Les Introuvables en langue française de H.A.Simon .(Document n° 5 )

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DE LA RATIONALITÉ SUBSTANTIVE

A LA RATIONALITÉ PROCEDURALE

Herbert A. Simon

Nous remercions les éditeurs de la Revue PISTES, qui veulent bien nous communiquer l'enregistrement de ce texte important de H.A. Simon.Ils avaient traduit et publié ce document dans le numéro 3 (octobre 1992) de la revue (ISSN 1157 2884.L'article était introduit par une note que l'on reproduit ci après.

Note des éditeurs français:

Cet article de H.A. Simon est sans doute le premier texte dans lequel il présente la dualité entre deux formes de rationalités, qu'il baptise "substantive" et "procédurale". Cet argument fut présenté initialement lors d'un colloque organisé en Hollande, à l'occasion du vingt cinquième anniversaire de la Faculté d'Economie de l'Université de Groningen, en 1973, colloque qui ne fit pas l'objet d'une publication (Juste un an après la parution du célèbre "Human Problem Solving" codirigé par H.A. Simon et A. Newell qui allait "fonder" les sciences de la cognition). H.A. Simon profita d'un autre symposium international, organisée à Nauplée, en Grèce, peu après, sur la philosophie de la science, pour mettre en forme sa thèse et pour la rédiger dans ce contexte: son article est une des contributions à un ouvrage collectif (sans doute les actes du colloque de Nauplée), ouvrage colligé par S.F. Latsis et publié en 1976 par "Cambridge University Press", Cambridge, G.B.. Ce recueil qui contient divers autres textes d'économistes Nord Américains réputés, auxquels H.A. Simon fait allusion dans une note (Latsis, Coats, Hutchinson ...) fut publié sous le titre "Method and Appraisal in Economics", S.J. Latsis editor. L'article de H.A. Simon paraît pages 129 à 148.

Plusieurs autres études de H.A. Simon sur la rationalité paraîtront peu après (en 1978, année où il reçut le prix Nobel de Science Economique). Il rassemblera plus tard tous ses textes sur la Rationalité dans le chapitre VIII de "Models of Bounded Rationality", vol. II (M.I.T. Press, 1982).L'article "From substantive to Procedural Rationality" paraît pages 424-443. Jean-Louis Le Moigne a consacré une étude en français à la conception de la Rationalité proposée par H.A. Simon sous le titre: "Sur la capacité de la raison à discerner les deux formes de rationalité, substantive et procédurale (d'Aristote à H.A. Simon, par Descartes et Vico)" publiée dans "Calculer et Raisonner - Les usages du principe de rationalité dans les sciences sociales", J.C. Passeron et L.A. Gérard Varet, Ed. Editions de l'E.H.E.S.S., Paris, 1993 (chapitre 2).

Traduction de l'anglais: Dagmar Ernst & Dominique Miermont

Note des traductrices: pour préserver la différence, en anglais, entre "efficiency" et "effectiveness", ("efficacité", en français), nous avons choisi de maintenir la distinction en français, en traduisant "efficiency" par "efficience", qui renvoie à l'idée de compétence, et "effectiveness" par "effectivité", qui renvoie à l'idée de performance réalisée (à partir de la remarque de J.L. Le Moigne dans "La théorie du système général", p. 210, et dans la conférence du même auteur, p. 74 de cette revue).


Dans son article sur "Le Déterminisme Situationnel en Economie", Spiro J. Latsis a décrit deux programmes de recherche concurrents traitant de la théorie de l'entreprise, l'un baptisé "déterminisme situationnel", l'autre "behaviorisme économique". La différence fondamentale qui existe entre ces deux programmes, c'est que le deuxième exige comme élément essentiel une théorie psychologique de choix rationnel alors que le premier n'en a pas besoin. Le déterminisme situationnel et le behaviorisme économique postulent tous deux que le comportement est, dans un certain sens, rationnel, mais la signification du terme "rationnel" est assez différente pour ces deux programmes.

Le conflit existant entre le déterminisme situationnel et le behaviorisme économique a été souvent analysé du point de vue privilégié des sciences économiques, comme si les conceptions contradictoires de la rationalité associées aux deux programmes étaient toutes deux inhérentes à l'économie. En réalité, le déterminisme situationnel est inhérent à l'économie, mais le behaviorisme économique est en grande partie un apport de la psychologie, introduit dans l'économie pour traiter certains problèmes dont il est apparu qu'ils ne pouvaient être résolus de façon satisfaisante par l'approche situationnelle. Ainsi, le concept de rationalité utilisé dans le programme du behaviorisme économique n'est pas une simple adaptation du concept utilisé auparavant par les économistes qui suivaient le programme du déterminisme situationnel. C'est un concept distinct qui a ses origines propres à l'intérieur de la psychologie. J'utiliserai l'expression "rationalité substantive" pour faire référence au concept de rationalité tel qu'il s'est développé en économie, et "rationalité procédurale" pour faire référence au concept tel qu'il s'est développé en psychologie.

Une personne non familiarisée avec l'histoire et la recherche actuelle en économie et en psychologie cognitive pourrait penser qu'il y avait des relations étroites entre ces deux champs - comme un flux constant et à double sens entre les concepts théoriques et les résultats empiriques. Monsieur Coats, dans le chapitre publié dans ce livre, décrit toute une série de tentatives anciennes, s'étant généralement soldées par un échec, pour faire en sorte que les résultats de la psychologie puissent être appliqués à la théorie économique. A l'heure actuelle, il y a toujours fort peu de communication entre les deux champs. Aux Etats-Unis, tout au moins, il ne semble pas y avoir pour les étudiants préparant le doctorat d'économie des cours exigeant d'eux qu'ils maîtrisent la littérature psychologique sur la rationalité; de même, il n'y a pas pour les étudiants en psychologie des cours les contraignant à connaître les théories économiques de la rationalité. (Je serais très heureux d'apprendre que de tels cours existent, mais si c'est le cas, ils passent pour le moins inaperçus.) Cet état d'ignorance réciproque devient compréhensible quand on réalise que la recherche en économie et en psychologie a pour objectif de répondre à des séries d'interrogations très différentes et que chacun de ces champs a adopté une conception de la rationalité plus ou moins appropriée à ses propres problèmes de recherche. Comme ces problèmes changent, bien sûr, les concepts de base et les programmes de recherche dans lesquels ils sont ancrés doivent changer également.

Dans cet article, je vais d'abord chercher à expliquer les termes de "rationalité substantive" et de "rationalité procédurale" - les différences ainsi que les relations existant entre eux. J'essaierai ensuite d'analyser l'intérêt croissant qu'ont manifesté les économistes pendant les vingt-cinq dernières années pour la rationalité procédurale et pour le programme concomitant de behaviorisme économique. Pour finir, j'indiquerai pour quelles raisons on peut penser que la rationalité procédurale deviendra un problème économique encore plus central pendant les vingt-cinq années à venir. Ces changements, passés et prévisibles, sont une réponse aux changements qui interviennent dans les questions fondamentales dont s'occupe la recherche en économie. Les nouvelles interrogations concentrent l'attention sur de nouveaux phénomènes empiriques, et l'explication des nouveaux phénomènes réclame en retour une compréhension des processus à la base de la rationalité humaine.

1. Rationalité substantive

Le comportement est substantivement rationnel quand il est en mesure d'atteindre les buts donnés à l'intérieur des limites imposées par les conditions et les contraintes données . Notons que, par définition, la rationalité du comportement ne dépend de l'acteur que d'un seul point de vue - celui des buts. Une fois ces buts fixés, le comportement rationnel est entièrement déterminé par les caractéristiques de l'environnement dans lequel il a lieu.

Supposons par exemple que le problème est de minimiser le coût d'un régime nutritionnel adéquat pour lequel l'adéquation nutritionnelle est définie en termes de consommation minimale de certaines protéines, vitamines et sels minéraux, et de nombre minimum et maximum de calories, et où sont spécifiés les prix à l'unité et la composition des aliments disponibles. Ce problème de régime peut être (et a été) formulé comme un problème de programmation linéaire directe, et la solution correcte a été trouvée en appliquant l'algorithme simplex ou quelque autre procédure computationnelle. Une fois que l'on s'est fixé pour but un coût minimal et que l'on a défini ce qui était "nutritionnellement adéquat", il n'y a pas deux façons d'aboutir - mais une seule solution substantivement rationnelle .

L'analyse économique classique repose sur deux hypothèses fondamentales. La première hypothèse est que l'acteur économique a un but particulier, par exemple, une utilité ou un profit maximum. La seconde hypothèse est que l'acteur économique est substantivement rationnel. Une fois que ces deux hypothèses ont été posées et que l'on a fait une description d'un environnement économique particulier, une analyse économique (descriptive ou normative) pourrait normalement être effectuée en utilisant des outils classiques tels que le calcul différentiel, la programmation linéaire, ou la programmation dynamique.

Ainsi, les hypothèses d'utilité ou de maximalisation du profit d'une part, et l'hypothèse de rationalité substantive d'autre part, ont préservé l'économie de toute dépendance envers la psychologie. Tant que ces hypothèses n'étaient pas remises en question, il n'y avait aucune raison pour qu'un économiste se familiarise avec la littérature psychologique concernant les processus humains de cognition ou de choix. Il n'existait absolument aucun lieu où les résultats de la recherche en psychologie auraient pu être appliqués au processus d'analyse économique. L'inadéquation de la psychologie à l'économie était totale.

2. Rationalité procédurale

Le comportement est rationnel de manière procédurale quand il est le résultat d'une réflexion appropriée. Sa rationalité procédurale dépend du processus qui l'a généré. Quand les psychologues utilisent le terme "rationnel", c'est généralement à la rationalité procédurale qu'ils pensent. William James par exemple, dans ses Principles of Psychology, utilise le mot "rationalité" comme synonyme de "processus de réflexion particulier appelé raisonnement". Inversement, le comportement tend à être décrit comme "irrationnel" en psychologie quand il représente une réponse impulsive à des mécanismes affectifs sans une intervention adéquate de la pensée.

C'est peut-être parce que la "rationalité" ressemble de trop près au "rationalisme" et parce que la psychologie s'intéresse plutôt au processus qu'au résultat que les psychologues ont tendance à utiliser des expressions comme "processus cognitif" et "processus intellectif" quand ils écrivent sur la rationalité du comportement. Ce changement dans la terminologie pourrait avoir contribué à augmenter le fossé entre les concepts de rationalité substantive et procédurale.

(a) L'étude des processus cognitifs

Le processus de calcul rationnel n'est intéressant que s'il n'est pas trivial - c'est-à-dire si la réponse substantivement rationnelle à une situation n'est pas immédiatement évidente. Si vous posez une pièce de un franc et une autre de cinq francs devant quelqu'un et si vous lui dites qu'il peut avoir l'une ou l'autre mais pas les deux, il est facile de deviner laquelle il va choisir mais beaucoup plus difficile d'apprendre quelque chose sur ses processus cognitifs. De ce fait, on étudie généralement la rationalité procédurale dans des situations problématiques - des situations dans lesquelles le sujet doit rassembler des informations très variées et les traiter de différentes façons pour aboutir à un déroulement raisonnable de son action, à une solution au problème.

Historiquement, il y a eu trois directions principales de la recherche psychologique sur les processus cognitifs: l'apprentissage, la résolution de problèmes, et l'élaboration de concepts. La recherche sur l'apprentissage s'occupe de la façon dont on extrait les informations d'une situation problématique et dont on les stocke de manière à faciliter la résolution de problèmes similaires ultérieurs. La recherche concernant la résolution de problèmes (au sens étroit) se concentre tout particulièrement sur les rôles complémentaires des procédures d'essai-et-erreur et de l'insight permettant de résoudre les problèmes. La recherche concernant l'élaboration de concepts s'occupe de la façon dont les règles et les généralisations sont extraites d'une séquence de situations, et utilisées pour prévoir des situations ultérieures. C'est seulement à une date récente, surtout depuis la Deuxième Guerre Mondiale, que l'on a essayé de regrouper les théories émergeant de ces trois grandes lignes de recherche.

(b) Efficience computationnelle

Retournons un instant au problème de régime optimal que nous avons utilisé pour illustrer le concept de rationalité substantive. D'un point de vue procédural, notre intérêt ne porterait pas sur la solution du problème - le régime tel qu'il a été prescrit - mais sur la méthode employée pour la découvrir. A première vue, cela semble être davantage un problème de mathématiques computationnelles que de psychologie. Mais cette impression est trompeuse.

Quelle est la tâche des mathématiques computationnelles ? C'est de découvrir les efficiences relatives de différents processus computationnels pour résoudre des problèmes variés. A la base de tout problème d'efficience computationnelle, il y a une série de suppositions concernant les capacités du système computant. Pour un être omniscient, il n'y a pas de problèmes d'efficience computationnelle car les conséquences de toute tautologie sont connues aussitôt que les prémisses sont posées ; et la computation est simplement le fait d'élaborer ces conséquences .

De nos jours, quand nous nous occupons d'efficience computationnelle, nous nous occupons du temps ou de l'effort computant qui serait nécessaire pour résoudre un problème par un système qui opère de manière fondamentalement sérielle et qui réclame certaines unités de temps irréductibles pour réaliser une addition, une multiplication et quelques autres opérations de base. Pour comparer la méthode simplex avec une autre méthode destinée à résoudre des problèmes de programmation linéaire, nous cherchons à déterminer combien de temps computant chaque méthode nécessiterait au total .

La recherche d'efficience computationnelle est une recherche de rationalité procédurale, et les mathématiques computationnelles sont une théorie normative de ce type de rationalité. Dans cette théorie normative, il est inutile de prescrire une solution particulière substantivement rationnelle s'il n'existe pas de procédure pour trouver cette solution en fournissant une quantité acceptable d'effort computant. Par exemple, bien qu'il existe des solutions optimales (substantivement rationnelles) pour les problèmes combinatoires du type voyageur de commerce , et bien que ces solutions puissent être découvertes par une énumération finie d'alternatives, une computation effective de l'optimum est irréalisable pour les problèmes, quelle que soit leur ampleur et leur complexité. L'explosion combinatoire de ces problèmes dépasse tout simplement les capacités des ordinateurs actuels et à venir.

Ainsi, une théorie de la rationalité pour des problèmes comme celui du voyageur de commerce n'est pas une théorie des meilleures solutions - de rationalité substantive - mais une théorie des procédures computationnelles efficientes pour trouver des bonnes solutions - une théorie de rationalité procédurale. Notons que ce changement de perspective implique non seulement un glissement du substantif au procédural mais également un glissement de l'intérêt pour les solutions optimales vers un intérêt pour les bonnes solutions. J'analyserai cet aspect plus tard.

(c) Computation: décisions à risques

Mais maintenant il est temps de revenir à la psychologie et à son intérêt pour l'efficience computationnelle. L'homme, vu comme penseur, est un système de traitement de l'information. Quelles sont ses procédures de choix rationnel ?

Une méthode pour tester une théorie de choix humain rationnel est d'étudier le comportement de choix dans des situations de laboratoire relativement simples et bien structurées où la théorie fait des prévisions spécifiques sur la façon dont les sujets se comporteront. Cette méthode a été employée par un certain nombre de chercheurs - y compris W.Edwards, G.Pitts, A.Rapaport et A.Tversky - pour vérifier si les décisions humaines face à l'incertitude et au risque peuvent être expliquées par les concepts normatifs de la théorie statistique de la décision. Ce problème est particulièrement intéressant parce que ces concepts normatifs sont étroitement liés, aussi bien sur le plan historique que logique, aux notions de rationalité substantive qui ont dominé en économie, et parce qu'ils ne font aucune concession aux difficultés computationnelles - ils ne préfèrent jamais la deuxième meilleure solution calculable à la meilleure solution non calculable.

Je n'ai pas le temps ici de recenser les nombreux textes produits par cette direction de recherche. Un compte-rendu récent de Rapaport couvre les tests expérimentaux de maximalisation USE (utilité subjective escomptée), des stratégies de Bayes pour des décisions séquentielles et d'autres modèles de choix rationnel fait dans l'incertitude. Je pense que l'on peut résumer honnêtement les résultats de ces tests en disant (i) qu'il est possible de construire des jeux de hasard suffisamment simples et transparents de manière que la plupart des sujets y réagissent d'une façon qui correspond à la théorie USE; mais (ii) si on s'écarte à peine de cette simplicité et de cette transparence, on produit chez un grand nombre ou chez la majorité des sujets un comportement qui ne peut pas être expliqué par les modèles USE ou par ceux de Bayes. J'illustrerai cette constatation par trois exemples dont j'espère qu'ils ne sont pas atypiques.

Le premier est le phénomène d'agencement d'événements. Supposons que vous confrontiez un sujet avec une séquence aléatoire de X et de O, dont 70 pour cent sont des X et 30 pour cent des O. Vous demandez au sujet de deviner le prochain symbole, et vous le récompensez pour le nombre de prévisions justes. "Evidemment", le comportement rationnel est toujours de prédire un X. C'est ce que les sujets ne font presque jamais 1. Au lieu de cela, ils font toujours comme si la séquence était structurée et non aléatoire, et ils font leur prédiction en essayant d'extrapoler la structure. Ce type de prédiction conduira à ce que X soit prédit proportionnellement à la fréquence à laquelle il apparaît dans la séquence. Le résultat est que la séquence des prédictions a à peu près les mêmes caractéristiques statistiques que la séquence originale, mais les prévisions justes sont en nombre inférieur à ce qu'elles seraient si X avait été prédit chaque fois (58 pour cent au lieu de 70 pour cent).

Dans une étude récente de Kahneman et Tversky, c'est un phénomène tout à fait différent qui est apparu. La procédure rationnelle pour combiner de nouvelles informations avec d'anciennes est d'appliquer le théorème de Bayes. Si une série de probabilités a été attribuée aux résultats possibles d'un événement incertain et que l'on ajoute une nouvelle donnée, le théorème de Bayes fournit un algorithme pour réviser les probabilités préalables de façon à tenir compte de la nouvelle donnée. Une conséquence évidente du théorème de Bayes est que plus la nouvelle donnée est considérable et fiable, plus son influence devrait être grande sur les nouvelles probabilités. Une autre conséquence est que les nouvelles probabilités ne devraient pas dépendre uniquement de la nouvelle donnée mais tout autant des probabilités préalables. Dans les expériences conduites par Kahneman et Tversky, les estimations des sujets étaient indépendantes de la fiabilité de la nouvelle donnée et ne semblaient pas du tout être influencées par les probabilités préalables.

D'autre part, Ward Edwards a rendu compte d'un grand nombre de preuves expérimentales décrivant un comportement tout à fait prudent. Au cours de ces expériences, les sujets étaient loin de corriger leur estimation préalable de probabilité autant que le théorème de Bayes le réclame. Il apparaît que des êtres humains peuvent soit sur réagir à une nouvelle donnée ou l'ignorer, selon les conditions exactes de l'expérience. Si ces différences de comportement se manifestent même en laboratoire d'une façon si évidente qu'il serait possible de réaliser effectivement les calculs de Bayes, nous devrions nous attendre à trouver une variété de réactions au moins aussi grande quand les gens sont amenés à faire face à la complexité du monde réel.

(d) L'efficience computationnelle de l'homme

Si ces démonstrations expérimentales, révélant l'incapacité de l'homme à suivre les canons de la rationalité substantive dans une situation de choix face à l'incertitude, ont causé quelque surprise aux économistes (j'ignore si ce fut le cas), elles n'ont certainement pas étonné les psychologues expérimentaux familiarisés avec la capacité de l'homme à traiter l'information.

L'équipement de l'homme pour penser relève fondamentalement d'une organisation sérielle, comme l'équipement d'un ordinateur digital. C'est-à-dire qu'une étape de la réflexion en suit une autre, et la résolution d'un problème exige l'exécution d'un grand nombre d'étapes séquentielles. La vitesse de ses processus élémentaires, surtout les processus arithmétiques, est bien sûr beaucoup plus lente que celle des processus d'un ordinateur, mais on a toutes les raisons de penser que le répertoire fondamental des processus de ces deux systèmes est à peu près le même 1. L'homme et l'ordinateur peuvent tous deux reconnaître des symboles (modèles), stocker des symboles, copier des symboles, comparer des symboles pour déterminer leur identité, et produire des symboles. Ces processus semblent être les composantes fondamentales de la pensée, tout comme ils le sont pour la computation.

Pour la plupart des problèmes que l'homme rencontre dans le monde réel, aucune procédure qu'il pourrait effectuer grâce à son équipement pour traiter l'information ne lui permettra de découvrir la solution optimale même si la notion d' "optimum" est bien définie. Il n'y a pas de raison logique pour qu'il en soit nécessairement ainsi ; c'est tout simplement un fait empirique assez évident concernant le monde dans lequel nous vivons - un fait concernant la relation entre l'énorme complexité de ce monde et les capacités modestes dont l'homme est doté pour traiter l'information. Une des raisons pour lesquelles les ordinateurs ont été si importants pour l'homme est qu'ils élargissent un peu le royaume à l'intérieur duquel ses pouvoirs computationnels peuvent être en prise sur la complexité des problèmes. Mais comme le montre l'exemple du problème du voyageur de commerce, même avec l'aide de l'ordinateur l'homme se retrouve très vite en dehors de l'espace de la rationalité substantive computable.

L'espace de problème associé au jeu d'échecs est beaucoup plus petit que l'espace associé au jeu de la vie. Cependant, la rationalité substantive s'est jusqu'à maintenant révélée irréalisable, aussi bien pour l'homme que pour l'ordinateur, même aux échecs. Les livres d'échecs sont remplis de règles pour un jeu rationnel, mais à part les catalogues d'ouvertures, ce sont des règles procédurales: comment détecter les caractéristiques importantes d'une position, quelles computations faire à partir de ces caractéristiques, comment choisir les déplacements possibles pour une recherche dynamique, etc.

La psychologie du jeu d'échecs a fait couler beaucoup d'encre. Un des pionniers de cette recherche fut le Professeur Adriaan de Groot de l'Université d'Amsterdam dont le livre "Het Denken van den Schaker" a stimulé de nombreux travaux sur ce sujet aussi bien à Amsterdam que dans notre propre laboratoire de Carnegie-Mellon. Ces études nous ont appris beaucoup de choses sur les processus de pensée d'un joueur d'échecs professionnel. Tout d'abord, elles ont montré comment il compense sa capacité computationnelle limitée en cherchant de façon très sélective dans l'immense arbre des possibilités de déplacement, processus au cours duquel il est rare qu'il ait à traiter jusqu'à 100 ramifications avant de déplacer une pièce. Ensuite, elles ont montré comment il stocke à long terme un large répertoire de schémas classiques ainsi que des procédures pour exploiter les relations apparaissant dans ces schémas. L'heuristique du joueur d'échecs professionnel pour une recherche sélective et ses connaissances encyclopédiques des schémas significatifs sont à la base de sa rationalité procédurale quand il choisit de déplacer une pièce. Enfin, ces études ont montré comment un joueur donne forme à ses aspirations quant à une position, et les modifie, de sorte qu'il peut décider quand un déplacement particulier est "assez bon" (satisfaisant), et qu'il peut arrêter sa recherche.

Les échecs ne sont pas un exemple isolé. Il existe maintenant une grande quantité de données décrivant le comportement humain dans d'autres situations de problèmes d'une complexité comparable. Toutes ces données vont dans la même direction et fournissent les mêmes descriptions des procédures que les hommes utilisent pour gérer des situations quand ils ne sont pas capables de computer un optimum. Dans toutes ces situations, ils utilisent une heuristique sélective et une analyse des moyens et des fins pour explorer un petit nombre d'alternatives prometteuses. Ils s'appuient énormément sur des expériences passées pour détecter les caractéristiques importantes de la situation à laquelle ils sont confrontés, caractéristiques qui sont associées dans leur mémoire à des actions éventuellement appropriées. Ils obéissent à des mécanismes de simili aspiration pour terminer leur recherche quand ils ont trouvé une alternative satisfaisante.

Dans une certaine mesure, cette description du choix a été testée en dehors du laboratoire dans des situations de la "vie réelle" encore plus complexes; et là où elle a été testée, tout a bien fonctionné. Je citerai seulement comme exemples l'étude microscopique bien connue de Clarkson sur les choix d'un employé d'une société d'investissement, et l'étude de Peer Soelberg sur la recherche et le choix d'un emploi par des étudiants préparant un diplôme de gestion. Il ne m'est pas possible de vous fournir un grand nombre d'exemples plus récents sans doute parce qu'il n'y en a pas ou aussi parce que mes propres recherches m'ont éloigné des études sur le terrain ces dernières années.

Comparons cette représentation des processus de pensée avec la notion de rationalité dans la théorie classique de l'entreprise sous sa forme la plus simple. La théorie suppose qu'au but de maximalisation du profit vient s'ajouter une prévision de la demande et une courbe des coûts. La théorie consiste alors à définir une décision quant à la production substantivement rationnelle: par exemple, à fixer la quantité de production à un niveau où les coûts marginaux, calculés à partir de la courbe des coûts, sont équivalents au revenu marginal calculé à partir des prévisions de la demande. La question de savoir si on peut obtenir des données pour estimer ces quantités ou les fonctions de demande et de coûts sur lesquelles ces données se basent, est hors de portée de la théorie. Si les courbes de demande et de coûts sont réellement données, le calcul effectif de l'optimum est trivial. Cette partie de la théorie économique n'a certainement rien à voir avec la rationalité procédurale.

3. L'intérêt de l'économie pour la rationalité procédurale

Dans mon introduction, j'ai dit que alors que l'économie s'est traditionnellement intéressée à la rationalité substantive, elle a eu depuis la Deuxième Guerre Mondiale nettement tendance à s'intéresser aussi à la rationalité procédurale. Cette tendance s'est dessinée au travers d'un certain nombre d'évolutions plus ou moins indépendantes les unes des autres.

(a) Le monde réel des affaires et l'intérêt public

La première de ces évolutions, qui date jusqu'à un certain point d'avant la guerre, a été un contact croissant des économistes universitaires avec la réalité du monde des affaires. Un des premiers résultats importants de cette évolution a été en 1939 l'article de Hall-Hitch "Price Theory and Business Behavior" qui commettait l'hérésie d'avancer que les prix sont souvent déterminés en appliquant une hausse fixe des prix au coût moyen direct au lieu d'être ajustés sur les coûts marginaux.

Mon souci n'est pas ici de savoir si Hitch et Hall ou d'autres personnes ayant fait des observations analogues avaient tort ou raison. Mon propos concerne le fait qu'un contact direct avec les opérations de l'entreprise conduit à observer des procédures utilisées pour prendre des décisions, plutôt que d'observer uniquement les résultats. Indépendamment de la question de savoir si les processus de décision ont quelque importance pour les problèmes auxquels l'économie classique s'est consacrée, les phénomènes de résolution de problèmes et de prise de décision ne peuvent faire autrement que d'exciter l'intérêt de tout être ayant quelque curiosité intellectuelle. Ils constituent un aspect tout à fait considérable et fascinant du comportement humain que tout scientifique souhaiterait décrire et expliquer.

Aux Etats-Unis, dans la décennie qui a immédiatement suivi la Deuxième Guerre Mondiale, un certain nombre de grandes corporations ont invité des petits groupes d'économistes universitaires à passer des périodes de un mois ou plus comme "internes" et observateurs dans les bureaux de leur société. C'était ainsi pour un grand nombre de jeunes économistes une première occasion d'essayer d'appliquer les outils de la théorie économique aux décisions d'un service d'entreprise ou d'un bureau de vente régional.

Ils ont découvert que les hommes d'affaires n'avaient pas besoin d'être conseillés pour "ajuster les coûts marginaux sur le revenu marginal". Des normes substantives de maximalisation des profits ne permettaient de réelles décisions que dans la mesure où des procédures adéquates de résolution des problèmes pouvaient être imaginées afin de les mettre à exécution. Ce dont les hommes d'affaires avaient besoin - de toute personne pouvant la leur procurer - c'était une aide pour inventer et construire de telles procédures, y compris des moyens pour générer les données nécessaires. Comment pouvait-on mesurer la productivité marginale des dépenses de R & D ? Ou de ses dépenses publicitaires? Et si cela était impossible, quelles seraient les procédures raisonnables pour déterminer ces quantités ? Ces questions - et non pas d'abstraites questions concernant la maximalisation du profit dans un modèle simplifié de l'entreprise - étaient celles auxquelles les hommes d'affaires étaient confrontés dans leurs décisions.

Il n'en allait pas autrement pour les économistes auxquels les gouvernements faisaient de plus en plus appel pour les conseiller en matière de fiscalité et de politique monétaire ou pour des plans de développement économique. Nous avons aux Pays-Bas l'exemple remarquable des schémas de Tinbergen pour la prévision d'objectifs - un exemple ? - s'il m'est permis d'utiliser un langage anachronique. Face à la difficulté qu'il y a à formuler des modèles, à désigner des instruments de mesure appropriés et utilisables, à tenir compte de critères multidimensionnels et de conditions annexes, les questions d'optimalisation sont généralement repoussées au deuxième plan. La rationalité des modèles de planification et de développement était essentiellement une rationalité procédurale.

(b) Recherche opérationnelle

Avec la fin de la guerre, les hommes d'affaires et les départements gouvernementaux commencèrent également à s'intéresser aux outils de la recherche opérationnelle qui avaient été élaborés à des fins militaires pendant la guerre. Simultanément, des analystes opérationnels se mirent à rechercher des problèmes de période de paix auxquels on pourrait appliquer leurs techniques. Comme vous le savez, la recherche opérationnelle et les sciences du management dans l'industrie se sont rapidement développées pendant la première décennie après la guerre, et les puissants outils analytiques encore plus vite; il n'est donc pas nécessaire que j'en reparle.

Le fait que l'ordinateur digital ait été introduit au même moment a indubitablement accéléré cette évolution. En fait on ignore si la recherche opérationnelle aurait eu une influence considérable sur les affaires pratiques si la calculateur de bureau avait été son unique outil.

La recherche opérationnelle et les sciences du management n'ont pas modifié la théorie économique de la rationalité substantive de façon fondamentale. Grâce à la programmation linéaire et à l'analyse d'activité, elle a fournit une méthode pour traiter les anciens problèmes et leurs solutions sans le calcul différentiel, et les théorèmes de marginalisme classiques ont été énoncés de nouveau dans les termes du nouveau formalisme.

Ce qui était véritablement nouveau pour les économistes dans la recherche opérationnelle, c'était l'intérêt manifesté pour la rationalité procédurale - trouver des procédures efficaces pour computer de véritables solutions aux problèmes concrets de prise de décision. Permettez que je m'étende davantage sur l'exemple spécifique qui m'est le plus intimement familier: les règles de décision pour équilibrer l'inventaire et la main-d'oeuvre. Le problème était d'inventer une règle de décision pour déterminer périodiquement le niveau de production auquel une usine devrait opérer. Comme la décision pour une période était reliée aux décisions concernant les périodes suivantes par les inventaires reportés, le problème tombait dans le domaine de la programmation dynamique.

Le noeud du problème était d'imaginer un schéma de programmation dynamique que l'on pourrait vraiment effectuer en utilisant seulement des données pouvant être obtenues dans la situation elle-même. Comme on le sait, la programmation dynamique, telle qu'elle est formulée généralement, fait un usage abusif des ressources computationnelles. Un algorithme général pour résoudre des problèmes de programmation dynamique ne serait pas une solution pour résoudre les problèmes de décision du monde réel.

Le schéma que nous avons proposé était un algorithme réclamant seulement un petit effort computant pour résoudre une catégorie très spéciale de problèmes de programmation dynamique. L'algorithme exigeait que les coûts fussent représentés par une fonction quadratique. Cela ne voulait pas dire que nous pensions que les fonctions de coût du monde réel fussent quadratiques ; nous pensions que l'on pourrait aborder raisonnablement un grand nombre de fonctions de coût grâce à une fonction quadratique et que les déviations par rapport à la fonction véritable ne conduiraient pas à des décisions véritablement non optimales. Cette supposition doit bien sûr être justifiée pour chaque cas individuel avant de pouvoir en faire une application en toute sûreté. Non seulement la fonction quadratique a permis une bonne efficience computationnelle, mais elle a également considérablement réduit les besoins en données parce que l'on a pu prouver que grâce à cette fonction seules les valeurs escomptées des variables prédites, et non leurs valeurs extrêmes affectaient la décision optimale .

Ceci n'est qu'une partie de ce qui était impliqué dans l'invention d'une méthode procéduralement rationnelle pour prendre ces décisions quant à l'inventaire et la production. Il fallait aussi résoudre les problèmes de transfert d'un "niveau de production" global dans des programmes de production spécifiques pour des produits isolés. Je ne vais toutefois pas aborder les autres aspects de ce sujet.

Ce qu'il faut retenir de la solution que nous avons apportée, c'est que nous avons construit un modèle assez classique pour la maximalisation du profit, mais nous ne nous sommes pas laissé bercer par l'illusion que ce modèle était le reflet exact de tous les détails d'une situation du monde réel. Tout ce que l'on attendait d'une solution, c'était que la décision optimale dans le monde du modèle était une bonne décision dans le monde réel. On n'exigeait que la solution fût substantivement optimale mais plutôt que l'optimisation formelle dans le modèle de programmation dynamique fût une technique procédurale efficace pour prendre des décisions acceptables (c.à.d. des décisions meilleures que celles prises sans cet appareil formel.)

Des méthodes de recherche opérationnelle attaquent ce dilemme par l'autre côté: elles gardent davantage de détails du monde réel dans leur modèle mais abandonnent ensuite, pour des raisons de réalisation computationnelle, leur objectif de recherche d'un optimum, pour chercher à la place une solution satisfaisante .

Ainsi, les exigences de computatibilité conduisirent à deux sortes de déviation par rapport à l'optimalisation classique: simplification du modèle pour faire une computation d'un "optimum" réalisable, ou, alternativement, recherche de choix plutôt satisfaisants qu'optimaux. Je suis enclin à considérer ces deux solutions comme des exemples de comportement satisfaisant plutôt que d'optimalisation. Pour en être sûrs, nous pouvons les considérer formellement comme des procédures d'optimalisation en introduisant, par exemple, un coût de computation et un profit marginal tiré de la computation, et en utilisant ces critères pour computer le point d'arrêt optimal de la computation. Mais la grande différence entre les nouvelles procédures et les procédures classiques est maintenue. Le problème a été déplacé: alors que l'on cherchait au départ à définir la solution substantivement optimale, on a ensuite inventé des procédures de computation réalisables pour faire des choix raisonnables.

(c) Concurrence imparfaite

Il y a plus d'un siècle, Cournot a identifié un problème qui est devenu le scandale permanent et indéracinable de la théorie économique. Il a observé que là où un marché est alimenté par quelques producteurs seulement, la notion de maximalisation du profit est mal définie. Le choix qui serait substantivement rationnel pour chaque acteur dépend des choix faits par les autres acteurs; personne ne peut choisir sans faire des suppositions concernant les choix des autres.

Cournot a proposé une solution particulière pour ce problème qui se résume à une hypothèse concernant la procédure à laquelle obéirait chaque individu: chacun d'entre eux observerait les quantités produites par ses concurrents et penserait que ces quantités doivent être intégrées dans ses propres calculs. La solution de Cournot a été souvent contestée et l'on a proposé un grand nombre de solutions alternatives - variations conjecturales, courbe inhabituelle de la demande, leadership du marché, etc... Elles reposent toutes sur des postulats concernant le processus de décision, et en particulier les informations que chaque décideur prendra en considération et les suppositions qu'il fera quant aux réactions des autres face à son comportement.

J'ai qualifié la théorie de la concurrence imparfaite de "scandale" parce qu'elle a été traitée comme telle en économie et que l'on admet généralement qu'aucune formulation défendable de cette théorie ne reste dans le cadre de la maximalisation du profit et de la rationalité substantive. La théorie des jeux, saluée au début comme une issue possible, n'a fait que démontrer l'ampleur considérable des difficultés.

Si une concurrence parfaite était la règle sur les marchés de notre économie moderne, et si la concurrence imparfaite et l'oligopole étaient des exceptions rares, le scandale pourrait être ignoré. Chaque famille, après tout, a un parent éloigné qu'elle préférerait oublier. Mais la concurrence imparfaite n'est pas un "parent éloigné", elle est la forme caractéristique de la structure du marché dans un grand nombre d' industries de notre économie.

Dans les ouvrages sur l'oligopole et la concurrence imparfaite, on peut observer un mouvement graduel vers un intérêt de plus en plus explicite concernant les processus utilisés pour prendre des décisions, intérêt - inhabituel dans la plupart des secteurs économiques - qui va même jusqu'à essayer d'obtenir des données empiriques au sujet de ces processus. Cependant, on hésite toujours à reconnaître qu'il est impossible de découvrir un jour "La Règle" du comportement substantivement rationnel de l'oligopoliste. C'est seulement quand l'espoir de cette découverte se sera évanoui, que l'on pourra admettre que comprendre la concurrence imparfaite signifie comprendre la rationalité procédurale 1.

Ce changement de point de vue aura des effets importants sur de nombreux secteurs de la recherche économique. Il a donné naissance, par exemple, aux théories "néoclassiques" d'investissement - théories qui se proposent de déduire les taux d'investissement des entreprises à partir des suppositions quant à la maximalisation du profit et à la rationalité substantive. Au centre de ces théories, on trouve le concept de "capital désiré" - c.à.d. le volume de capital qui maximaliserait les profits. Il est typique que Jorgenson, par exemple, arrive à ce concept en fournissant un argument qui suppose un prix fixe pour les produits de l'entreprise et une fonction de production du type Cobb-Douglas, tout ceci en l'absence d'incertitude 1. En faisant ces suppositions, il montre que le niveau optimal du capital est proportionnel à la production.

Puisque les données utilisées par Jorgenson et d'autres pour vérifier ces théories de l'investissement sont dérivées pour la plupart d'industries oligopolistiques, leurs définitions de la rationalité sont victimes des mêmes difficultés que celles que nous avons relevées précédemment. Pouvons-nous parler de capital désiré pour General Motors ou pour l'American Can Company sans prendre en considération leurs prévisions en matière de taille et de part du marché ou les interactions de ces prévisions avec la politique des prix et les réponses des concurrents ? Dans des conditions de concurrence imparfaite, on peut peut-être parler de rationalité procédurale d'une stratégie d'investissement, mais sûrement pas de sa rationalité substantive. Tout au plus, les études statistiques du comportement d'investissement démontrent qu'il existe des entreprises faisant un lien entre leurs investissements et leur production; ces études ne démontrent pas que ce comportement puisse être prévu par une théorie objective de maximalisation du profit. (Et si c'est ce qu'elles démontrent, quel est l'intérêt de le faire en élaborant des études statistiques des données publiques plutôt qu'en allant étudier et observer les vrais processus de décisions dans les entreprises elles-mêmes?)

(d) Prévisions et incertitude

Essayer de deviner le comportement d'un concurrent dans une industrie oligopolistique est tout simplement une façon spéciale de faire des prévisions pour prendre des décisions dans l'incertitude. Comme l'économie s'est déplacée d'un état statique à un état dynamique - théorie du cycle des affaires, théorie de la croissance, théorie de l'investissement dynamique, théorie de l'innovation et du changement technologique -, elle est devenue de plus en plus explicite dans son traitement de l'incertitude.

Cependant, l'incertitude n'existe pas dans le monde extérieur mais seulement pour l'oeil et l'esprit de celui qui le considère. Nous n'avons pas besoin d'entrer dans des considérations philosophiques en ce qui concerne la question de savoir si l'incertitude de la mécanique quantique se trouve au coeur même de la nature car nous ne nous intéressons pas aux événements au niveau de l'atome. Ce qui nous intéresse, c'est de savoir comment les hommes se comportent rationnellement dans un monde où ils sont souvent incapables de prédire avec précision des éléments significatifs situés dans l'avenir. Dans ce monde, leur ignorance de l'avenir les empêche de se comporter d'une façon substantivement rationnelle; ils peuvent seulement adopter une procédure de choix rationnel incluant une procédure rationnelle pour prédire l'avenir ou sinon s'adapter à lui.

Dans un article célèbre, mon ancien collègue John F.Muth a proposé d'objectiver le traitement de l'incertitude en économie en la faisant passer du décideur à la nature. Son hypothèse est "que les prévisions des entreprises (ou, plus généralement, la distribution de probabilité subjective des résultats) ont tendance à être distribuées, pour la même série d'informations, sur l'espace/courbe de prédiction de la théorie (ou les distributions de probabilité "objective" des résultats)". Dans son application, cette hypothèse implique que l'on rende la valeur prévue/attendue (au sens statistique) d'une variable économique future égale à sa valeur prédite.

La proposition de Muth est ingénieuse et d'une grande importance. Voyons exactement ce que cela signifie. Supposons qu'un producteur ait une connaissance précise de la fonction de demande des consommateurs et de la fonction d'approvisionnement global des producteurs de son industrie. Il peut alors estimer le prix d'équilibre - le prix auquel les quantités que les producteurs sont amenés à offrir équilibreront tout juste la demande. Muth propose surtout que chaque producteur considère son prix d'équilibre comme son diagnostic de prix. Si l'on introduit maintenant les chocs dus au hasard avec une valeur de prévision égale à zéro dans l'équation de l'approvisionnement, et si les producteurs continuent d'agir sur les diagnostics de prix réalisés de la façon que nous venons de décrire, alors le prix diagnostiqué sera égal à la valeur prévue/attendue du prix réel.

Notons que le comportement substantivement rationnel pour le producteur serait de produire la quantité qui serait optimale pour le prix effectivement fixé. L'hypothèse du modèle de Muth selon laquelle les chocs dus au hasard sont absolument imprévisibles rend cela impossible. Le producteur se rabat alors sur une procédure qui, selon les hypothèses du modèle, lui donnera une prévision impartiale du prix. Comme le note Muth lui-même, cette procédure ne sera pas non plus optimale, même dans l'incertitude, à moins que la fonction de perte ne soit quaternaire.

L'incertitude joue le même rôle inoffensif dans la règle d'équilibrage de la production linéaire optimale que j'ai décrite plus haut et qui est étroitement liée à l'analyse de Muth. Dans ce cas, l'hypothèse explicite de la fonction de coût quaternaire permet de prouver que seules les valeurs prévues et non les valeurs maximales des variables prédites sont essentielles pour la décision. Ceci ne signifie pas que que l'action fondée sur des estimations impartiales soit substantivement rationnelle, indépendamment des variances de ces estimations. Au contraire, on peut toujours améliorer les performances si on réduit les erreurs d'estimations.

Même s'il apparaît empiriquement vrai que les prévissions des entreprises et d'autres acteurs économiques sont des prévisions impartiales d'événements futurs, cette constatation aura des conséquences modestes pour la nature de la rationalité humaine. Une estimation impartiale peut être une composante de toutes sortes de règles de comportement rationnel et irrationnel.

Dans un paragraphe précédent, j'ai traité de l'aspect psychologique en ce qui concerne le choix humain face à l'incertitude. C'est seulement dans les situations les plus simples que le comportement se conforme d'assez près aux prédictions des modèles classiques de rationalité. Mais même cet aspect exagère la signification de ces modèles classiques pour les affaires humaines; car toutes les expériences sont limitées à des situations où les alternatives du choix sont fixées d'avance et où les informations ne sont fournies que par des sources très précises.

Une fois que nous nous sommes intéressés aux procédures - processus rationnels - que les acteurs économiques utilisent pour venir à bout de l'incertitude, nous devons élargir nos horizons. L'incertitude ne provoque pas seulement des procédures de prévisions; elle fait naître aussi toute une série d'actions pour réduire l'incertitude ou tout au moins pour rendre les résultats moins dépendants d'elle. Ces actions sont au moins au nombre de quatre:

(i) actions de l'intelligence pour améliorer les données sur lesquelles sont fondées les prévissions, pour obtenir de nouvelles données et pour améliorer les modèles de prévision;

(ii) actions pour amortir les effets des erreurs de prévision: tenue d'inventaires, assurances, et arbitrage, par exemple.

(iii) actions pour réduire la sensibilité des résultats au comportement des concurrents: démarches pour augmenter la différenciation des produits et du marché, par exemple.

(iv) actions pour élargir la série des alternatives chaque fois que les alternatives perçues impliquent un risque élevé.

Une théorie de choix rationnel face à l'incertitude devra comprendre non seulement le facteur de la prévision mais aussi tous ces autres facteurs. De plus, elle devra dire quelque chose sur les circonstances dans lesquelles les gens suivront (ou devraient suivre) l'une ou l'autre de ces lignes de conduite.

La confrontation avec une telle liste d'éventualités remplit plus d'un économiste de malaise. Comment est-il possible de trouver une réponse unique au problème de choix si toutes ces considérations entrent en jeu ? L'économie classique est bien plus attrayante car elle permet de tirer des conclusions solides à partir de quelques hypothèses a priori sans nécessiter beaucoup d'observations empiriques !

Hélas, il faut prendre le monde tel qu'il est. Comme l'économie s'intéresse plus à la rationalité procédurale, elle devra nécessairement avoir recours à la psychologie ou construire pour elle-même une théorie beaucoup plus complète des processus cognitifs humains qu'elle n'en a eue dans le passé. Même si notre intérêt concerne davantage l'économie normative que l'économie descriptive, nous aurons besoin d'une telle théorie. Il y encore beaucoup de secteurs de décision - particulièrement ceux qui sont mal structurés - où les processus cognitifs humains sont plus efficaces que les meilleures techniques d'optimisation disponibles ou que les méthodes d'intelligence artificielle. Tout joueur d'échecs de classe A joue beaucoup mieux que tout programme de jeu d'échecs sur ordinateur. Il y a encore beaucoup à apprendre sur les procédures efficaces de décision en étudiant comment les êtres humains font des choix.

L'esprit humain est programmable : il peut acquérir une très grande variété de compétences, de modèles de comportements, de répertoires pour résoudre les problèmes et d'habitudes de perception. Ce qu'il acquerra parmi tous ces éléments, dans quelque situation que ce soit, dépend de ce qu'il a appris et des expériences qu'il a faites. Nous ne pouvons escompter une rationalité substantive que dans les situations suffisamment simples pour être parfaitement claires pour cet esprit. Dans toutes les autres situations, nous devons nous attendre à ce que l'esprit utilise les informations imparfaites qu'il possède, simplifie et se représente la situation comme il peut, et fasse les calculs qui sont en son pouvoir. Nous ne pouvons escompter prédire ce qu'il fera dans de telles situations, à moins que nous ne sachions quelles informations il a, quelles formes de représentation il préfère et de quels algorithmes il dispose.

Il semble ne pas y avoir d'issue. Si l'économie doit traiter de l'incertitude, il lui faudra comprendre comment les êtres humains se comportent réellement face à l'incertitude, et quelles sont les limites de l'information et de la computabilité qui les ligotent.

4. L'étude empirique de la prise de décision

Comme mes recherches récentes m'ont éloigné de l'étude de la prise de décision dans des structures organisationnelles, je ne suis pas en mesure de commenter l'état actuel de nos connaissances empiriques sur la prise de décision organisationnelle. Toutefois, si nous essayons de comprendre la rationalité procédurale dans son rapport à l'économie, nous n'avons pas besoin de nous limiter à une étude organisationnelle. J'ai déjà parlé des progrès que nous avons faits ces 20 dernières années dans la compréhension des processus humains pour résoudre les problèmes - principalement grâce à des études en laboratoire, en utilisant des tâches analogues aux devinettes. La plupart de ces études ont utilisé des sujets non prévenus accomplissant des tâches pour lesquelles ils avaient peu ou pas du tout d'expérience. Dans un cas cependant - la recherche concernant le jeu d'échecs -, on a fait une investigation intensive portant sur des professionnels très performants, et on a élaboré une construction théorique pour expliquer leur performance.

Les échecs semblent être un domaine plutôt ésotérique, mais il est possible que le monde des affaires ne soit pas moins ésotérique pour ceux qui n'en font pas partie. Il n'y a aucune raison de croire que les facultés humaines de base qu'un joueur d'échecs professionnel ayant 20 ans d'expérience fait entrer en jeu pour prendre ses décisions soient fondamentalement différentes des facultés utilisées par un homme d'affaires expérimenté. En fait, dans la mesure où on a effectué des études comparables sur la prise de décision en affaires, celles-ci nous donnent des raisons positives de croire que ces facultés sont similaires à la base.

Sur la base des recherches effectués sur les joueurs d'échecs, ce qui semble distinguer un professionnel d'un novice n'est pas seulement que le premier a une grande quantité et variété d'informations mais que son expérience perceptive lui permet de détecter des modèles familiers dans les situations auxquelles il est confronté, et du fait qu'il reconnaît ces modèles, il peut très rapidement extraire une quantité considérable d'informations pertinentes de sa mémoire à long terme. C'est cette expérience perceptive qui permet au joueur d'échecs professionnel de jouer, et habituellement de gagner, plusieurs parties simultanées contre des adversaires plus faibles, en ne mettant que quelques secondes pour chaque déplacement de pièce. C'est très probablement une expérience perceptive analogue dans le monde des affaires qui permet à un cadre d'entreprise de réagir "intuitivement", sans être très conscient de ses propres processus cognitifs, quand il a à prendre une décision en affaires.

Il n'y a aucune raison de supposer que la théorie des processus cognitifs, qui ressortira des études empiriques sur les processus de décision du joueur d'échecs professionnel ou de l'homme d'affaires, sera "simple" ou "élégante" au sens où les Lois du Mouvement ou les axiomes de la théorie classique de l'utilité sont simples et élégantes. Si nous devions faire une analogie avec les sciences naturelles, nous pourrions nous attendre à ce que la théorie de la rationalité procédurale ressemble beaucoup plus à la biologie moléculaire, avec sa riche taxonomie de mécanismes, qu'à la mécanique ou l'économie classiques. Mais comme je l'ai suggéré précédemment, une science empirique ne peut pas refaire le monde à sa fantaisie: elle ne peut que décrire et expliquer le monde tel qu'il est.

Ce qui vient grandement compliquer les théories sur la prise de décision professionnelle, c'est que les décisions dépendent de grandes quantités d'informations stockées et de procédures de décision apprises antérieurement. Cela est vrai non seulement à un niveau psychologique individuel mais aussi à un niveau social et historique. Le jeu de deux joueurs d'échecs diffère parce qu'il résulte de leurs connaissances différentes en matière d'échecs : de même, les décisions de deux hommes d'affaires diffèrent parce qu'elles résultent de leurs connaissances différentes en affaires. De plus, Bobby Fischer ne jouait pas en 1972 comme Paul Morphy en 1861. C'était essentiellement le résultat des connaissances qui s'étaient accumulées tout au long du siècle grâce à l'expérience collective de toute la société des joueurs d'échecs professionnels.

L'économie, comme les échecs, est inévitablement liée à la culture et à l'histoire. Une entreprise équipée des outils de la recherche opérationnelle ne prend pas les mêmes décisions qu'elles prenaient avant de posséder ces outils. Le déclin séculaire considérable que les inventaires des entreprises américaines ont connu ces dernières années est probablement dû en grande partie à cette augmentation de la rationalité liée à de nouvelles théories et à de nouveaux outils computationnels.

L'économie est l'une des sciences de l'artificiel. C'est une description et une explication des institutions humaines dont la théorie n'est pas moins susceptible de changer avec le temps que la théorie concernant la construction des ponts. Les processus de décision, comme tous les autres aspects des institutions économiques, existent à l'intérieur de notre tête. Ils sont soumis à changement chaque fois que le savoir humain change, et chaque fois que leurs moyens de calcul changent. C'est la raison pour laquelle essayer de prédire et de prescrire un comportement économique humain par inférence déductive à partir d'une petite série de prémisses indiscutables ne peut qu' échouer et a échoué jusqu'ici.

L'économie progressera dans la mesure où nous approfondirons notre compréhension des processus de la pensée humaine; et l'économie changera dans la mesure où les individus et les sociétés humaines utiliseront des outils de pensée de plus en plus affinés pour prendre leurs décisions et établir leurs institutions. Une construction théorique de la rationalité procédurale est en harmonie avec un monde où les êtres humains continuent de penser et d'inventer; ce n'est pas le cas d'une théorie de la rationalité substantive.

5. Conclusion

Dans cet article, j'ai opposé le concept de rationalité substantive qui a dominé l'économie classique et qui lui a procuré son programme de déterminisme structurel au concept de rationalité procédurale qui a prévalu en psychologie. J'ai également décrit comment certaines préoccupations de l'économie ont contraint cette discipline à commencer à s'intéresser à la rationalité procédurale - aux processus réels de cognition, et aux limites de l'organisme humain qui confèrent à ces processus leur caractère spécifique.

On peut concevoir au moins deux scénarios différents pour la continuation dans le futur de ce changement graduel dans le programme de l'économie. L'un implique la "psychologisation" directe de l'économie, l'adoption explicite du programme du behaviorisme économique 1. Le deuxième scénario décrit les économistes comme des gens qui empruntent les notions de recherche optimale et d'efficience computationnelle à la recherche opérationnelle et à la théorie de la décision statistique, et comme des gens qui introduisent une quantité de plus en plus grande de considérations computationnelles dans les modèles de la rationalité. Comme ces contraintes computationnelles peuvent être considérées (au moins sur le plan formel) comme localisées dans le monde externe plutôt que dans l'esprit du décideur, elles donnent l'impression d'éviter le besoin de psychologisation. Naturellement, ce besoin ne peut être en fait que renvoyé à plus tard et non évité en permanence. Il est illusoire de décrire une décision comme "déterminée sur le plan situationnel" quand une part de la situation qui la détermine est l'esprit du décideur. Choisir entre les modèles alternatifs de la situation exige alors que l'on détermine de façon empirique les processus utilisés par la personne ou l'organisation qui prend les décisions. De ce fait, notre deuxième scénario conduit aussi inévitablement, sinon aussi directement, que le premier au behaviorisme économique.

Le passage des théories de la rationalité substantive aux théories de la rationalité procédurale réclame un changement fondamental de style scientifique: l'accent, d'abord mis sur le raisonnement déductif à l'intérieur d'un étroit système d'axiomes, est placé ensuite sur l'exploration empirique détaillée d'algorithmes complexes de la pensée. Sans aucun doute, le caractère déplaisant du second style aux yeux des économistes a ralenti la transition et explique en partie le succès très limité du behaviorisme économique dans le passé. C'est la raison pour laquelle le deuxième scénario paraît plus prometteur que le premier, et il apparaît en effet qu'il se développe nettement à l'heure actuelle.

Dans les autres chapitres de ce volume, Messieurs Coats et Latsis ont décrit avec quel succès l'économie a résisté aux premières tentatives faites pour injecter les prémisses behavioristes dans sa structure théorique. La situation actuelle est différente de celles d'autrefois parce que l'économie se concentre maintenant sur des sujets de recherche nouveaux et que les réponses aux questions posées réclament qu'une attention explicite soit accordée à la rationalité procédurale. Comme l'économie est de plus en plus impliquée dans l'étude de l'incertitude et de plus en plus préoccupée par la réalité complexe de la prise de décision en affaires, le glissement de programme sera inévitable. Des domaines de plus en plus étendus de l'économie remplaceront les suppositions sur simplifiées du décideur omniscient contraint sur le plan situationnel par une caractérisation réaliste (et psychologique) des limites de la rationalité de l'Homme et des conséquences de ces limites pour son comportement économique.










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