Modélisation de la CompleXité
Programme européen MCX
"Modélisation de la CompleXité"

Association pour la Pensée Complexe
Association pour la Pensée Complexe
 

Note de lecture

Rédigée par Jean-Louis Le Moigne et Magali Orillard sur l'ouvrage de LE MOIGNE Jean-Louis et ORILLARD Magali (Ed.) :
« L'intelligence stratégique de la complexité »
     Revue Internationale de Systémique, vol. 9, n-2, 1995 (Ed. Afcet-Dunod). 200 pages.

La R.l.S. publie en septembre 1995 (vol. 9, n° 2) un numéro spécial qui, sous le titre "L'intelligence stratégique de la complexité", propose un échantillon représentatif des riches réflexions échangées en juin 1994 lors de la quatrième Rencontre MCX d'Aix-enProvence. En attendant que de nouvelles lectures critiques et constructives ne viennent renouveler notre regard collectif, il nous a semblé utile de présenter awc membres duProgramme MCX (qui ne sont pas tous abonnés encore à la R.l.S.) les études que développe ce dossier en reproduisant ici le bref éditorial d'ouverture : à défaut d'un commentaire, on trouvera au moins une mise en perspective (les numéros de la RIS peuvent étre commandés chez Dunod Editeur, 15 rue Gossin. 92543 Montrouge cédex,France).


"La complexité appelle la stratégie" (E. Morin)... et "la subtilité humaine déployée dans ce travail de bricolage est prodigieuse" (Y. Barel). A l'instant même où la raison humaine croit défaillir, écrasée par l'indescriptible complexité de la relation de chacun à l'autre, à la planète, à l'univers et à lui-même, à cet instant critique où la résignation fataliste semble devoir définitivement l'emporter, surgit, dans l'acte même de cette conscience de la complexité "imprévisibilité essentielle" (P. Valéry, Cahiers), l'appel et l'invention de la stratégie, prodigieuse subtilité humaine se déployant dans ce travail de bricolage "pour s'avancer dans l'incertain et l'aléatoire" (E. Morin). "Stratégie du sens, stratégie paradoxale, stratégie de maîtrise de l'incertitude... par ruse principielle... utilisant deux outils extraordinairement puissants, le symbole et la métaphore" (Y. Barel).

C'est par cette entreprise de renouvellement de "la métaphore de complexité" en appelant à l'intelligence de la stratégie (... -bricolages, ruses, symboles...- Y. Barel) et à des stratégies de l'intelligence ("rétablir les articulations entre ce qui est disjoint, essayer de comprendre la multidimensionalité, penser avec la singularité..." E. Morin), que nous nous sommes proposés de dessiner collectivement, en tâtonnant, quelque éphémère chemin de la modélisation de la connaissance; "car l'ingéniosité (modélisatrice) a été donnée à l'homme pour savoir, c'est-à-dire pour faire" (G.B. Vico) : l'occasion en fut une Rencontre du Programme Européen Modélisationde la Complexité (Programme qui fut initié il y a quelques années par le Groupe-Systémique et Epistémologie- de l'AFCET- Systémique et Cognition), organisée à Aix-en-Provence en juin 1994, et qui associa les réflexions et les expériences de quelque deux cents responsables et chercheurs de cultures et de disciplines très diverses. Le thème de la Rencontre, "l'lntelligence Stratégique de la Complexité", nous invitait collectivement à cet exercice de "production de sens qui passe pour une stratégie complexe et (qu'il vaudrait mieux appeler) stratégie paradoxale" (Y. Barel2).  De cette quatrième Rencontre MCX, ce dossier propose de conserver une trace accessible, avivant sans doute le souvenir de ceux qui y participèrent et contribuant surtout à activer dans nos cultures le sens de la faisabilité de l'exercice : "Marcheur, il n'y a pas de chemin, le chemin se construit en marchant"... Ce beau vers d'A.Machado nous révèle notre projet : n'espérons pas -ou plus- trouver la carte fidèle qui nous révélera le chemin nous conduisant à quelque but final. La fin est dans le moyen, l'un et l'autre sans cesse se transforrnant et s'enchevêtrant. Mais en observant le sillage sur la mer, peut-être reconnaitrons-nous les trajets que génèrent nos projets ? Ce dossier délibérément "bricolé", entreprise ouverte, suggérera-t-il l'image de ce sillage que laissent nos entreprises collectives d'intelligence stratégique de la complexité ? Image diagonale et dialogique, transversale et transdisciplinaire, spiralée et inachevée, sans doute; mais image observable, discutable, communicable. Image incongrue encore dans nos cultures nous objectera-t-on : mais cette incongruité épistémologique n'est-elle pas bonne méthode de production de sens, interrogeait déjà Yves Barel dans LeParadoxe et le Système ?

Nous ne nous excuserons donc pas pour le bricolage qui a présidé à la constitution de cedossier. On a compris qu'il aurait pu tout aussi légitimement être composé de textes différents qui auraient aux aussi témoigné des ressources de l'intelligence stratégique de la complexité. Les opportunités, les disponibilités, les affinités aussi, ont à la fois guidéet contraint la construction de ce numéro. Chaque auteur a accepté l'exigeant effort d'une réécriture, parfois très importante, de la contribution qu'il avait présentée oralement dans la chaleur communicative de l'échange. Nous les remercions ici sincèrement de l'amicale attention avec laquelle ils ont joué le jeu des contraintes éditoriales usuelles de la Revue Internationale de Systémique.

Le sommaire de ce dossier mettra-t-il en valeur autant que nous le souhaitions, la convergence de tant de réflexions engendrées dans des contextes si divers vers le même projet cognitif : ne pas subir une complexité imposée, et concevoir, ingénieusement, les modes de représentation et d'action par lesquels les complexités perçues nous deviendront intelligibles. Que ces réflexions s'expriment souvent dans un registre épistémologique ne surprendra pas : la communication passe par la médiation du langage, et lorsque les langues sont multiples, il importe plus de se comprendre mutuellement que de bien parler toutes les langues.

C'est à dessein que nous avons encadré ce dossier par les études d'Edgar Morin (Anthropologie et Sociologie) "La stratégie de reliance" et de Mioara Mugur Schachter (Mécanique quantique) "Une épistémologie formelle" qui se retrouvent à nouveau si spontanément au coeur du Programme Modélisation de la Complexité. Dansle cadre, (ou plutôt dans la ronde) ainsi esquissé(e) se donnent la main des contributions qui se suivent ou se précèdent sans jamais s'enchaîner.


  • E. MORIN, Epistémologie, Paris, La stratégie de reliance pour l'intelligence de la complexité.

  • S. VILAR, Philosophie et sociologie, Barcelone, L'imagination, clé de la construction d 'eutopies-euchronies.

  • G. LERBET, Sciences de l'éducation, Tours, Stratégie intelligente et dynamique ducomplexe bio-cognitif : interprétations post-piagétiennes.

  • A. DEMAILLY, Psycho-sociologie, Montpellier, Les règles et le jeu des possibles.
  • P. BOUDON, Architecturologie, Paris, Les stratégies de l'implexe, Pédagogie du projetet réduction holistique dans la conception architecturale.

  • R. RIBETTE, Sciences de l'lngénierie, Paris et Niort, Les stratégies d'élaboration ettransmission des connaissances, Construits individuels et construits collectifs.

  • D S. BOUMEDINE, Organisation et management, Alger, Management et changement,crises et mutations. Tran.sformation d'organisations, un changement de regard.

  • J.-F. RAUX, Paris, Management stratégique, L'entreprise entre incertitude et connaissance.

  • M. ORILLARD, Aix-en-Provence, Sciences économiques, Interactivité et apprentissage cognitif dans un univers socio-économique multidimensionnel.

  • E. ANDREEWSKY, Psycholinguistique, Paris, La recherche est structurée comme un langage.

  • M. BASTIDE, Immunologie, Montpellier, avec Agnès Lagache, Philosophie, Paris etCatherine Lemaire -Misonne, Statistique, Montpellier, Le Paradigme des Signifiants :schème d'information applicable en Immunologie et en Homéopathie.

  • J. MIERMONT, Sciences de la cognition et psychiatrie, Réalité et construction des connaissances.

  • M. MUGUR-SCHACHTER, Paris, Physique théorique : Une méthode de conceptualisation relativisée. Vers une épistémologie formelle.

"Pourquoi existe-t-il quelque chose plutôt que rien ?" : c'est en partant de cette célèbre interpellation de Leibniz qu'Yves Barel avait proposé un programme de recherche sur les stratégies de production du sens au Programme "Modélisation de la Complexité" en 1989 : "S'il y a quelque chose, c'est qu'il y a de la complexité, donc du sens, et s'il n'y arien, comme tout est simple, d'une simplicité qui ne saurait faire sens !..."

C'est sur cette invitation que nous pourrons conclure, en reprenant l'exclamation de Jacques Mélèse méditant sur -L'entreprise à complexité humaine-, 1971-1990 : -La complexité n'est pas ce mal absolu que pourchasse la belle rationalité française au nom de la clarté, de l'homogénéité et de l'universalisme. C'est au contraire la reconnaissance de la richesse et de la diversité des organisations de toute taille et de toute nature-... reconnaissance qui est stratégie de production de sens.


Jean-Louis Le Moigne et Magali Orillard

Fiche mise en ligne le 12/02/2003


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