Modélisation de la CompleXité
Programme européen MCX
"Modélisation de la CompleXité"

Association pour la Pensée Complexe
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Note de lecture

Rédigée par J.L. Le Moigne sur l'ouvrage de GOMEZ P.-Y. :
« Qualité et économie des conventions »
     Ed. Economica, Paris, 1994. 270 p.

Il fallait avoir le courage de casser la langue de bois : la qualité d'un produit ou d'un service n'existe pas en soi et ne peut dont être améliorée ou vendue en tant que telle : la qualité est la manifestation de quelques conventions sociales, complexes, confuses, changeantes, et sa gestion comme son économie ne peuvent être entendues dans le modèle standard de la gestion efficiente des flux ou de l'économie optimale des ressources rares.

Que depuis quinze ans, on ait dit qu'on faisait "comme si" (parce qu'on ne savait pas comment dire de faire autrement) prouve sans doute que ces disciplines étaient inhibées par leurs modèles positivistes du comportement des acteurs économiques. L'observateur narquois voyait bien qu'on ne faisait pas comme on disait, et que lorsqu'on le faisait, les gagnants du Prix de l'Excellence, (cette "qualité totale") devenait les derniers de la classe un ou deux ans plus tard ! Mais, curieusement, nul ne disait que le roi était nu ! J'en avais pour ma part inféré un peu vite que ce concept de "gestion de la qualité" était quasi charlatanesque, et je revenais à une réflexion sur l'effectivité de l'action collective complexe qui irrite les contrôleurs de gestion, parce qu'elle privilégie le raisonnement qualitatif et la modélisation de la complexité. Le livre de P.Y. Gomez et la thèse à la fois originale et constructive qu'il propose m'incite à nuancer quelque peu mon jugement : en proposant de re-modéliser la représentation qualitative de l'échange économique ens'aidant des concepts de l'économie des conventions, il nous invite à un changement de regard qui s'avère fort bénéfique : sur la grille croisant les deux types de convention qu'il propose de reconnaître (convention d'effort et convention de qualification), il construit à la fois une définition argumentée de la qualité (p. 216) et un "espace de repérage" qui permet de la décrire intelligiblement sans réduire sa complexité (p. 222). Sans doute contraint-il prématurément les interprétations de ce modèle par une obligation de "cohérence" révélatrice des prégnances de conception de la rationalité substantive (ou déductive) chez les économistes contemporains. Mais il me semble que cette contrainte formelle peut aisément être levée sans compromettre la fécondité cognitive de ce paradigme : ne l'est-elle pas, en pratique, sur le terrain ? L'observateur est étonné par la jubilation inventive et rusée des acteurs cherchant à tirer parti de la complexité du contexte dans lequel ils interviennent.

Espérons que P.Y. Gomez et ses lecteurs remettront avec passion leur ouvrage sur le métier, pour que nous puissions démentir, en pratique autant qu'en théorie, l'augure curieux de son préfacier V. Lévy-Garboua qui "croit que la "qualité service public" est condamnée sauf en secteur protégé" : qu'il ait pu tirer de cette conclusion après avoir lu le manuscrit de ce livre m'inquiète quelque peu, mais je pense qu'il l'avait déjà établie avant de le lire ! : avant de penser que la qualité peut être dans la façon de marcher plutôt que dans la rectitude du chemin. C'est précisément cette capacité de concevoir "la qualité du service dans sa tête avant de la construire dans l'action collective" (je paraphrase la célèbre parabole de l'abeille et l'architecte que P.Y. Gomez place très heureusement en exergue de sa deuxième partie sur les fondements de l'économie des conventions, p. 75) qui légitime le projet du citoyen, économiste et gestionnaire : je me propose d'interpréter dans ces termes sa thèse innovante... en en recommandant volontiers la lecture... (et la critique) à tous les "responsables qualité" des entreprises européennes : en 1994, ils sont nombreux !

J.L. Le Moigne

Fiche mise en ligne le 12/02/2003


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