction les deux autres points de vue (celui du sujet et celui de l’observateur institutionnel) et qui permet d’éviter qu’on les traite de façon trop disjointe, mais au contraire dans leur interactivité.

Hormis cet intéressant questionnement très fondamental à mes yeux, la grande richesse de ce livre est aussi d’ordre éducatif. L’usage que fait JCS de l’idée d’alternance - qui sert aussi à valider son hypothèse précédente -, le conduit à concevoir l’alternance ultra brève. Il y a là une piste qui vaudra d’être développée. Sans aucun doute l’auteur et son équipe de recherche universitaire y contribueront avec bonheur dans leurs travaux à venir.

Georges Lerbet

Fiche mise en ligne le 12/02/2003


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