Modélisation de la CompleXité
Programme européen MCX
"Modélisation de la CompleXité"

Association pour la Pensée Complexe
Association pour la Pensée Complexe
 

Note de lecture

Rédigée par CHRETIEN Julie sur l'ouvrage de MIERMONT Jacques :
« ECOLOGIE DES LIENS, Entre expériences, croyances et connaissances. (Seconde édition revue et augmentée) »
     Ed. L’Harmattan, 2005, ISBN 2 7475 7937 9 , 371 pages.
Voir l'ouvrage dans la bibliothèque du RIC

            Jacques Miermont, psychiatre, psychanalyste et thérapeute familial présente ici une écologie des idées, des croyances et des actes. Un projet ambitieux, un vaste champ d’investigation servi par une riche expérience clinique et des références qui empruntent à la psychanalyse, aux neurosciences, à l’éthologie, aux mathématiques, à la littérature, ….

Dans le champ de l’étude des relations humaines, l’auteur propose une lecture des liens par la constitution d’un nouveau paradigme. Articulé autour de trois concepts, les rituels, les mythes et l’épistémè, le paradigme écosystémique concilie différentes théories.

            Les rituels sont des organisateurs des relations entre les individus, et de structuration des groupes. Le rituel permet de définir la nature des liens qui s’établissent dans la famille, et entre familles et thérapeutes. Ainsi le rituel établit un lien singulier entre des personnes, qui se différencient ainsi comme individus, en référence aux groupes qui les individualisent.

L’être humain est considéré ici dans sa complexité, il se trouve au carrefour des systèmes d’appartenance biologique, familiale et sociale. L’autonomie est liée aux relations de dépendance aux environnements : l’individuation se fait par l’intégration et la simulation des modèles relationnels parentaux. Elle n’est donc plus vue comme le détachement, la rupture d’avec ces liens, mais comme le jeu qui se fait entre des dépendances multiples. Autonomie individuelle et familiale sont intriquées. « En simulant les contraintes, les dangers, les richesses de la biocénose, l’écosystème familial permet l’apprentissage, pour la progéniture, des conditions de vie et de survie au sein de l’environnement minéral, végétal, animal et social ».

La pathologie mentale, et notamment les schizophrénies, désorganise, détruit les communications et génère de la violence. L’auteur présente ici la famille comme la microstructure sociale élémentaire dont la finalité est de canaliser cette violence. Dans une démarche de soin, la thérapie va avoir pour objectif de revitaliser le rituel. C’est cette restauration des rituels, (parfois de « simple » rencontre et de conversation) qui endigue la dangerosité en canalisant la violence, qui rétablit la communication, clarifie le sens des relations et renforce l’autonomisation et la cohésion du groupe.

            Les mythes sont des systèmes explicatifs des origines du monde, de l’homme, des groupes, de la mort… Ils sont les systèmes de transmission et de hiérarchisation des informations.

Les troubles psychotiques, alimentaires, délictueux, et psychosomatiques semblent fonctionner comme des troubles de la régulation qui détruisent les schémas les mieux établis. Ils supposent un défaut dans la transmission de certaines représentations. L’auteur fait se croiser les théories freudiennes et les observations éthologiques autour de la question de la transmission, inscription des modèles de relation interpersonnelle et empreinte. Comme l’écrit Jacques Miermont : « Le schizophrène nous révèle a contrario les fondements mythiques de l’organisation sociale (« il faut aimer et travailler », « toute peine mérite salaire », « la paresse est un vilain défaut » etc.) par le rejet actif de cette inscription temporo-spatiale dont il refuse l’aliénation ».

La famille est l’entité qui régule l’activité mythique. Le mythe organise et défend la famille, il donne du sens aux relations dans la famille, par le partage d’une série de croyances. La situation de rencontre thérapeutique avec la famille implique un travail de comparaison et de relativisation entre les croyances du groupe familial et celles des thérapeutes. L’objet de la thérapie sera la connexion de niveaux disjoints : le cosmique, le biologique et le social.

On s’arrête sur une lecture originale du mythe d’Hermès : le fils bâtard de Zeus et Maïa, contrairement à Œdipe, voit ses comportements répréhensibles salués par des effets positifs. Le dieu des voleurs, des brigands, des commerçants, des voyageurs est un messager. Il transforme et interprète, permet l’échange des biens et des paroles. Il est celui qui passe de la nature à la culture. Hermès intéresse l’auteur comme le fondateur de la ritualisation thérapeutique : il est celui qui régule les formes négatives et violentes des liens, le dieu des liens qui libèrent (Le « saint patron » des thérapeutes…).

            L’épistémè renvoie à la vision du monde du sujet, sa capacité à théoriser ses propres expériences. C’est cette théorie de la pratique qui permet la prise de distance avec les rites et les mythes. L’épistémè se distingue du savoir érigé en doctrine, on distingue vérité scientifique et efficacité thérapeutique : en thérapie familiale, une grande partie des processus échappe à la compréhension des thérapeutes. L’efficacité d’une méthode n’est pas liée à la connaissance qu’on a des mécanismes à l’œuvre, ni à la théorie qui la soutend. Les questionnements des patients et de leur famille amènent d’ailleurs à des remaniements théoriques, épistémologiques.

            Après avoir suivi l’auteur dans cet itinéraire, on s’arrête sur un modèle théorique qui propose de rassembler cette perception de l’homme éclatée. Ce modèle écosystémique intègre les oppositions et les incompatibilités théoriques, comme un reflet de la complexité des systèmes humains et de la diversité des organisations familiales.

Le principe de causalité linéaire est au fondement de notre mode de pensée, mais les jugements d’attribution de la cause des troubles à un manque de volonté, un déni, débouchent souvent sur des réactions d’agressivité, de culpabilité et de culpabilisation. Le risque serait d’étendre cette conception aux troubles complexes. En effet, une vision linéaire fait souvent de la famille la cause du trouble, quand des liaisons circulaires complexes s’imposent face à des troubles qui défient les capacités de responsabilité individuelle. Les multiples effets positifs des différentes propositions thérapeutiques amorcent d’ailleurs une réflexion sur la multiplicité des causes de la pathologie.

La causalité complexe relativise les effets de la causalité linéaire. L’auteur étudie un modèle psycho somatique où le lien entre le corps et l’esprit ne s’arrête ni à leur exclusion mutuelle, ni à leur jonction obligée. Le concept de psyché ne doit pas être réduit au seul système des représentations, qui ne rendent pas compte à elles seules de la totalité des processus psychiques sous jacents. La thérapie familiale aide à décentrer les facteurs de pathologie. On sort de l’ontogenèse (analytique) pour s’ouvrir à des déterminismes complexes. Les pathologies ne sont pas seulement liées à une structuration de la psyché, mais également à des fragilités biologiques au cours des processus d’individuation. Le poids et l’influence des dynamiques familiales et sociales sont considérables dans la mise en œuvre de l’autonomie du sujet : les contextes de vie, psycho affectifs, familiaux, et socio professionnels font partie intégrante de l’écosystème dans lequel évolue le patient. C’est préciser que l’on ne vit pas dans un environnement, mais au moyen de celui-ci.

            Les êtres humains s’individualisent et se différencient au travers de processus rituels, mythiques et épistémiques, qui assurent le passage entre le biologique, le psychologique et le social. Plusieurs théories doivent être envisagées pour appréhender l’organisation biologique, psychologique et sociologique des liens. Le modèle écosystémique emprunte aux différents travaux systémique, analytique, neuroscientifique, sociobiologique (et d’autres encore !), dans une perspective de complémentarité des théories et de pertinence des interventions. Une souplesse qui ouvre de nombreuses pistes, enrichissant la réflexion et le travail clinique.

            Jacques Miermont propose un ouvrage fouillé et complexe comme la théorie qu’il défend. La lecture est souvent passionnante et parfois difficile. Malgré des échappées obscures, l’auteur retombe toujours sur ses pieds de thérapeute, la circulation est assurée entre théorie et clinique.

Cet ouvrage inscrit la pratique thérapeutique dans un contexte élargi, et ne se concentre pas sur les seules théories ou méthodes à disposition des thérapeutes. C’est d’abord la place du sujet/patient et des familles qui est observée et développée. Vient ensuite un questionnement sur la place du thérapeutique dans la société, et dans la destinée humaine. C’est la grande qualité de ce livre, réussir à ouvrir un champ de recherche vaste et très approfondi, tout en préservant un vrai souci de transmission pragmatique. La stimulation intellectuelle ne se fait pas au détriment de la clinique.

On retient la proposition d’une organisation des contextes de soins, thérapie institutionnelle, thérapies individuelles, thérapie familiale et chimiothérapie comme une vaste co-thérapie, une action sur différents niveaux, psychologiques, somatiques, familiaux et sociaux.

Julie Chrétien.

Fiche mise en ligne le 18/06/2005


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