Modélisation de la CompleXité
Programme européen MCX
"Modélisation de la CompleXité"

Association pour la Pensée Complexe
Association pour la Pensée Complexe
 

Note de lecture

Rédigée par J.L. Le Moigne sur l'ouvrage de PROST R. (Ed.) :
« Concevoir, Inventer, Créer. Réflexions sur les pratiques »
     Ed. L'Harmattan. Paris. 1995. 338 pages.

L'idée est bonne de "faire voir" l'universalité de l'activité cognitive de conception dans ses permanences et dans ses diversités. C'est le parti qu'a pris R. Prost en rassemblant une douzaine d'études sur la conception en pratique et en théorie et en les rassemblant en un manuel : architectes et architecturologues, urbanistes et aménageurs, designers et organisateurs, lorsqu'ils méditent sur leur propre expérience de "concepteurs", sont toujours intéressants pour quiconque s'attache à la question de la méthode : comment former projet en transformant le rêvé en vécu ? Certes le compositeur, l'ingénieur, le poète, l'écrivain, le sculpteur ou l'éducateur auraient pu nous éclairer aussi de façon non moins originale sur leur expérience de la conceptoon. Mais l'ouvrage compte 340 pages et nous propose déjà "du grain à moudre" : ne gâchons pas notre plaisir en demandant "toujours plus". Il y a déjà là quelques textes (je pense à ceux de Ph. Boudon, de M.Conan et de N. Couix) qui nous donnent matière à penser ou plutôt matière à concevoir la conception ! Sans doute aurait-on souhaité un ouvrage plus "conçu" autour d'un projet qui, même complexe dans sa forme, aurait incité davantage les auteurs à penser à leurs interdépendances mutuelles et à leurs convergences potentielles : il manque encore un "manifeste" de la conception entendue à la fois comme projet de recherche et d'enseignement, et il est manifeste en revanche que la moitié des auteurs au moins n'a pas lu, et encore moins médité, les 20 pages qu'H.A. Simon consacra en 1968 aux "Sciences de la conception". En revanche ceux qui l'ont travaillé nous livrent des développements fort pertinents sur la conception entendue comme un processus de "transformation de représentations" : je pense en particulier à l'article de Ph. Boudon dégageant le concept d'opération de conception architecturale. Par contraste, en affichant ostensiblement son ignorance du texte de H. Simon (73) sur "la logique de l'invention" (ou de la découverte) contestant la célèbre thèse de K. Popper, H. Mialet donne un tour quelque peu naïf à sa "réinvention" de cette discussion vingt ans après ! De même l'étude d'A. Findeli sur "Ethique et Design", qui conclut l'ouvrage, décevra sans doute le lecteur : la question est importante, mais en matière d'éthique, le citoyen, qu'il soit designer ou non, n'aime pas qu'on lui impose une réponse s'il est prêt à s'en faire proposer quelques unes à fin d'illustration. J'ai regretté pour ma part la méthode du procès d'intention contre "certains prophètes du systémisme (de la "systémique", disent-ils) et du constructivisme dont les modèles sont bien trop souvent représentatifs d'un néo-rationalisme plus ou moins éclairé" (p. 311). Une éthique qui cautionne ce genre de formules gratuites (qui, par ailleurs, n'apporte rien au développement, sinon l'appel à la polémique pour se faire voir"), me semble difficilement crédible ! Dans ses textes antérieurs, A. Findeli nous avait accoutumés à une réflexion plus... constructive et plus "éclairée" (pour reprendre le titre de la recherche qu'il avait conduite sur le thème "Prométhée éclairé" en 1993, Ed. Informel, Montréal, dont on avait rendu compte dansle Cahier des lectures MCX n° 5). Aussi peut-on espérer que cette crise d'agressivité stérile sera passagère... et que les réflexions dont nous avons tant besoin sur la nature téléologique des processus de cognition x conception pourrait se poursuivre san ss'arrêter à ces mesquineries.

Que les regrets que me valent les dernières pages de ce livre soient vite compensés par l'intérêt que suscitent bon nombre des autres articles. Achevons par exemple sur une réflexion que suggère la remarquable et vivante étude de cas proposée par M. Conan sous le titre "Les jeux imbriqués de la conception architecturale" : la célèbre définition de la conception proposée par K. Marx (dans la métaphore de "l'abeille et l'architecte") : "construire dans sa tête avant de construire dans la ruche -ou dans la cité", ne devrait-elle pas être un peu transformée à son tour (le propre de l'action de conception : transformer !), en remplaçant "avant" par "pendant que" ? ; "construire dans sa tête pendant que l'on construit dans la ruche".


J.L. Le Moigne

Fiche mise en ligne le 12/02/2003


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