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LE PORTEFEUILLE DES ETUDES MCX-APC N°15

INTELLIGENCE DE LA COMPLEXITE

Chemin faisant…

" Je n’avais, je n’ai toujours qu’une seule réponse : ne reprenez pas mes sentiers, ne reprenez pas les sentiers des autres, inventez vos propres chemins. Ils seront ainsi votre découverte, ils auront la saveur, le bonheur de ce qu’on a choisi…C’est le regard et le désir qui comptent… "

Jacques Lacarrière "  Chemin Faisant "

Ethique du travail social, travail social de l’éthique… L’une et l’autre sont à l’honneur de ce quinzième Portefeuille MCX (Lettre n° 33), vivant l’un par l’autre en des interactions, toujours à reprendre, toujours à accroître, tissant l’une avec l’autre une spirale sans fin.

Car l’une est l’esprit qui donne à l’action de l’autre ses lettres de morale, tandis que l’autre en est la chair, ancrée dans la dure réalité des autres, lui donnant sa finalité par cette pâte si loin de la moralité.

L’une fabrique un sens pour guider l’autre dans sa quête de cohérence, cet autre qui en se colletant quotidiennement à l’incohérence des cinq sens, lui ramène l’enluminure de la rue qui enrichira leur commune texture .

Si l’une met en règles l’art de se bien conduire, l’autre sait dévier du code de la route, et avec leur obéissance/transgression s’entrelace une reliance d’avenir…

Oui, l’Ethique a besoin du travail social pour être moins étique, et le travail social a besoin de l’éthique pour demeurer social…

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Le Portefeuille des Etudes MCX est "édité" par Evelyne Biausser qui nous propose ici quelques fils d'Ariane pour cheminer dans les labyrinthes de la complexité constitués par l'enchevêtrement des multiples études que repèrent ou que publient les participants du Programme Européen MCX .

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L’ALLIANCE SUR TOUS LES FRONTS

" L’Alliance pour un monde responsable et solidaire n’est pas une institution comme les autres mais un chemin qui se construit en marchant " rappelle Pierre CALAME, président de la Fondation pour le Progrès de l’Homme, qui soutient l’Alliance. Plus encore que l’originalité de sa finalité (réaliser une concertation mondiale infléchissant les désunions entre les hommes, et entre l’homme et sa planète), la stratégie organisationnelle est remarquable, véritable exemple de système complexe en action. Pour affronter la complexité des problèmes, se posant sous la forme de trente thèmes, exprimés en vingt langues, compliqués par des approches multiculturelles, afin de parvenir à de véritables Etats généraux de la planète en l’an 2000, il a fallu inventer une organisation en même temps que ses points de repère. La structure qui émerge s’articule en 4 grands organes : un conseil chargé de garder la mémoire de l’Alliance ; un comité stratégique pour recueillir les perspectives et les confronter les unes aux autres ; un comité d’organisation de l’assemblée 2000 ; une équipe dévolue à la gestion des conflits.

Un participant à une conférence de Pierre Calame a souligné un jour la parenté de sa démarche avec la Réforme, qui voulait elle aussi donner plus de place au local, en traduisant un texte centralisateur en différentes langues…L’un des chantiers de l’Alliance s’appelle d’ailleurs " Tour de Babel " et réunit les traducteurs pour qu’ils recensent les concepts de leur culture absents ou jugés intraduisibles dans les textes élaborés.

Dans le cadre d’une science citoyenne, autre aspect de la préoccupation réformatrice de l’Alliance, et à la lumière des problématiques soulevées par les Organismes Génétiquement Modifiés, Pierre CALAME dénonce l’orientation de la recherche conduite par de grandes compagnies internationales, et prône un débat public international sur les priorités de la recherche en accord avec les défis soumis à l’humanité d’aujourd’hui.

( D’après " L’assemblée 97 et ses suites ", " Le journal de l’école de Paris n°13", " Courrier de la planète n° 46 ", l’intervention de P. Calame au Grand Atelier MCX le 20 novembre 98) 

Fondation Pour le Progrès de l’Homme -tél: 01 43 14 75 75

E mail : paris@fph.fr

SYSTEMES OUVERTS CONTRE VIOLENCE INTERNE

Sur le thème  de la professionnalisation en travail social, Jean-Louis LE MOIGNE s’interroge sur les savoirs de ce domaine : il revient sur la nécessité d’une pensée reliant les " doubles liens " qui constituent la connaissance des citoyens travaillant en service social, et qui sont généralement disjoints : compétence/performance, efficience/effectivité, cohérence/pertinence. Ainsi deviendront-ils   " des citoyens-constructeurs de savoirs plutôt que des professionnels applicateurs de savoirs transmis. " ("Les savoirs du Service Social: acquis positifs ou construits épistémiques?" in La revue française de service social, sept. 98 , n°189-190, p.5-10)

Dans ce même domaine, plusieurs expériences témoignent de l’utilité de systèmes ouverts en thérapie.

André DEMAILLY (Université Paul Valéry de Montpellier) à travers l’historique, d’Homère à la 2^ème Systémique, reprenant le concept de contingence, réfléchit sur l’épistémologie du traitement de l’alcoolisme. Il est difficile de raisonner ou d’instruire un alcoolique. Pas de présupposé donc pour le thérapeute. Mais la construction de la réalité par des actions aussi tâtonnantes que celles de son patient, lesquelles révèlent avec l’aide d’une chimiothérapie, l’émergence progressive de la contingence, ouvrant les portes à " ce qui peut arriver ".

[Alcoologie, tome 20 (2)]

De même Yveline REY (CERAS, Grenoble) nous invite à comprendre l’anorexie à travers une démarche systémique selon une vision " grand angle, variant continuellement ".Pour décrypter le signifié du symptôme dans le contexte familial, elle fait dire ses relations à la famille sous la forme d’un conte, et le langage métaphorique libère " cette bouche doublement fermée " sur la faim et sur la parole.

.(Ouvrage collectif : " Soigner les anorexies graves ", à paraître chez E.S.F)

Approche systémique encore pour la toxicomanie, que Michel SILVESTRE (S.T.O.P.S, Marseille) tire de son expérience de quatre années comme directeur d’un centre de traitement de la banlieue de Los Angeles. Il y a développé le modèle de Stanton et Todd, où le toxicomane fonctionne comme un régulateur du système familial, ne parvenant jamais à le quitter dans un incessant cycle " de départs et retours " . Les résultats de cette méthode où la famille est associée étroitement au traitement (40% de réussite environ ) reposent sur trois piliers : l’arrêt de toute substance toxique avec analyses d’urine de contrôle ; une activité journalière régulière : travail ou études ; l’émancipation du milieu familial.

(" Thérapie familiale et toxicomanie ", publié dans la revue Thérapie Familiale, Genève, 1991, vol 12, n°4)

Micheline CHRISTEN (Association " Vivre sans violence ") s’inquiète, elle, que les modèles d’explication de la violence risquent de la légitimer comme un simple moment d’un cycle relationnel subi dans le couple. Aussi, sans renoncer au modèle de l’interaction maître-esclave, il ne lui semble pas suffisant. La violence intra-familiale évoluera si le contexte élargi évolue, grâce à l’action informative et éducative de tous les acteurs sociaux et juridiques. A " Vivre sans violence " en tous cas, la position éthique est claire : la responsabilité du passage à l’acte incombe à l’auteur seul.

( " Couple et violence " in Thérapie familiale, Genève, 1995, vol.16, n°3.

" Violence familiale-violence institutionnelle " publié dans Travail social et systémique I.E.S. Genève, 1994.

" De la participation des victimes à leur victimisation ", Thérapie familiale, Genève, 1997, vol 18, n°2)

Y a-t-il un pilote dans la science?

" Il y a quelque chose de faustien dans le pacte grandiose que nous propose le siècle des biotechnologies " déclare Jérémy RIFKIN dans son dernier livre " Le siècle des biotechnologies " (La découverte, 1998). Il est l’interprète d’une crainte grandissante d’une partie de la communauté scientifique : un avenir grandiose, oui, mais à quel prix ? Dans les biotechnologies, nous dit l’auteur (qui essaie par ailleurs d’obtenir un moratoire sur les manipulations génétiques, et un interdit sur les formes de chimères homme - animal à des fins médicales*) deux approches s’opposent : une réductionniste, du type  biologie cellulaire, l’autre systémique, du type science écologique, où les interventions sur la nature sont envisagées comme des interactions dans la biosphère. La première est évidemment favorisée par le marché rentable à court terme. J.Rifkin appelle un " changement paradigmatique de notre conception de la science " pour la faire évoluer.

(*En tant que Président de la Foundation on Economic Trends –Washington)

Même orientation de Pierre CALAME, président de la FPH, qui souhaite faire entrer la science dans le champ de la gouvernance, celui des régulations sociales, politiques et administratives, celui en fait de la citoyenneté, pour en limiter les abus.

Au nombre desquels, et non le moindre, on peut citer le commerce génétique que des entreprises gigantesques spécialisées dans la science sont en train d’organiser pour le XXIème siècle, les gènes se dessinant, après le pétrole et les minerais, comme la future matière première…(Office d’analyse et de prévision de l’Unesco)

Dans la cadre de l’application du principe de précaution, que beaucoup placent désormais comme condition prioritaire à notre survie, Guy PAILLOTIN ( Président de l’Inra France) et Patrick LEGRAND ( Président de France - Nature - Environnement) estiment que la recherche devrait se rapprocher de la demande sociale, que les chercheurs devraient se former à la dimension éthique de leurs programmes, et que l’analyse des risques technologiques devrait être développée, alors même que ce domaine transdisciplinaire n’est pas considéré par eux comme un objet scientifique légitime.

(In Archipel d’octobre 1998.

Courrier de la Planète n° 46 – Site web : http///www.rio.net/solagral )

FORMER AUTREMENT

André de PERETTI, qui a été Conseiller auprès de nombreux ministres de l’éducation, vient de publier une " Encyclopédie de l’évaluation en formation et en éducation "(ESF). Dans une interview pour le Monde de l’éducation, il propose de nouvelles modalités pour l’évaluation et la formation des enseignants. Ceux-ci pourraient rédiger un rapport d’activité, sur des critères autres que ceux habituellement retenus, tels que ses efforts en faveur de l’innovation, d’une pédagogie différenciée,

de sa collaboration avec le CDI, de sa propre information, en plus de ses résultats auprès des élèves. Les enseignants devraient être recrutés sur leurs capacités relationnelles autant que sur leurs acquis cognitifs, qu’ils alimenteraient par des formations, que leur institution elle-même pourrait prescrire. Cela aiderait peut-être les enseignants à sortir de l’individualisme clos dans lequel le système actuel les cantonne.

(Le monde de l’Education de septembre 1998)

Deux centres de formation associés La Durance en Provence, et Rescif en Alsace, se sont interrogés sur leur pratique : que transmettre et comment, quand on forme des travailleurs sociaux à l’intervention systémique ? Pour eux, il s’agit de former à l’expérimentation du travail sur et à travers l’interaction : interaction entre d’autres personnes et le stagiaire, interaction entre un problème à traiter et lui, interaction entre un groupe de collaborateurs et lui, interaction entre une façon habituelle de travailler et une autre qu’il apprend, enfin interaction entre tous ces domaines. Interactions complétées par celle avec l’institution professionnelle et la théorisation pour aboutir à l’émergence du " style " de chacun.

(" Une expérience de formation " in Thérapie familiale, Genève 1996, vol n°17, n°2)

COMPLEXITE CHEZ LES TERMITES ET LES ANIMATS

Dans un récent article de La Recherche, il est évoqué que la coordination entre insectes sociaux (termites, fourmis, guêpes) répond à trois logiques distinctes : l’auto-organisation, l’auto-assemblage et l’adhésion différentielle, semblant " prouver qu’il existe dans la nature quelques grandes familles de mécanismes servant à produire les formes que l’on rencontre dans l’ensemble du domaine biologique ". Bien qu’aucun animat (agent simulé sur ordinateur ou robot matériel) ne puisse rivaliser en complexité avec un termite, la recherche sur les animaux artificiels fait apparaître une approche complémentaire de l’intelligence artificielle . En effet, une perspective évolutionniste essaie de comprendre comment les capacités cognitives découleraient de l’aptitude ancestrale à survivre.

(La Recherche n°313, Octobre 1988)

DEMOCRATIES ?

Archipel, sous-titré " Journal du forum civique européen " a le mérite de s’attaquer par le Verbe à l’iniquité et la pauvreté…en Russie, à Madagascar, au Kurdistan, en Afrique. Elan généreux, mais les pauvres européens manqueraient-ils d’exotisme ?

Le numéro 19 d’HERMES, coordonné par Patrice Meyer-Bisch, traite des Voies et impasses de la démocratisation, à considérer dans un contexte culturel de dialogue. Une première partie

collationne un échantillon d’essais des Pays de l’Est, se soldant pour l’instant par " une valse des modèles ". La deuxième partie tente de définir le modèle de la personnalité démocratique en Occident, mais le modèle manque. Enfin, les recherches de démocratisation montrent que droits de l’homme, réseaux et démocratie vont de pair dans les démocraties de longue date, encore qu’on y oublie trop souvent les droits culturels et économiques et sociaux.

(CNRS Editions –20/22 rue Saint-Amand 75015 Paris)

ET L’ELECTRICITE FUT…

Qu’adviendrait-il si les lois de la physique figuraient au code civil ?…

Ou si l’abus de ressources naturelles épuisables était assimilé à un abus de biens sociaux ? Questions incongrues, mais fort argumentées que nous pose Maurice PASDELOUP dans un récent numéro de " La gazette nucléaire " (GSIEN, août 98, n°167/168, p28-30)

Peut-être en effet faudrait-il introduire dans notre culture épistémologique quelques dispositifs d’attention ? Nous savons tous que le principe de Carnot ne permet pas un rendement bien satisfaisant (30 à 40%) dans la conversion d’énergie thermique en énergie mécanique et électrique…Mais nous savons aussi que l’on peut, si on le veut (ou le doit ?) " récupérer " la chaleur ainsi générée en excédents parfois considérables (une centrale de 1200 Megawatts électriques écoule dans l’atmosphère quelque 2400 Megawatts thermiques !) En principe, nous sommes très nombreux à le savoir, puisque c’est au programme du baccalauréat ; mais par manque de civisme, comme d’appréhension de la pensée récursive, nous ne voulons pas prêter attention aux ressources banales de la cogénération ou des pompes à chaleur (" merveille thermodynamique qui permet d’obtenir 3 à 4 fois plus de chaleur que d’électricité consommée pour cela " …que " les marchands d’électricité n’ont que rarement encore encouragées " !)

Nous n’y prêtons pas attention parce que nous n’y sommes guère incités par une culture positiviste et productiviste qui voit nos sociétés comme si elles étaient constituées d’abeilles myopes n’optimisant que le rapport " poids de miel sur poids de cire ". Et lorsqu’il est question de proposer une autre culture, moins linéaire et réductrice, plus récursive et fonctionnelle dans nos écoles d’ingénieurs, nous ne nous indignons pas des réactions corporatistes et scientistes de nos élites. Ne devrions- nous pas les interpeller en leur faisant procès d’atteinte aux Droits de l’homme et du citoyen par manque de civisme épistémologique ? ! Maurice PASDELOUP s’interroge en concluant : " Peut-on enseigner encore la thermodynamique sans inscrire dans une véritable ""insurrection des savoirs " celle qu’appelle notre " entendement de la complexité " ? (JLM)