DISEGNO et COMPLEXITÉ

 

Un programme d'enseignement original d'une science d'ingenium:

"la maîtrise de recherche en Design " de l'Université de Montréal

 

 

 

Sous ce titre léonardien, Disegno et Complexité, on va lire le document de présentation du nouveau programme de maîtrise en aménagement que met en place à l'Université de Montréal, l'École de Design industriel  de la Faculté de l’aménagement (septembre 2001). La conception  de ce programme interdisciplinaire et professionnel ne  caractérise t 'elle pas les nouvelles sciences d' ingenium, en proposant une alternative réfléchie aux programmes d'enseignement  traditionnels des "sciences d'analyse appliquées" ?

Ce projet retient l'attention de divers pays européens. On trouvera en note 8, en fin de texte, un certain nombre de références bibliographiques. (On trouvera aussi sur les sites "phd-design" et "drs" ou "design-research"  à www.jiscmail.ac.uk , les archives de débats en ligne qui constituent un excellent forum pour apprécier et comparer les initiatives analogues dans le monde.   Nous remercions le Pr. Alain Findeli, un des principaux concepteur et animateurs de ce projet de nous autoriser à mettre à notre disposition collective cette contribution à l'enseignement des sciences d'ingenium.  J.L. Le Moigne

 

Le " Disegno", selon Léonard,  le dessin  à dessein,

Ne traduit-il pas le "Design" anglo saxon ?

               «Le disegno est d'une excellence telle qu'il ne fait

pas que montrer les œuvres de la nature,  mais

qu'il en produit un nombre infiniment plus varié.

…Il surpasse la nature parce que les formes

 élémentaires de la nature sont limitées,

 alors que les œuvres que l'œil exige

 des mains de l'homme sont illimitées.f.

Léonard de Vinci, Cahiers. (CU.f.116 r)

 

 

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DESCRIPTION DÉTAILLÉE DES OBJECTIFS DU PROGRAMME DE

 

M.Sc.A. EN AMÉNAGEMENT OPTION « DESIGN ET COMPLEXITÉ »

 

 

Pourquoi un diplôme supérieur en design ?

 

Le Baccalauréat en design industriel a été décerné par l'École de design industriel de l'Université de Montréal, depuis sa création, à près de cinq cents étudiant-e-s. Ce programme a connu, au fil des années, plusieurs modifications et améliorations pour tenir compte de facteurs divers: évolution des méthodes et des théories, de la technologie, de la conjoncture économique, des spécialités de la discipline, de la demande en diplômé-e-s.  Il arrive un moment où ces pressions évolutives nécessitent davantage que des aménagements de circonstance, ceux que le langage administratif traduit par “modifications mineures”.  Dans cette perspective, l’idée de créer un programme de maîtrise s’est manifestée de façon plus ou moins claire depuis plusieurs années déjà.  Un pas supplémentaire est franchi ici, motivé par un ensemble de circonstances prévalant actuellement.  La décision de créer une maîtrise de recherche en design est suscitée par deux grands types de conditions qu’il est commode de distinguer en facteurs internes et externes.

 

Les facteurs externes.  On a assisté récemment, à la Faculté de l'aménagement, à un mouvement de création de diplômes professionnels de 2e cycle.  Celui-ci est le reflet d'un mouvement général observable tant en Amérique du Nord qu'en Europe, sous des formes diverses.  D'autres professions sont également marquées par cette tendance.  Quelles qu'en soient les raisons (que nous ne détaillerons ni ne discuterons ici), il apparaît de plus en plus difficile d'échapper à ce mouvement.  Le décanat de la Faculté, s'appuyant sur les recommandations d'un comité formé pour examiner l'opportunité d'une réforme des programmes, a invité tous les départements à examiner sérieusement la question des maîtrises dites “professionnelles”.1  À la suite de cet examen, l'École de design industriel n'a pas jugé opportun, dans l'immédiat, de créer un tel programme, tout en se prononçant, néanmoins, en faveur de la création d'une maîtrise “de recherche” (le mot “recherche” prend dans ce contexte une signification particulière qui sera précisée plus loin).  Par ailleurs, on a pu remarquer depuis plusieurs années déjà que la M.Sc.A. en aménagement a accueilli une forte proportion de candidat-e-s diplômé-e-s en design, alors que son programme ne reflétait pas suffisamment les caractéristiques de notre discipline. Ceci se traduisait parfois par des obstacles et des contraintes difficiles à surmonter pour ces candidat-e-s.

 

Un autre facteur externe résulte des besoins et des espoirs exprimés depuis quelques années par la communauté professionnelle.  Plusieurs diplômés expriment en effet le souhait, après quelques années d'activité professionnelle (3 à 5 ans pour la plupart), de “revenir à l'Université”.  À quoi est due cette nostalgie?  À des facteurs divers qui tous, cependant, comportent généralement une volonté d'approfondir un aspect particulier du design.  Ce besoin se manifeste d'une manière vague et diffuse le plus souvent, mais toujours forte, de sorte que nous pouvons raisonnablement tabler sur l'existence de ce besoin.  En termes plus disgracieux, mais désormais consacrés, on dira que “la clientèle existe” pour un tel programme.

 

Un troisième facteur externe peut être invoqué à l'appui de la création de ce programme: l'internationalisation, la “mondialisation”, le besoin d'ouverture de nos diplômés aux cultures et aux marchés étrangers.  L'actualité et la médiatisation dont bénéficie ce thème depuis quelque temps nous dispensent de nous attarder à sa description et à sa justification, tellement son évidence s'impose.

 

Les facteurs internes.  Ceux-ci réfèrent aux avancées scientifiques qu'a connues notre discipline depuis quelques années.  Ainsi, le corpus théorique s'est considérablement modifié et enrichi sous l'égide des “sciences de l'artificiel” et de la théorie des systèmes.  Au registre méthodologique on assiste, d'une part, à la révolution des outils de conception (CAO, CFAO, CMFAO, prototypage rapide, etc.), d'autre part à une modification en profondeur des pratiques de gestion et de conduite des projets (ingénierie simultanée, design management, production “artisanale-AO” de petites séries, etc.).  Les sciences auxiliaires du design (ergonomie, psychologie sociale, sémiotique, histoire, etc.) ont, elles aussi, connu d'importantes avancées théoriques et méthodologiques. Enfin, des problématiques nouvelles posent des défis incontournables tant à la discipline qu'à la profession: réalité virtuelle, surconsommation et développement durable, pluriethnisme et identités nationales, démocratie participative, seuil de pauvreté et “besoins essentiels”, crise des valeurs et du sens.  Or, la sérieuse “mise à jour” qu'exige la prise en compte de ces facteurs ne saurait se contenter d'une addition de cours ou d'activités correspondantes, ni dans le programme de premier cycle déjà sur-mobilisé par la formation professionnelle de base, ni dans celui de la M.Sc.A. actuelle dont l’orientation ne permettrait pas d’absorber aisément une révision aussi substantielle.  Par ailleurs, les nouvelles connaissances ainsi produites ne sont pas toujours ou encore dans l'état d'achèvement suffisant pour être “classées” dans des cours de trois crédits bien identifiés par un titre clair et univoque.  Elles se prêtent davantage, au contraire, au travail en séminaire du type “work in progress” ou dans le cadre de projets, où leur validation définitive pourra se poursuivre.  C’est pourquoi l’EDIN a jugé nécessaire de créer une structure pédagogique nouvelle, celle d’une maîtrise de recherche en design, pour accueillir cette “mise à jour” et ainsi contribuer au développement et à l’établissement de nouvelles connaissances.

 

Ce qui caractérise le plus justement l’évolution des facteurs internes évoqués ci-dessus est la notion de complexité.  Il est indéniable en effet que les conditions d’exercice du design se heurtent depuis quelques années à une complexité croissante.  Dire que “les projets de design sont de plus en plus complexes” est une expression commune aujourd’hui, qui cache sous une apparente banalité des enjeux théoriques, méthodologiques, économiques, éthiques et sociaux qu’il s’agit de décrire et de comprendre de façon systématique.  Dans son récent ouvrage In Search of Elegance, Michel Lincourt affirme, à propos de l’architecture, ce que nous pouvons sans hésiter revendiquer pour le design également : «Indubitablement, l’architecture est une réalité à multiples facettes […]  Reconnaître le fait que la complexité constitue une caractéristique fondamentale de la réalité architecturale et que, conjointement, on ne peut ignorer la complexité si l’on veut vraiment se préoccuper des problèmes environnementaux, représente une dimension vitale du problème architectural.»   C’est pourquoi la notion de complexité occupe une place centrale dans notre programme.

 

 

Quel type de diplômé-e-s souhaitons-nous former?

 

Poser cette question, c’est se poser celle de l’identité de ce nouveau programme. Nous venons de décrire les facteurs, externes et internes, qui contribuent à façonner cette identité.  Ces facteurs, dans une grande mesure, échappent à notre contrôle et doivent donc être considérés comme des données que nous ne pouvons raisonnablement ignorer.  Quant aux traits complémentaires de l’identité du programme, ils résultent d’une réflexion critique d’ordre épistémologique, méthodologique et stratégique, menée depuis plusieurs années par plusieurs chercheurs sur le statut scientifique des disciplines professionnelles enseignées à l’Université, sur la particularité des disciplines de l’aménagement, d’une part, et du champ de l’aménagement, de l’autre, ainsi que sur l’avenir de ces professions, principalement dans une perspective éthique et/ou économique.2

 

Le statut d'une maîtrise dans une discipline professionnelle est ambigu.  Les traditions universitaires nous ont habitués à hésiter entre deux formules s'excluant mutuellement, parfois radicalement : soit une maîtrise professionnelle, soit une maîtrise de recherche dite “conventionnelle” ou, pire, “académique”.  Ces deux voies constituent les errements “pathologiques”3 des deux pôles constitutifs de la polarité qui fait précisément l’originalité des disciplines professionnelles: la polarité théorie/pratique.  C’est ainsi que l’on trouve des maîtrises en design qui ne sont rien d’autre qu’un projet de design plus ambitieux que ceux que l’on retrouve au premier cycle, soit parce que les contraintes ergonomiques sont plus complexes, soit parce que nous sommes en présence d’un partenaire industriel et de contraintes économiques contractuelles, soit parce qu’il s’agit de réaliser un prototype entièrement fonctionnel, etc.  Nous sommes, dans ces cas, en présence de l'excès du pôle “pratique”.  En revanche, il existe également des maîtrises dont la structure s'inspire très fortement du modèle -considéré comme paradigmatique - des sciences dites “d’analyse”, s’appuyant sur une tradition plus longue, donc bénéficiant d’un statut épistémologique et scientifique mieux établi et reconnu.  En général, toute référence à la pratique est fortement découragée dans de tels cas ( «vous n'êtes plus au premier cycle!»); nous sommes alors en présence de l’excès  du pôle “théorie”.  Pour caricatural que soit un tel tableau, il n’en dépeint pas moins la situation actuelle, sans qu’il soit nécessaire de “citer des noms”, c’est-à-dire des programmes réels actuellement en vigueur.

 

C’est donc bien aux deux catégories ainsi esquissées que correspondent traditionnellement ce que l’on appelle, dans un cas, une maîtrise professionnelle, et dans l’autre, une maîtrise de recherche.  Notons qu’une troisième catégorie de maîtrise existe également, celle dite “à cheminement de type cours” (par opposition à celui de “type recherche”).  Notre nouveau programme s’efforce de se dégager de ces catégories léguées par une tradition qu’il convient de réviser tout en reconnaissant les mérites respectifs de chacune d’elles. S’il s’agit bien pour nous d’une maîtrise de recherche, nous verrons qu’elle ne néglige pas complètement le fait qu’elle relève d’une discipline professionnelle.  Il ne faudra donc pas s’étonner d’être en présence d’une identité “ambiguë” ou même “floue” si celle-ci doit être perçue selon les catégories existantes. Comme on va le voir, cette identité se rapprocherait plutôt de ce que la Faculté des études supérieures appelle désormais “la recherche contextualisée” ou encore ce que le FCAR considère comme de “la recherche en milieu de pratique”.

 

La tradition qui exige une séparation nette entre maîtrise professionnelle et de recherche ne fait pas que refléter la situation du “marché” des diplômés.  Elle s’appuie sur un modèle épistémologique des disciplines professionnelles bien ancré, celui de la science appliquée, hérité du XIXe siècle. C’est ainsi que, dans les meilleurs des cas, s’il n’est plus considéré comme un art ou une technique, le design est assimilé à une science appliquée (ce que dénote l’appellation administrative M.Sc.A.), c’est-à-dire à une pratique découlant d’un travail préliminaire (de type analytique) opéré dans le champ de sciences dites “ fondamentales ” (mécanique, psychologie, sémiotique, etc.).  Or le statut épistémologique de science appliquée ne convient pas pour cerner le design, ni d’ailleurs les autres disciplines professionnelles.  Il serait trop long d’exposer ici les arguments en faveur de cette thèse, qu’une attention persévérante à la pratique quotidienne du design ne manquera pas de confirmer.  Ces arguments ont été exposés ailleurs et sont désormais largement partagés par la communauté scientifique.4  L’idée d’une science engagée, située, impliquée, est bien plus proche de la réalité.

 

L’artifice rhétorique de Christopher Frayling (Royal College of Art, Londres) permet de décrire de façon commode et succincte les distinctions opérées ci-dessus.5  Celui-ci distingue les trois cas suivants : la recherche pour le design, la recherche sur le design, enfin la recherche par le design.  Le premier cas, qui recouvre ce qu’on entend habituellement par ”R &D ”, correspond à l’excès du pôle “pratique” ci-dessus; le second cas, qui recouvre l’ensemble des travaux réalisés par les chercheurs provenant de sciences diverses (sociologues, historiens, psychologues, etc.) prenant le champ du design pour objet, illustre l’excès du pôle “théorie”; quant au troisième, c’est la voie originale que nous avons choisi d’emprunter pour notre maîtrise.

 

Pour résumer, nous pourrions dire que ce qui distingue une activité de recherche dans les disciplines d’analyse d’une activité de recherche dans les disciplines professionnelles, c’est que si elles ont chacune pour but de faire avancer les connaissances dans leurs disciplines respectives, on doit s’attendre à ce que, dans les disciplines professionnelles, les résultats de la recherche contribuent en plus à une pratique meilleure des professions correspondantes.

 

Les diplômé-e-s de la M.Sc.A. (aménagement), option “Design et complexité”, auront acquis les compétences et les connaissances nécessaires à entreprendre des projets de recherche dans des domaines du design considérés comme prioritaires. Ces projets sont susceptibles d’être menés dans un environnement universitaire, dans un centre de recherche existant, au sein même d’une entreprise ou d’une institution privée ou publique, ou encore dans le cadre d’activités ponctuelles de consultation. S’ils sont encore peu nombreux au Canada, de tels postes existent déjà en Europe et aux Etats-Unis où l’apport spécifique du design commence à être bien distingué et reconnu. Les plus persévérant-e-s se consacreront à des études doctorales et viendront grossir les rangs de nos futurs chercheurs du Groupe de recherche appliquée au design (GRAD) en voie de formation6, et d’une Chaire en design à la création de laquelle l’École de design industriel s’emploie activement. Parmi nos diplômé-e-s, certain-e-s souhaiteront reprendre une activité professionnelle interrompue; c’est alors à titre de consultant, d’expert ou, “simplement”, de praticien “éclairé” qu’ils agiront dans le milieu. Enfin, il convient de ne pas négliger l’apport appréciable que constituera la contribution à l’enseignement de la discipline de ces diplômé-e-s doté-e-s d’un profil intégrant de façon raisonnée les dimensions pratiques et théoriques de la discipline.

 

 

Quelle est la spécialité de la M.Sc.A. (aménagement), option “Design et complexité” ?

 

Il est bien entendu plus sage de fonder la spécificité de cette maîtrise sur les facteurs et le projet internes, plutôt que de la voir soumise aux humeurs, plus imprévisibles et souvent capricieuses, des facteurs externes.  On pourrait reprocher à un tel parti de manquer d'opportunisme et de “réalisme”, de ne pas tenir compte des “besoins immédiats” et des “attentes” de la société; mais on se félicitera rapidement de la stabilité du programme, de la solidité de ses fondements scientifiques, ainsi que de sa souplesse face aux velléités de la conjoncture.  Ce parti nous impose de privilégier un programme construit autour de connaissances “formelles” (par opposition à “substantielles”), au détriment d'un ensemble de cours mettant l'accent sur des contenus.

 

La formation scolaire et universitaire classique, par son insistance sur la façon analytique de saisir la réalité et les problèmes du monde, n'est plus adéquate pour permettre aux professionnels et aux acteurs sociaux de comprendre les phénomènes plus complexes, donc d'agir de façon non seulement efficace, mais aussi responsable.  Les exemples ne manquent pas aujourd'hui qui décrivent cette insuffisance et les impasses auxquelles elle a mené (crise environnementale, crise des services de santé, crise de l'école, etc.).  Il convient par conséquent de compléter (mais non de remplacer) cette formation “traditionnelle” par le développement d'une “intelligence complexe”, ancrée dans l'action, autrement dit par l’acquisition d’une méthode permettant tout d’abord de saisir, de décrire et de modéliser les situations complexes correspondant aux problèmes de design, puis d'une méthode de simulation, de prise de décision, d'intervention, d'action et d'évaluation qui en découle.7  C'est là l'objectif principal de notre maîtrise.

 

Nous voyons d’ores et déjà que cet objectif principal interpelle tout autant les candidat-e-s souhaitant poursuivre leur carrière professionnelle que ceux et celles qu’appelle un cheminement universitaire, qu’il soit voué à la recherche ou à l’enseignement.  Qui pourrait affirmer en effet que la modélisation de la complexité devrait être le monopole des uns plutôt que des autres?  Nous anticipons avec beaucoup d’enthousiasme la stimulation réciproque que ne manquera pas de susciter la présence et la confrontation dans un même séminaire de ces multiples intentions et perspectives.

 

Dans la mesure où la compréhension de la dynamique des systèmes complexes et celle des conditions d’intervention dans - et non uniquement sur - de tels systèmes constituent le cœur de notre programme de maîtrise, une description plus circonstanciée des formes que revêt la complexité en design n’est pas superflue.  Nous croyons que cette description constitue à elle seule une justification de notre choix délibéré.

 

En design, que ce soit dans le domaine du design industriel ou d'intérieur, on peut distinguer quatre champs où la complexité se manifeste. Ceux-ci constituent les principaux thèmes d’étude et de recherche de notre programme.  Deux d’entre eux se situent à l’intérieur du processus de design, les deux autres lui sont périphériques, l’un en amont, l’autre en aval.  Résumons-les :

 

1)       La complexité méthodologique, celle du processus de design lui-même, résulte du nombre des acteurs parties prenante d’un projet (ingénierie simultanée ou concourante, management par le design), de la sophistication des outils logistiques (systèmes experts, méthodes d’analyse et d’évaluation), et de l’évolution des modèles théoriques (théorie des systèmes dynamiques complexes, sciences de l’artificiel, épistémologies des sciences de la conception et des sciences sociales).

 

2)       La complexité des produits du design, celle de leur fabrication (du prototype au produit final, CFAO), celle de leur usage (sécurité, ergonomie cognitive, multifonctionnalité et individualisation des produits), celle de leur signification (dimension symbolique, esthétique, sémantique; multiculturalisme, mondialisation) et celle de leurs interrelations avec leurs environnements (espace intérieur, impacts environnementaux, développement durable).

 

3)       La complexité des problématiques, en amont du projet, celle qui relève de la commande et de l’établissement du cahier des charges, de la pertinence culturelle et sociale des produits - que les Allemands, les Britanniques et les Scandinaves appellent leur “soutenabilité sociale”-, du contexte d’intervention, des enjeux éthiques.

 

4)       La complexité des impacts, en aval du projet, celle - surtout mais pas exclusivement - des conséquences environnementales de l’usage et du rebut des produits (eco-design), des méthodes d’évaluation globales (méthodes multicritères, scénarios et prospective), de la signification anthropologique des produits du design et de notre environnement technique (réalité virtuelle, technoéthique).

 

Nous verrons comment ces diverses complexités seront prises en compte dans le cheminement-type d'un-e candidat-e à la maîtrise, c'est-à-dire comment l'acquisition de l'intelligence complexe sera répartie parmi les diverses activités pédagogiques prévues (séminaires, cours, projet, recherche).

 

Notre volonté de mettre l’accent sur les aspects  formels de ce programme ne saurait cependant nous inviter à négliger les aspects substantiels, c’est-à-dire ce que l’on appelle couramment les contenus. L’état actuel de la recherche en design, d’une part, un certain nombre de problèmes (environnementaux, technologiques, sociaux, esthétiques, etc.), d’autre part, nous indiquent en effet quelques voies à privilégier fortement. Voici, à titre indicatif et sans aucune prétension à l’exhaustivité, quelques problématiques que nous souhaitons suggérerer à nos candidat-e-s ou que nous nous attendons à voir surgir du champ des pratiques :

 

-        la conception de produits et services dans le cadre du développement durable, ou éco-design;

-        la prise en compte des usagers dans une perspective anthropologique plus large que celle, dominante, des services de marketing des entreprises (dimensions symbolique, sémantique, culturelle, esthétique, spirituelle);

-        l’impact des NTIC sur la conception des produits et services (CAO, DAO, FAO);

-        l’impact des NTIC sur l’usage des produits et services (ergonomie cognitive, sociologie des techniques, techno-éthique);

-        la conception et l’évaluation des qualités sensorielles des produits et des cadres de vie et d’activités (couleur, lumière, toucher, son);

-        l’histoire anthroposociale du design et la génétique des produits industriels;

-        la pédagogie du design.

 

 

Quelle est l'originalité pédagogique de la maîtrise ?

 

Notre volonté, qui reflète une exigence épistémologique aujourd’hui incontournable, de dépasser la dualité anachronique théorie/pratique  obligeant à opter pour l’un ou l’autre des deux pôles s’excluant mutuellement, nous a amenés à réviser la définition traditionnelle de l’activité de recherche en proposant une méthode de recherche permettant de réconcilier théorie et pratique: la recherche-projet (project-grounded research).  Celle-ci, qui constitue l’originalité de notre programme et en commande la structure pédagogique, permet, en résumé, de valoriser et de mettre en œuvre l’expérience professionnelle acquise par nos candidat-e-s (au lieu de leur demander de la placer entre parenthèses) tout en les engageant dans un projet de recherche scientifique.  Examinons-en le principe.

 

La recherche-projet.  Les caractéristiques de cette méthode, empruntées à la “recherche-action” et à la “théorie ancrée” des sciences sociales, ont été décrites et justifiées en détail ailleurs.8  C’est pourquoi il suffira de les résumer ici.  Toute recherche scientifique s’effectue en général dans un “laboratoire” ou sur un “terrain”, la terminologie variant selon les disciplines scientifiques.  Nous proposons que le “terrain” privilégié pour la recherche en design soit le projet de design lui-même.  De la sorte, toute question de recherche, qui normalement  émane de la pratique du projet et d’un obstacle que celle-ci rencontre, sera traitée dans le champ même du projet, ce qui garantira la pertinence, tant de la question liée au projet que celle de la réflexion théorique propre à la recherche.  Les candidat-e-s à la maîtrise appuieront donc leur projet de recherche sur un projet de design soigneusement choisi, sans pour autant que les deux projets coïncident.  Le projet de design sert de support à l’investigation théorique; il est le terrain où sont mis à l’épreuve, “situés”, “engagés”, les hypothèses de recherche et les modèles théoriques développés.  Autrement dit, les questions scientifiques et théoriques qui font l’objet de la maîtrise sont examinées “ en situation ”, depuis la perspective propre à ce qui caractérise avant tout les disciplines de l’aménagement, donc le design: le projet.  Ainsi, comme le dit cette formule paradoxale de Alain Medam, «le dire sur le faire est affecté par le faire et, en retour, le faire affecté par son dire».

 

En raccourci, on pourrait dire que notre proposition est l’image-miroir de la R & D qui s’effectue dans l’industrie.  Alors que celle-ci privilégie le projet de design (“développement”) en ne considérant l’investigation théorique (“recherche”) que comme un support au projet, la recherche-projet prend pour objectif principal la production théorique (le mémoire de recherche) en s’appuyant sur le projet de design, celui-ci étant renvoyé “en annexe” du mémoire principal de la maîtrise.  Les deux projets sont néanmoins indispensables, dans la mesure où ils se fécondent mutuellement.

 

On remarquera qu’en principe, tout projet de R & D peut se transformer en projet de recherche universitaire, au prix d’un travail adéquat de problématisation.  « Je crois, dit Michel Foucault, que le travail qu’on a à faire, c’est un travail de problématisation et de perpétuelle reproblématisation…  Si le travail de la pensée a un sens, c’est de reprendre à la racine la façon dont les hommes problématisent leur comportement ».  La tâche consiste à transformer le “problème” de design (R & D) en “problématique”, c’est-à-dire à le placer dans un contexte de questionnement scientifique plus vaste, plus général et plus radical.9

 

Cette formule présente plusieurs avantages.  Tout d’abord, contrairement à la R & D, elle fait progresser les connaissances sur les deux plans, théorique et pratique, à la fois.  Elle permet ensuite aux candidat-e-s à la recherche de ne pas perdre le contact avec les milieux professionnels et d’y effectuer un retour plus aisé, si tel est leur souhait. Bien plus, grâce à la dimension internationale du programme, elle élargit les perspectives des candidat-e-s, alors que les maîtrises “traditionnelles” ont tendance à retirer les étudiant-e-s du milieu.  La recherche-projet ouvre même des perspectives économiques intéressantes, dans la mesure où la conduite d’un projet professionnel rémunéré n’est pas incompatible avec celle du projet de recherche universitaire.  Enfin, au plan scientifique, cette formule contribuera à asseoir la spécificité théorique des disciplines du design (ce que les Anglo-saxons appellent “the designerly way of knowing”) et la constitution d’un corpus de connaissances qui leur soit propre.

 

La dimension internationale.  Celle-ci constitue l’autre originalité importante du programme proposé.  Elle a fait l’objet d’une description détaillée dans un document antérieur, auquel il est donc possible de se référer.10  Notre intention est de mettre en valeur le réseau international que s’est construit l’EDIN au cours des années, réseau qui accueille régulièrement nos étudiant-e-s stagiaires de premier cycle (Annexe 3).  Par l’intermédiaire de nos partenaires européens (rappelons que l'ÉDIN est membre de l'ELIA, European League of the Institutes of Arts) et américains (auxquels sont en train de se joindre l’Australie et l’Asie), il est possible d’obtenir, pour les candidat-e-s à la maîtrise, des stages dans des entreprises et des laboratoires de recherche.  C’est là que nos étudiant-e-s poursuivront de front leur projet de design et leur projet de recherche.  Celui-ci pourra même (c’est ce que nous souhaitons) émaner du milieu industriel.  Un premier “prototype” a été testé selon ce modèle en Hollande (Annexe 4), une expérience qui s’est avérée plus que satisfaisante.  Une seconde expérience a été effectuée avec succès en été 1999 en France, dans le cadre du laboratoire de recherche industriel d’une grande école d’ingénieurs et selon la même formule.  Une convention-type a été préparée pour encadrer, tant scientifiquement qu’administrativement, ces séjours et ces échanges (Annexe 5).

 

Il convient de préciser que le principe de la recherche-projet et la dimension internationale constituent des horizons et non des contraintes.  En effet, il ne nous apparaît pas raisonnable, pour le moment du moins, d’en faire des obligations incontournables.  La persistance des “habitus” académiques nous invite à la prudence et c’est pourquoi l’implantation d’une telle nouveauté est envisagée de façon progressive.

 

Le stage.  Le stage constitue donc un moment fort de la maîtrise, option «Design et complexité».  En effet, cette activité, d'une durée variant entre 3 et 6 mois, permet à l'étudiant-e de participer à la vie d'une équipe de professionnels ou de chercheurs, sur une problématique convenue préalablement avec son superviseur de stage du milieu (le superviseur-terrain) et le coordonnateur universitaire de stages de la maîtrise, option «Design et complexité»; ce dernier a pour mandat de favoriser la liaison entre la direction du programme de la maîtrise Aménagement et les milieux où se dérouleront les stages. Les stages s'effectuent dans un établissement ayant une reconnaissance de l'École de design industriel (Annexe 3).

 

Les démarches reliées à la recherche d'un milieu de stage relèvent de la responsabilité de l'étudiant-e. Le choix et l'approbation d'un milieu de stage, commenceront dès le début de la session précédant  celle du stage et comporteront plusieurs étapes de la part de l'étudiant-e, entre autres: examen avec le coordonnateur universitaire de stages, des possibilités de stage, des thèmes de stage et énonciation des objectifs; demande d'approbation du projet de stage par le superviseur-terrain du milieu choisi par l'étudiant-e; entente sur les objectifs, les intérêts, les modalités générales de réalisation du stage.

 

Il est entendu que les objectifs liés au projet de stage ne sont pas figés et qu'ils pourront évoluer.  Ainsi, l'étudiant-e pourra les finaliser en même temps que se précisera le projet, au cours des toutes premières semaines du stage. 

 

Toutes les informations nécessaires et les conditions relatives à la tenue d'un stage seront fournies aux étudiant-e-s, aux milieux de stage et aux professeurs de l'École de design industriel et de design d'intérieur par le biais d'un guide de stage (à élaborer). 

 

 

Résumons-nous.  La M.Sc.A. (aménagement) option “Design et complexité” est une maîtrise de recherche avec mémoire.  Elle a pour but de développer auprès des candidat-e-s une “intelligence complexe”, c’est-à-dire la capacité de saisir, dans un processus de recherche, la complexité croissante des problèmes de design, quel que soit le lieu où se manifeste cette complexité (méthodologie, technologie, évaluation, problématisation, etc.). La méthode de recherche privilégiée est la recherche-projet, qui a pour caractéristique principale de réconcilier les dimensions pratique et théorique du design.  Enfin, une partie importante de la recherche s’effectuera dans une entreprise ou un laboratoire situés à l’étranger.

 

 

À qui s’adresse cette maîtrise?

 

Nous avons procédé à une étude d’opportunité auprès de divers intervenants des milieux industriel, institutionnel et professionnel au Québec.  Les réponses ont été en grande majorité très favorables.  À cela, il convient d’ajouter les écoles étrangères avec lesquelles nous entretenons des relations d’échange, ainsi que leurs propres réseaux d’entreprises; elles se sont montrées très intéressées par ce programme.  En effet, lorsqu’il existe des programmes de maîtrise dans notre discipline (ce qui est encore rare), il s’agit pour la plupart de maîtrises professionnelles, orientées vers le projet de conception et la réalisation de prototypes fonctionnels avec partenaires industriels.  Ce qui intéresse les écoles étrangères et canadiennes, c’est l’originalité et l’envergure de notre programme de formation théorique et méthodologique.

 

Le nouveau diplôme s’adresse donc en priorité aux designers (en général) qui possèdent déjà une expérience professionnelle et ressentent le besoin d’approfondir un aspect particulier de la discipline, d’élargir une problématique de façon plus systématique, de cerner un enjeu (méthodologique, théorique, technologique, culturel, économique, social ou autre) de la pratique, ou encore de s’aménager une période de réflexion, de recul ou même de remise en question propice à une réorientation de carrière, ce que n’autorisent guère les exigences pressantes de la pratique quotidienne.  Le diplôme s'adresse également aux étudiant-e-s fraîchement diplômé-e-s qui éprouvent un intérêt pour la recherche et la poursuite d’un travail intellectuel souvent déjà entamé au premier cycle, ainsi qu’aux diplômé-e-s d’autres disciplines ayant perçu l’enrichissement que pouvait procurer à leur formation professionnelle préalable la perspective propre à la recherche en design.  Parmi ces autres disciplines figurent bien entendu les disciplines du design au sens large (celles de l’aménagement), mais également toute autre discipline universitaire, dans la mesure où les candidat-e-s se sont familiarisé-e-s avec le processus et la culture du projet.  Enfin, nous sollicitons activement la venue de diplômé-e-s des écoles de design étrangères, dans le cadre de notre programme d’échange international original.

 

Nous souhaitons, dans la période d'implantation, limiter les admissions à 12 candidat-e-s pour nous assurer la meilleure qualité pédagogique possible en regard des ressources dont nous disposons et de ce que le « marché » est susceptible d’absorber.  En nous tenant à un minimum très conservateur de 8 diplômés par année, on peut estimer que le quart se dirigera vers le doctorat, un autre quart au moins exploitera la spécialisation acquise pour se diriger vers une activité de conseil, le reste reprenant son activité professionnelle avec l’espoir que l’attitude et l’aptitude de recherche acquises seront implantées dans l’entreprise. 

 

 

Ressources

 

Il convient de distinguer les ressources académiques, d’une part, et les partenaires industriels ou institutionnels de l’autre.  Aux professeurs de l’École de design industriel pourront se joindre d’autres collègues de la Faculté (pour les cours, par exemple, ou comme co-directeurs de recherche) pour constituer le corps professoral de la Maîtrise en design (Annexe 6).  Le Groupe de recherche appliquée au design (GRAD) est le lieu tout désigné pour accueillir les activités de recherche de nos future-s étudiant-e-s, et nous entretenons l’espoir de créer une Chaire en design dans cette même perspective.  Aux partenaires industriels et institutionnels avec qui nous pratiquons déjà de nombreux échanges, de nouveaux partenaires viendront s’ajouter rapidement, dans le cadre des protocoles d’échange disponibles.  Enfin, l’Institut de design de Montréal (IDM) s’est d’ores et déjà déclaré comme partenaire privilégié d’un tel programme.  Nous collaborererons volontiers avec les groupes de recherche et laboratoires déjà établis à la Faculté (Chaire en paysage et environnement, GRCAO, GRIET, par exemple) dans la mesure où ils sont susceptibles d’accueillir nos candidat-e-s au cours de leur stage, au même titre que nos autres partenaires.

 

L'équipement des laboratoires en matériel, dans la mesure où il deviendra nécessaire, sera financé par le secteur privé auprès duquel nous agirons en tant qu'experts et consultants.  Les institutions subventionnaires seront bien sûr sollicitées en temps utile.

 

Du point de vue budgétaire, les chiffres fournis par les services de planification de l’U de M (132 $/crédit-étudiant/trimestre) nous permettent d’envisager, pour une cohorte de 12 candidat-e-s par année, la possibilité de dégager l'équivalent d'un-e professeur-e à plein temps chargé-e des tâches de direction scientifique et gestion pédagogique (1/4 de temps), ainsi que celles d’enseignement (3 nouveaux cours, 1 cours modifié: Annexes 1 et 2) et de direction de recherche qu’exigera le nouveau programme (Annexes 6).

 

 

 

Notes

 

1.       Proposition d’un cadre d’ensemble des programmes de formation, Faculté de l’aménagement, 6 mai 1998.

 

2.     Le directeur scientifique et responsable pédagogique désigné de ce programme, Alain Findeli, a lui-même contribué à ces recherches dans le cadre de trois subventions de recherche successives du CRSH (subvention stratégique en éthique appliquée (1989-92), subventions ordinaires du comité des études pluridisciplinaires (1993-96 et 1997-2000)). Les résultats ont fait l’objet de plusieurs publications et communications et ont été validés en diverses  occasions et sous diverses formes, ce qui leur a valu d’être par la suite intégrées dans des enseignements, tant au premier cycle qu’aux cycles supérieurs.

 

3.     L’expression “pathologique”est empruntée à Jean-Pierre Boutinet qui l’utilise dans son ouvrage Anthropologie du projet (Paris, PUF, 4e éd., 1996). Cet auteur figure en bonne place parmi les chercheurs évoqués dans la note ci-dessus.

 

4.         L’autonomie épistémologique de la technique à l’égard de la science est désormais bien établie, grâce aux travaux en histoire des techniques, en anthropologie culturelle, en sociologie de la connaissance, en psychologie cognitive, en phénoménologie de l’action et, bien sûr, en épistémologie des pratiques. Pour une vision historienne, on consultera avec profit le chapitre consacré à cette question (“Is technology applied science?”) dans l’ouvrage de J. Staudenmeier, Technology’s Storytellers (Cambridge, MIT Press, 1989). Pour une analyse plus serrée des professions, on relira le chapitre introductif de D. Schön, Educating the Reflective Practitioner (San Francisco, Jossey-Bass, 1987). Pour le design en particulier, voir A. Findeli, “Will design ever become a science?” in P. Strandman (ed.), No Guru, No Method. Discussion on Art and Design (Helsinki, UIAH, 1998, p. 63-69).

 

5.         Ch. Frayling, Research in Art and Design, RCA Research Papers #1, 1993/94.

 

6.         P. Lalande, Projet de création d’un groupe de recherche à l’ÉDIN, 30 sept. 1998.

 

7.         L’aménagement n’a pas échappé aux conséquences de la vision complexe de la réalité qui a bouleversé de nombreuses disciplines. Pour les disciplines professionnelles et dans le domaine francophone, on se référera aux travaux entrepris depuis 25 ans au sein du Programme Européen pour la Modélisation de la Complexité (<mcxapc.org>), société savante transdisciplinaire et pluriprofessionnelle, sous la vigilance épistémologique de Jean-Louis LeMoigne. C’est ce dernier qui nous a livré en traduction française The Sciences of the Artificial de H. Simon, considéré comme l’un des ouvrages fondateurs des sciences de la conception. À cet égard, signalons que nous avons préféré conserver le terme de “design” pour notre programme, plutôt que celui de “sciences de la conception” qui aurait également pu convenir.

 

8.         La notion et la pratique de la recherche-projet constituent les résultats d’un projet de recherche fondamentale entrepris depuis une dizaine d’années (cf. note 2 ci-dessus). Ce projet à visée théorique au départ connaît actuellement ses retombées dans la pratique : pratique professionnelle, pratique de recherche, enseignement, consultation. Le concept central, la recherche-projet, a été validé à plusieurs reprises sous des formes diverses (publications, communications, séminaires, direction d’étudiant-e-s) et a suscité un certain intérêt auprès des responsables des programmes d’études doctorales en design actuellement en voie d’établissement partout dans le monde. Au premier colloque majeur qui les a réunis en 1998 (R. Buchanan et al. (dir.), Doctoral Education in Design, Pittsburgh, CMU, 1999) font suite les deux colloques organisés en Europe en été 2000. Le principe de la recherche-projet a été décrit dans A. Findeli, “La recherche en design. Questions épistémologiques et méthodologiques” (Int. J. of Design and Innovation Research, I, 1, juin 98, 3-12). L’auteur a également été invité à diriger la publication du numéro spécial consacré à la recherche d’une des deux revues les plus reconnues internationalement dans la discipline (A. Findeli, Guest Editor, Design Issues, special issue on Design Research, XV, 2, Summer 1999). L’émergence du concept de recherche-projet fait écho à une intense activité de remise en question de nos disciplines et à la volonté de création de diplômes d’études supérieures en design dans plusieurs écoles américaines, européennes, australiennes et asiatiques. Voir par exemple A. Seago, Research Methods for Mphil and PhD students in Art and Design (RCA Research Papers #3, 1994-95).

 

9.         Dans son Journal métaphysique, le philosophe personnaliste Gabriel Marcel distingue, quant à lui, le problème, “ce qui est ‘ devant’  moi, [ce qui] est justiciable d’une certaine technique appropriée en fonction de laquelle il se définit (et toute technique consiste à résoudre des problèmes d’un type déterminé)”, du mystère , qui est “une réalité où je me trouve engagé,… [et qui] transcende par définition toute technique concevable”. On pourrait, sans trop solliciter le sens, établir une analogie avec les systèmes complexes rencontrés en design, ce que confirmerait la notion de “soutenabilité sociale des projets” développée en Allemagne.

 

10.       R. Camous, Maîtrise internationale en design industriel. Proposition, EDIN, 11 octobre 1996.