Modélisation de la CompleXité
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"Modélisation de la CompleXité"

Association pour la Pensée Complexe
Association pour la Pensée Complexe
 

Note de lecture

Rédigée par JLM sur l'ouvrage de MAGGi Bruno (direction) :
« Manières de penser, manières d'agir en éducation et en formation »
     ed. Ed. PUF, 2000, ISBN 2 13 050707 7, 214 pages

Se serait on arrêté aux réflexions sur l'intelligence de la complexité qu'appelle le titre de cet ouvrage si la riche et originale introduction de B. Maggi ne nous y avait invité ? Je ne le crois pas, dans la mesure où la plupart des autres contributions qu'il rassemble relèvent plus d'un classique dossier sur quelques-uns des débats en cours dans le microcosme des sciences de l'éducation, que d'une contribution à la remise en question épistémologique des "conceptions alternatives" dont nous disposons aujourd'hui de la complexité "des processus de formation et d'éducation".

Thème que présente et qu'argumente de façon stimulante  B. Maggi, le directeur de l'ouvrage, professeur de théorie des organisations à l'Université de Bologne, dans cette longue introduction, dont la portée épistémique dépasse largement le cadre disciplinaire spécifique des sciences de l'éducation. (Ce texte fut d'ailleurs publié en français par H.Bartoli, dans la Revue "Economie et Société" 'Série AB, n, 19, 11-12 en 1996. Et auparavant dans une publication en italien).

La thèse de B. Maggi ne surprendra sans doute pas beaucoup les lecteurs de G.Lerbet ou d'André de Peretti. Elle s'attache à monter que toute conception d'un processus de formation et d'éducation, repose sur un paradigme (il récuse le mot, mais garde l'argument) épistémologique Il propose de présenter les trois paradigmes de référence sur lesquels peuvent aujourd'hui se comprendre les actions de formation et d'éducation : Les deux premiers étant ceux qui nous sont peu ou prou familiers depuis un siècle pour le premier (la conception mécaniciste ), depuis un demi siècle pour le second (la conception organiciste), l'un et l'autre reposant sur la convention positiviste que légitiment encore les institutions sociales.

Par contraste la pertinence d'une autre alternative épistémologique émerge aisément, qu'il va prudemment qualifier de "conception de l'acteur et du systéme construit" (pour ne pas dire "conception constructiviste" ou "du systéme s'organisant" ou "du systéme complexe" !). Les lecteurs familiers de l'ouvrage - manifeste de G. Lerbet , Les nouvelles sciences de l'éducation, au cœur de la complexité" retrouverons aisément leurs repères épistémiques, mais les autres, accoutumés aux discours des sciences de l'organisation plus qu'à ceux des sciences de l'éducation, trouveront là une entrée fort aisée à cette ouverture épistémologique solide que présente, et plaide discrètement, B. Maggi. (Son propos permet en particulier de remettre enfin en question un des concepts les plus sclérosant des pratiques de la formation, que chérissent tant de consultants, celui de "l'analyse des besoins en formation").

Il souhaitait, à partir de ce cadre paradigmatique susciter un débat entre divers champ d'expériences, de façon à le nourrir des pratiques et critiques qu'il appelle. Mais je crains qu'il n'y soit pas effectivement parvenu. Les auteurs qu'il a sollicités ne se sont guère référés au cadre épistémique qu'il établit et semblent avoir présenté leurs travaux ou leur thèse sans grand soucis de concertation mutuelle et sans chercher à débattre. Si bien que le lecteur est tenu à des interprétations hésitantes .

Le texte d'Y.Schwartz intitulé "Discipline épistémique, discipline ergologique " introduit le concept d ' "Ergologie" et j'ai quelques difficulté encore à le relier au paradigme constructiviste de l'action organisante que propose B.Maggi. Il est assez malaisé à interpréter dans ce contexte (je me suis demandé un instant si l'ergologie était à l'ergonomie ce que l'astrologie est à l'astronomie ? ) : "La discipline ergologique est donc non une discipline au sens d'un champ du savoir spécifique, mais une norme que doit se proposer l'ambition intellectuelle dés lors qu'elle a affaire à ce type de processus : l'équipement intellectuel antécédent à toute lecture d'un processus ergologique ne doit donc jamais ôter l'inquiétude sur la légitimité du corpus conceptuel par rapport aux renormalisation s et resingularisations générées dans les débats plus ou moins locaux de l'activité ."(p.47). Il ne s'agit donc pas d'une épistémologie de l'ergonomie (que les textes de F.Daniellou, 1996, nous présentent aujourd'hui de façon sérieusement argumentée : voir en particulier «L'ergonomie en quête de ses principes» Octarés ed. ). Mais si je puis identifier ce qu'elle n'est pas , je suis plus incertain quand il me faut dire ce qu'elle désigne

Le texte de C.Wulf (qui publia avec E.Morin en 1997, un petit essai fort stimulant, "Planète, l'Aventure inconnue" - et non "La planète inconnue", titre que lui attribue l'éditeur - (cf note de lecture dans Cahier des lectures MCX n° 18 mars 1998) mérite beaucoup d'attention, mais ne se réfère guère directement au débat épistémologique annoncé : «Image et imagination».

On dira sans doute la même chose des autres articles de ce recueil, sauf de celui consacré à l'étude de l'apprentissage par les techniques de simulation (de A.Gras et G.Dubey), intitulé "Les limites de la pensée formelle dans la formation". L'expérience de la formation des pilotes d'avions modernes à l'aide de puissants simulateurs mérite d'être examinée dans ses pratiques et dans les perceptions qu'elle suscite, tant chez les formés que chez les formateurs. Je n'en retiens ici que la conclusion : "Traduction technique d'une conception unidimensionnelle de l'expérience humaine, elle (la simulation informatisée) contribue paradoxalement par un effet de retour à en révéler l'efficace et peut être à la réévaluer "(p.129). On voudrait associer cette proposition à sa légitimation épistémologique, dans les termes qu'en propose B.Maggi, mais les auteurs n'explicitent pas assez les articulations entre les observations in situ qu'ils ont pu faire sur le terrain et leur paradigme d'appui. Ils nous rappellent pourtant la très suggestive métaphore du «potage au poulet» (p.106) : Les modéles qu'on fait de ce potage sont produits à l'aide d'une passoire. Elle récupère les morceaux de poulets , mais le bouillon sera perdu ! Que de modéles enseignés pour guider la pensée et l'action sont faits à l'aide de cette passoire !

En revanche, ils reproduisent deux (p.116 dans le texte et p.119 en note) le même long paragraphe sur les modéles des relations entre pilotes et contrôleurs ; peut être pour nous convaincre de l'importance des redondances dans les communications professionnelles ?

Les comparaisons internationales qui achèvent le volume sont trop pointillistes pour que l'on puisse en inférer des conclusions pour action. Chaque culture est trop diverse pour être réduite à un stéréotype. La théorie des "Mindscapes" de M.Maruyama aurait peut être suggéré une autre problématique de comparaison ?

"Chacun est personnellement concerné par ses «choix» entre les conception , les théories, les pratiques "(p.32) : La conclusion de B.Maggi sera sûrement la notre. Mais elle appelle un effort civique d'explicitation loyale de ces choix qui les rendent intelligibles à l'autre. Effort qui n'est pas aisé encore, les autres textes de ce volume en témoignent.

J.L.Le Moigne .

Fiche mise en ligne le 12/12/2000


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