Modélisation de la CompleXité
Programme européen MCX
"Modélisation de la CompleXité"

Association pour la Pensée Complexe
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Note de lecture

Rédigée par D. Violet sur l'ouvrage de BOLLE de BAL Marcel :
« Wegimont ou le château des relations humaines »
     Ed. PIE Bruxelles, 1998, ISBN

Quelles que soit la ou les disciplines concernées, la recherche et les chercheurs se rattachent fréquemment à des repères topographiques. Ces repères deviennent quelquefois des lieux mythiques, tant pour ceux qui les investissent que pour ceux qui n’ont accès qu’aux ouvrages qui relatent les ambiances et les travaux. Dans le domaines des sciences humaines, et plus particulièrement en psychologie cognitive, ce fut par exemple le cas pour Genève avec les symposiums organisés par Piaget. En psychothérapie systémique, et plus justement dans le domaine de la communication, la renommée de l’école de Palo Alto est si puissante qu’elle occulte presque la référence à l’œuvre de G. Bateson, véritable fondateur du collège " invisible ".

Inutile de poursuivre les exemples pour comprendre que si les sciences tendent vers l’universel, elles sont aussi attachées à la singularité spatio-temporelle dans laquelle elle développent leur originalité conceptuelle, méthodologique, épistémologique. Si l’on en juge au travers de la superbe barbe " ébouriffée " de Marcel Bolle de Bal, le château de Wégimont ferait dorénavant partie de ces lieux mythiques dans lesquels les séminaires de recherches prennent une dimension magique. La magie du lieu, Marcel Bolle de bal tente de nous la faire passer dès les premières pages son ouvrage : " Wégimont, mythe, fantasme et réalité, recèle en son sein des trésors cachés qui ne demandent qu’à être découverts… " (p. 18). Le lecteur passionné entre progressivement et virtuellement dans un château où l’ambiance ordinaire semble propice à la " transcendance " intellectuelle et sociale. Tout se passerait alors là-bas comme si la fulgurance de l’esprit imaginaire, c’est-à-dire le muthos des grecs, n’était pas insensible à la masse topologique que constitue le château de Wégimont.

C’est dans le cadre d’une formation psychosociologique aux métiers du commerce et de la gestion et à ceux de l’économie que M. Bolle de Bal a organisé les séminaires de Wégimont. Dans la mesure où l’un des objectifs de ces séminaires consiste globalement à favoriser l’articulation entre pratiques et théories, on peut dire que l’alternance fait partie de la méthodologie de formation. Du point de vue de l’accompagnement des groupes et des personnes en formation, Marcel Bolle de Bal se réfère directement à la non-directivité rogérienne. Comme André de Peretti l’a pointé ailleurs, MBDB s’appuie sur Max Pagès pour souligner le caractère paradoxal de la non-directivité dans les pragmatiques de formation. Parmi les six paradoxes dévoilés au lecteur, le premier me semble majeur dans la mesure où il insiste sur la mise en valeur de soi et d’autrui dans les relations humaines : " pour valoriser autrui, l’essentiel est de se valoriser soi "(p. 87). Une telle interprétation de la non-directivité repose de façon inéluctable la question des réticences qui ont émergé en France, et peut-être plus largement en Europe, à l’encontre de la méthodologie rogérienne. En effet, on aurait pu penser que la non-directivité supposait que le pédagogue s’efface pour valoriser son élève et le laisser s’exprimer. En y regardant de plus près avec la loupe du paradoxe, on peut effectivement concevoir que c’est en se mettant en valeur lui-même, en se dépassant lui-même, que le maître va valoriser l’élève et ainsi lui permettre de se dépasser. Sur cette base, peut-on accepter que ce serait en développant toute son énergie, tout son savoir, toutes ses références…, que le pédagogue respecterait pleinement le principe de " considération positive inconditionnelle " à l’égard de son élève ? Vu sous cet angle, l’accompagnement rogérien contiendrait donc assez peu l’intention de se mettre au niveau de celui qu’on accompagne. Dès lors, la complexité des relations humaines, entre un animateur et des personnes en formation par exemple, mérite d’être interrogée à la lumière des liens et séparations, de la " reliance " et de la " déliance ", pour reprendre la terminologie de MBDB.

En choisissant le Château de Wégimont, MBDB a apparemment fait et réussi le pari selon lequel ce lieu isolé serait une " aire transitionnelle "(p.168) favorable à la " déliance " et à la " reliance ". Mais il ne lui a pas suffit de choisir un lieu pour que le pari se réalise. MBDB s’applique à souligner la rigueur méthodique avec laquelle les séminaires ont été conçus. Il aide ainsi à mieux comprendre comment, de façon paradoxale, on peut comprendre que c’est avec de nombreuses règles et contraintes que l’autonomie advient.

En guise conclusion à son ouvrage, MBDB invite le lecteur à concevoir que la magie des séminaires de Wégimont réside simplement dans le fait que les étudiants en gestion s’initient à ne pas disjoindre " la raison sensible ", pour dire comme Maffesoli, de préoccupations plus techniques : " …notre séminaire ne vise-t-il pas à réintroduire un peu de ce qui fait le succès économique des japonais – la reliance, l’émotionnel et l’affectif, le sens de l’ambiguïté, de l’ambivalence et des paradoxes – dans le langage culturel de nos étudiants, futurs cadres de nos entreprises… " (p. 332).

Au delà de la formation des cadres de nos entreprises, la perspective de MBDB permet de nous interroger sur la problématique de l’éducation. A l’évidence, on peut s’attendre à ce que l’introduction de l’ambivalence, des paradoxes,…et d’autres conceptions peu rationalistes se confronte à la philosophie positiviste souvent dominante dans les institutions éducatives. Au demeurant, la lecture du livre de M. Bolle de bal nous encourage à faire le pari que la confrontation et l’opposition font partie des enjeux du changement pour une éducation du citoyen.

D. Violet

Fiche mise en ligne le 12/02/2003


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