Modélisation de la CompleXité
Programme européen MCX
"Modélisation de la CompleXité"

Association pour la Pensée Complexe
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Note de lecture

Rédigée par agressivité verbale. sur l'ouvrage de HOOKWAY Christopher :
« Quine »
     Traduit de l'anglais (original 1988) par J. Colson, 1992, 254 p.

Depuis un demi-siècle, la pensée du logicien et philosophe de Harvard, W. Quine (né en 1908), semble constituer la référence quasi inévitable de toutes les réflexions épistémologiques de qualité qui se succèdent au USA. Récemment encore, par exemple, H.A. Simon m'écrivait : "Lorsque je me définis moi-même comme un positiviste, j'ai à l'esprit une position du genre de celle proposée par Ayer dans son célèbre "Langage, truth and Logic", position peut-être un peu nuancée par quelques précisions"quinéene"."Empiriste" serait peut-étre la label le plus précis" (repris dans ma note de lecture de "Models of my life", dans R. Internationale de Systémique, vol. 5, N°4, 1992, p. 608). Mes efforts pour explorer plus soigneusement l'oeuvre du Maître de Harvard avaient été j'en conviens, découragés il y a quelque dix ans par la lecture de l'essai quelque peu auto-hagiographique du : "Thomiste" de stricte observance Jean Largeault : "Quine, questions de mots, questions de faits" (Privat, 1980) : A trop se servir de Quine au service de "sa" (J. Largeault) philosophie naturelle), sur un mode polémique le "critique" dissuadait le lecteur "naïf" que j'étais, plus volontiers constructiviste et nominaliste que naturaliste et positiviste, d'approfondir plus avant un auteur que je percevais plus censeur académique qu'attentif à la complexité du monde. L'insistance des épistémologues anglo-saxons pourtant me servait de signal : cette inattention à la pensée du Quine n'était-elle pas coupable ? La récente traduction d'un essai du philosophe britannique C. Hookway consacré à Quine me donne l'occasion bienvenue d'un réexamen que je craignais urgent.

"La réflexion de Quine (ne) forme (t-elle) pas l'arrière plan d'une bonne part de la philosophie analytique récente (?). De nombreux philosophes qui n'épousent pas les idées de Quine n'en articulent pas moins leur réflexion en réponse à la sienne" rappelle en effet C. Hookway. D'où l'intérêt de son essai pour "documenter" nos réflexions épistémologiques contemporaines (même s'il est parfois un peu bref sur "le paradigme cartésien" p. 209 ou sur "le positivisme et l'épistémologie", p. 212). Je crains, en reprenant quelques lignes de sa conclusion (qui m'a paru convainquante) de dissuader le lecteur potentiel de se livrer au même exercice. Et pourtant, ce n'est que parce que j'ai lu ces 250 pages que cette conclusion me semble pertinente aujourd'hui : "Nous avons enfin comparé deux ambitions possibles de la philosophie : découvrir ce qui, en dernière analyse, constitue le monde (l'ambition de Quine) et d'autre part, nous permettre de comprendre notre expérience du monde et notre action... Si ces comparaisons sont une "réponse" à ce que propose Quine, c'est en indiquant la possibilité d'une perspective philosophique autre que la sienne... Il me semble en fait que l'importance des travaux de Quine tient au fait qu'il a apporté à l'étude de l'empirisme physicaliste plus de profondeur et de rigueur que n'importe quel autre philosophe post positiviste. Aux yeux de beaucoup, son entreprise nous aura permis de voir ce que cet empirisme a d'imparfait" (p. 247). Ce n'est pas tant l'imperfection de son empirisme que l'arrogance de son physicalisme qui me semble aujourd'hui révéler les limites des philosophies post-positivistes et donc des épistémologies scientifiques qui s'y réfèrent sans s'interroger sur "la réalité de la réalité", fut-elle seulement physique". Mais ces méditations austères sont pour chacun gage de rigueur et de probité intellectuelle, et il importe de s'y livrer régulièrement !

N.B. : L'auteur de l'éclairante préface de la traduction française de C. Hookway, Paul Godet, avait publié vers 1978 un essai sur "Quine en perspective, essai de philosophie comparée", qui avait eu le malheur d'échauffer la bile de J. Largeault, lequel avait conclu son propre essai par un pamphlet (p. 171-180) dont l'arrogance avait sans doute contribué à me désintéresser à l'époque d'un sujet qui suscitait une si inutile agressivité verbale.

Fiche mise en ligne le 12/02/2003


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