Modélisation de la CompleXité
Programme européen MCX
"Modélisation de la CompleXité"

Association pour la Pensée Complexe
Association pour la Pensée Complexe
 

Note de lecture

Rédigée par J.L. Le Moigne. sur l'ouvrage de AUSPITZ J.L., GASPARSKI W.W. et Al. (Eds) :
« Praxiologies and the philosophy of Economics »
     Ed. Transaction Publisher. New Brunswick. N.J. 1992. 705 pages.

Si je n'avais su que les actes de ce colloque, organisé à Varsovie en 1988 sur le thème de la Praxéologie dans ses rapports avec l'Economique, commençaient par un article de 20 pages d'H.A. Simon ("Methodological Foundations of Economics"), je n'aurais sans doute pas commandé ce volumineux recueil de 700 pages. L'aurais-je regretté ? Après lecture consciencieuse, je crois que ma réponse aurait été : oui un peu, mais un peu seulement ; comme un collectionneur qui regrette une pièce intéressante pour son musée de l'histoire des sciences sociales en Europe continentale dans la première moitié du XXème siècle. Une pièce parmi d'autres, qui a l'avantage de permettre l'accès en langue anglaise à une pensée qui s'est développée entre Vienne et Varsovie, en polonais et en allemand principalement. Il est vrai que l'école polonaise de Praxéologie fondée par T. Kotarbinsky est accessible en anglais... et trouve son origine chez des penseurs français du siècle dernier bien oubliés aujourd'hui, en France et ailleurs (L. Bourdeau, A. Espinasse), et que l'école autrichienne est accessible dans toutes les langues tant L. Von Mises, F. Hayek, E. Schumpeter sont universellement cités, écrasant de leur autorité le Polonais Oscar Lange, enfant terrible d'une praxéologie économique qui aurait bien voulu ne paraître que libérale pour se démarquer d'un marxisme économique... qui n'était pas encore décédé en 1988, mais qui avait apparemment tenu pendant 70 ans ! La praxéologie, "science de l'action efficace", instituée en 1923 par T. Kotarbinsky et couronnée à Paris en 1937 par le Congrès International de Philosophie réuni pour le tricentenaire du "Discours de la Méthode", ne devait-elle pas donner enfin la preuve qu'elle englobait au moins l'économique définie par L. Von Mises en 1949 comme la "science de l'action humaine" (... et donc efficiente !) ? Pour asseoir plus sérieusement l'audience académique de la Praxéologie notamment dans le champ des sciences économiques et juridiques, "I'Ecole polonaise" organisa courageusement ce colloque en y invitant quelques Européens "continentaux" susceptibles de se référer peu ou prou à la Praxéologie (Autrichiens, Tchèques : L. Tondl ; Roumains, Scandinaves...) et quelques notables américains présumés "sympathisants" : ce qui nous vaut une remarquable étude d'H.A. Simon (qui ne se réfère en aucune façon à aucune des variantes de la Praxéologie... mais qui, traitant de méthodologie doit pouvoir être "récupéré" par elle aussi !). Nous disposons ainsi d'un texte dense qui constitue désormais une alternative explicite et bien formée aux nombreux discours classiques sur la méthodologie économique... Puissions-nous,collectivement, le prendre assez au sérieux et nous en inspirer pour contribuer à l'urgent renouvellement des paradigmes de l'économie enseignable ! Les autres invités nord américains ne se soucient guère plus de la praxéologie et profitent de l'occasion pour rappeler tel ou tel de leurs arguments préférés : K. Boulding, G. Klir, D. Mc Closkey, R. Mattesich, D. Schonn...

Les quelques 25 contributions qui constituent le gros du dossier sont souvent intéressantes dès lors qu'on leur demande d'éclairer le contexte historique dans lequel se sont développées les théories économiques et praxéologiques depuis un siècle, entre Bucarest et Helsinki, et surtout bien sûr entre Vienne et Varsovie. Eclairage susceptible d'enrichir notre lecture des discours contemporains des sciences économiques et degestion. Mais, au risque de peiner la plupart de ces chercheurs, éclairage qui révèle surtout - et me semble-t-il crûment - la légèreté épistémologique de la Praxéologie, dans toutes ses "provinces" (il y en aurait six) : sur quelles hypothèses fondatrices stables sont fondées les propositions enseignables que produit la discipline ? La cybernétique, soeur puinée de la praxéologie, est souvent victime de la même inattention à ses propres fondements. Et il n'y a pas longtemps que la systémique a pris conscience de ce risque pour sa propre légitimité. On ne jettera bien sûr pas la pierre aux chercheurs polonais qui s'efforcent de maintenir le fanion, mais on peut profiter de l'occasion pour préciser ce diagnostic, particulièrement "visible" lorsque, quittant les abris de la philosophie académique, la praxéologie s'expose aux complexités épistémologiques d'une science économique qui ne parvient toujours pas à se concevoir comme "une science de l'ingénierie, descriptive et normative" selon la formule d'H.A. Simon.

J.L. Le Moigne.

Fiche mise en ligne le 12/02/2003


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