" L'assomption scientifique du réel ne serait-elle pas moins justifiée que celle de sa "préhension" poétique ? Le fonctionnement du cerveau en tant que représentation du monde n'est-il-pas assujetti à ma vision singulière de ce monde ? Les constantes alphabétiques du langage conscient comme du code génétique ne sont-elles pas garantes, à l'image des fractales de Mandelbrot, de la diversité d'expression comme de l'unicité du vivant ? Enfin, n'est-ce pas d'un troisième terme (l'état T, du tiers inclus décrit par Lupasco) qui annihile toute logique binaire, dont on aurait besoin afin de dépasser l'apparente contradiction physico-consciencielle ? "
Cet ouvrage présente une nouvelle logique évolutive, de nouveaux hommes, les plasticiens, qui, dès à présent, et plus encore demain, baliseront ces espaces frontaliers où chacun ne se reconnaît pas tout à fait encore, mais perçoit les enjeux d'une remise en question radicale du cloisonnement entre les disciplines. Plus simplement, le plasticien veut sans a priori faire l'expérience de la réalité.
Il pose des questions, et fait des constats: 1°) le fait évolutif existe, et il s'oriente vers la complexité croissante; 2°) le sens existe, et il correspond à une prise de conscience croissante de cette complexité. Or, personne ne peut nier ces questions et affirmations, qui sous-tendent une question centrale: y a-t-il un sens à l'évolution ? Interrogation, qui si elle n'est pas du ressort strict de la science, devient aujourd'hui du domaine de son accessibilité, et met en relief des lois évolutives fondamentales, où la dynamique interne des processus à un rôle crucial à jouer. En effet, toutes les approches scientifiques développées dans ce livre peuvent être lues isolément ou dans un cadre d'analyse plus vaste, où la fonction de la plasticité apparaît comme fondatrice. Prenons la morphogenèse, ce peut être un isolat auto-organisé, ou au contraire révéler le contenu générique d'un processus global. Prenons la plasticité synaptique, ce peut être uniquement un phénomène de stabilisation sélective des réseaux, ou au contraire un indice d'interactivité fine entre l'organe (morpho- et épigenèse neurale), la fonction (plasticité cognitive) et le tiers (environnement, interface cerveau/esprit). Prenons encore l'approche onto- et phylogénétique des espèces, elle peut être gouvernée par la seule logique aléatoire de la micro-évolution darwinienne, ou au contraire révéler les failles importantes de la logique évolutive classique, négligeant tout des strates embryologiques, des macro-évolutions majeures, comme de la stabilité structurelle des plans d'organisation dans le parcours de l'hominisation.
Dans ce cadre, la théorie de la plasticité, telle que je la conçois, loin de ne signifier qu'une esthétique fonctionnelle, devrait avoir un rôle prégnant dans l'évolution, puisqu'il ne s'agit plus de raisonner en terme d'adaptation, mais de devenir plastique d'une espèce, d'une matière, d'une forme par rapport à la mémoire de sa propre configuration structurelle. Il devient donc impérieux d'adopter une attitude de recherche nouvelle, où l'interactivité des systèmes de codes puisse s'exprimer, et où la plastique, qui tend à renaître en Occident, apparaisse avec sa logique dynamique propre. Dans ce but, il faudra réunir deux conditions: tout d'abord que la science défriche cette métaplasticité universelle, ensuite qu¹une éducation sémantique inspirée des percepts poétiques, une plastique des mots, accompagne nécessairement cette refonte de perspectives. C'est à ce prix que les idées-force de cet essai, comme la reconnaissance d'une aire commune du langage entre le poète et l'homme de science, ou la nature temporelle de la conscience imaginale (liée à l'acte de création ou d'individuation), pourront s'imposer."