Modélisation de la CompleXité
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"Modélisation de la CompleXité"

Association pour la Pensée Complexe
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Note de lecture

Rédigée par J.L. Le Moigne sur l'ouvrage de ERMINE Jean-Louis :
« Génie logiciel et Génie cognitif, pour les systèmes à base de connaissances »
     (T.I. : Méthodologies ; T. II : Etudes de cas). Ed. Lavoisier, Paris, 1993.

"Partons des Problèmes plutôt que des bien hypothétiques Besoins (des utilisateurs) ; organisons des tâches cognitives plutôt que des séquences de fonctions algorithmiques, proposons-nous d'aider les acteurs à servir plutôt que de servir à leur place" : en quelques mots, J.L. Ermine (Professeur à Bordeaux puis à l'INSTN, CEA, Saclay et auteur d'un "Systèmes Experts, Théorie et Pratique", 1989) campe le projet des "Systèmes à Base de Connaissances" et le désenglue de celui des systèmes informatiques classiques (les "applications") dans lequel les techniques de Génie Logiciel tentaient déjà de l'enfermer (au grand désespoir des pionniers des méthodes MERISE et au grand bonheur de la plupart des vendeurs d'Ateliers de Génie Logiciel "merisant" leur emballage plus que leur bien traditionnel produit de découpe des applications !). La seule annonce de ce projet justifie l'attention de tous ceux qui s'efforcent de se représenter "richement", par des systèmes de symboles, leurs perceptions de leurs actions et leurs raisonnements potentiellement innombrables sur ces représentations : autrement dit, ceux qui s'efforcent de prendre conscience à la fois de leurs connaissances et de leurs méta-connaissances (pour reprendre un argument de J. Pitrat que je crois essentiel). Exercice permanent de toute modélisation de systèmes complexes !

Pour déplacer délibérément le point de vue de l'ingénierie informatique du socle bétonné de l'Analytique auquel elle était accoutumée, à la plateforme flottante de la Systémique, J.L. Ermine va judicieusement tirer parti de sa culture et de son expérience (et de celles de ces collègues de Bordeaux et du CEA) en Génie Logiciel et en Intelligence Artificielle, mais aussi d'un effet de "conjoncture organisationnelle" auquel on n'avait pas assez prêté attention ces dernières années : les responsables d'organisation prennent conscience de l'importance de la bonne gestion de cet actif précieux que constituent les intangibles et multiformes "connaissances" que produit et transforme leur organisation. Si l'informatique analytique classique "s'appliquait", vaille que vaille, à la gestion linéaire des actifs industriels tangibles (les modèles de "gestion de flux matière-énergie"), elle se trouve bien désarmée dès que l'entreprise ne se reconnaît plus de "besoins permanents", et qu'elle se référe à des problèmes changeants qu'il lui importe plus de poser à temps que de résoudre définitivement ! Bases de Données Relationnelles puis Langages "Orientés Objet", malgré leur (fugace) modernité ne suffisent pas à résoudre des problèmes qui ne se posent pas dans des termes hier encore familiers !... C'est, je crois, M. Grundstein (et A1.) qui diagnostiqua le premier ce déplacement du point de vue dans un livre publié en 1988 "Les systèmes à base de connaissances, systèmes experts pour l'entreprise" (Ed. AFNOR) dont la recherche de J.L. Ermine et de ses collègues constitue un solide développement, articulant fort bien les deux ingénieries nées dans les deux cultures, disjointes plus que rivales, que furent depuis quinze ans l'Informatique classique et l'Intelligence Artificielle : "le génie logiciel et le génie cognitif".

Recherche qu'il faut sans doute entendre dans son processus même : on "sent" par moment, derrière la progression séquentielle de la lecture, quelques retours en arrière, quelques pages qui furent rédigées "autrefois", et dont les insuffisances ont précisément suscité de nouveaux approfondissements que l'on est heureux de "découvrir" dès le début de la lecture. Je présume par exemple que les cinq pages de "prolégomènes épistémologiques" sur lesquels s'ouvre l'ouvrage ont été rédigées... une fois le livre écrit : sa propre évolution cognitive interne conduisait l'auteur à affirmer moins discrètement la reconstruction des fondements épistémologiques sur lesquels sa réflexion se recharpente. Cette ouverture épistémologique (si rare encore hélas dans les traités d'informatique) constitue implicitement plus un propos d'étape préparant de prochaines recherches, que l'introduction initialisant la présentation du système MOISE ("Méthode Organisée pour l'Ingénierie des Systèmes Experts") qui constituera, en pratique, le coeur de l'ouvrage. Mais le fait qu'elle émerge de la recherche, au lieu d'être plaquée sur le produit comme une rituelle incantation systémique, lui donne un caractère très convaincant, et justifie l'attention à la fois complice et critique que l'on doit consacrer à cette entreprise (entreprise que crédibilise plus encore les cinq "études de cas" développées par les collègues de J.L. Errnine).

Quelques petites misères typographiques mériteraient d'être corrigées dans de prochaines éditions, en même temps qu'elles nous inviteront à remonter aux textes de référence : le logicien et sémiologue C.S. PEIRCE (né en 1839, mort en 1914) ne s'appelait pas C.B. PIERCE (p. 125), et s'il a redéveloppé et renouvelé les interprétations du concept d'abduction, il n'en est pas le père ; Aristote déjà l'introduisait dans les Analytiques (1 - , II, 25) : pour le bien utiliser, lisons par exemple le "Lire Peirce aujourd'hui" de g. Deledalle (De Boeck-Université, Bruxelles 1990). Il se peut que la coquille remonte à un article de B. Chandrasokaran (I3E-Expert, I. (3), 23-30,1986) que présente J.L. Ermine (p. 123-126) ? Raison de plus pour lire C.S. Peirce dans le texte ; par exemple ses "textes anticartesiens" présentés et traduits par J. Chenu (Aubier, Paris, 1984).

J.L. Le Moigne

Fiche mise en ligne le 12/02/2003


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