Le collectif " RECONSTRUIRE L’ECOLE " fait circuler le texte suivant. Nous donnons ici la parole à ces grands clercs de la " chose scolaire " afin que leurs arguments soient entendus. Le déni de complexité des situations d’éducation, d’enseignement et de formation s’y trouve flagrant. Il nous semble donc important, dans le cadre de cet atelier, de mettre ce texte en discussion critique. Une première réponse lui fait suite, en en attendant d’autres.
Les Instituts Universitaires de Formation des Maîtres (I.U.F.M.), mis en place depuis près de dix ans dans chaque académie, préparent aux concours de recrutement de l'Enseignement, de la maternelle au lycée (en
partenariat, pour le secondaire, avec les Universités) puis accueillent les lauréats de ces concours pour une année dite "de stage", ayant pour vocation de compléter leur formation par une instruction pratique et pédagogique. Depuis plusieurs années, une majorité de stagiaires protestent contre le fonctionnement de ces institutions et certains enseignements qui y sont délivrés. Depuis plusieurs années, des professeurs du secondaire ou de l'université, des tuteurs pédagogiques reçoivent le témoignage d'anciens étudiants ou de nouveaux stagiaires désemparés, scandalisés de certains discours qui leur sont tenus à l'I.U.F.M., et quelquefois même en situation conflictuelle grave avec les formateurs dont ils dépendent. Faute de mieux, on leur conseille le plus souvent de "faire le gros dos", de tâcher d'éviter l'invalidation de leur seconde année, décision utile quand elle concerne un stagiaire dont les premiers pas ont été difficiles, inadmissible quand elle sanctionne des prises de position trop critiques ou bruyantes.
Notre groupe de réflexion, constitué d'enseignants du secondaire et de l'Université, d'actuels et d'anciens stagiaires en I.U.F.M., s'efforce depuis plusieurs mois de réunir documents et témoignages afin de dresser et de rendre public un état des lieux sur leur fonctionnement. Notre but est d'informer le plus objectivement possible professeurs, actuels et futurs stagiaires, sur une situation que nous jugeons pour le moins préoccupante, afin que s'ouvre un débat et s'élaborent des répliques.
On ne saurait certes tenir un discours critique global sur les I.U.F.M.: les situations sont contrastées selon les régions, les disciplines, les cursus (professeurs des écoles ou du secondaire), les formateurs. Néanmoins, nous alarment la teneur de l'idéologie qui est délivrée dans les "formations générales" (cours de réflexion sur les démarches d'apprentissage ou le rôle éducatif de l'école proposés à tous les stagiaires), et la subordination des enseignements disciplinaires à une prétendue science pédagogique. Car ce sont moins les disciplines que la discipline qui est au centre des I.U.F.M. La réussite à un concours difficile, la perspective stimulante de commencer à pratiquer la profession qu'ils ont choisie, devraient constituer une étape enrichissante dans la vie des futurs enseignants. Or, ceux-ci sont confrontés dès leur arrivée dans les I.U.F.M. à un système tout à la fois infantilisant et autoritaire (horaires lourds empêchant tout travail personnel, discours culpabilisant centré sur la seule idée d'échec, menaces de retenues sur salaire, etc.). Plus on descend dans la -hiérarchie supposée du corps enseignant, plus se vérifie le contrôle des faits, gestes et pensées du stagiaire. La majorité des cours délivrés aux futurs professeurs des écoles s'appuient sur les recettes éprouvées de la communication et de la psychosociologie (appel constant aux impressions subjectives, travaux en petits groupes à partir de questionnaires simplistes et orientés mis en commun sous l'œil vigilant des formateurs responsables) pour légitimer en bout de course et "de manière consensuelle" les dogmes des sciences de l'éducation. Anecdote très révélatrice, cette séance plénière au cours de laquelle une stagiaire tient à signaler que dans son groupe, l'une de ses camarades a déclaré apprécier les cours magistraux! Silence, ricanements gênés, puis absolution rassurante et amusée du formateur: on ne va dénoncer personne! Harmonie de la forme et du fond, le discours récurrent de ces formations générales est inspiré par une idéologie sécuritaire: il énonce qu'un bon enseignant doit savoir créer pour ses élèves des "espaces de sécurité" tandis que "symétriquement, l'I.U.F.M. s'arroge pour mission de sécuriser ses professeurs en préméditant longuement avec eux toutes les catastrophes susceptibles de se produire en classe", en insistant de manière obsessionnelle sur la responsabilité pénale accrue de l'enseignant
confronté à de "nouveaux publics". Sous la pression des sciences de l'éducation et dans le cadre du vaste chantier de réforme des programmes engagé par le ministère Allègre, les I.U.F.M. sont menacés de devenir de véritables entreprises de démolition du savoir et de la culture. La "révolution copernicienne en pédagogie" appelée de ses vœux par Philippe Meirieu repose sur la disqualification de tout savoir fondamental. Un tel présupposé façonne dans les I.U.F.M. une parole visant à susciter chez les stagiaires la détestation de l'école qui les a formés, le mépris de leurs futurs collègues, et à décourager chez eux toute velléité d'approfondir leurs connaissances. Pourquoi se soucier des savoirs quand on répète à longueur de séance aux futurs enseignants des collèges et lycées que le respect des programmes (par ailleurs allégés et rendus incohérents) doit passer au second plan? Pourquoi les futurs professeurs des écoles se soucieraient-ils des savoirs quand on leur ressasse qu'ils doivent avant tout "enrichir chez l'élève un bagage déjà là", quand les brochures dont ils sont inondés affirment que les "différentes disciplines constituent des supports et des moyens pour faire acquérir des savoir-faire", pour nous en tenir à une formule à peu près compréhensible? En lieu et place du savoir honni ou de séances consacrées à l'art d'enseigner, et pour donner aux stagiaires l'illusion (dont beaucoup ne sont pas dupes) qu'ils continuent à se former, les spécialistes des sciences de l'éducation qui officient dans les I.U.F.M. proposent un éventail impressionnant de conférences et "modules" divers, au mieux prétendument pédagogiques ("Le circuit œil-cordes vocales-ouïe dans la lecture subvocalisée", "La mobilité oculaire chez l'apprenant"), au pire franchement racistes (sous le prétexte d'une meilleure prise en compte de l'élève, telle conférence proposée à l'I.U.F.M. de Créteil sur le comportement des "arabes", leur "haute tolérance au bruit", leur "gestuelle marquée"). Détournement du langage scientifique et de concepts des sciences humaines, assimilation de la classe à un laboratoire, de l'enseignement à un processus expérimental: tout, dans ces discours, rappelle au stagiaire que la pédagogie est une science exacte, aux protocoles précis et non discutables.
Convaincus que la montée en puissance, dans les I.U.F.M., de tels discours et pratiques participe de la destruction d'une école dont le principe et l'honneur est d'assurer le droit de chacun à accéder aux savoirs lui permettant d'exercer librement son jugement; constatant que la situation se détériore rapidement, que le pouvoir des I.U.F.M. s'accroît au même rythme (tentatives répétées de l'actuel ministère pour mettre en place un CAPES régionalisé et bientôt bi-disciplinaire, sous le contrôle des seuls I.U.F.M., mainmise sur la formation permanente des professeurs), nous appelons chacun à prendre conscience de cet état de faits, à exercer ses responsabilités (collecte et diffusion d'information, constitution de collectifs, etc.), et à nous rejoindre au sein de "Reconstruire l'École". Nous tenons à votre disposition tout document propre à étayer les affirmations condensées dans ces lignes. Merci de conserver et diffuser ce texte.
RECONSTRUIRE L'ÉCOLE, association loi 1901
Les difficultés des IUFM avec ce qu'on appelle les "formations générales" sont réelles. Rappelons ce que sont ces formations générales : le législateur, pour casser le cloisonnement disciplinaire et travailler à une professionnalisation au métier d'enseignement quelle que soit la discipline, a prévu environ une trentaine d'heure par étudiant dans l'année (4 ou 5 journées) par groupe de 25 sur quelque chose que l'on pourrait nommer "pédagogie générale", ou "processus d'enseignement/apprentissage". Les étudiants arrivent souvent à ces journées extrêmement prévenus négativement, déstabilisés puisqu'ils ne s'y trouvent plus sous leur identité disciplinaire (celle sur laquelle ils ont été reçus au CAPES, donc jugés "bons"), et en attente de choses non seulement variées, mais même contradictoires : du contenu pédagogique (mais qui ne servira à rien, puisque selon eux, seul le terrain et les experts de leur discipline sont formateurs), et la possibilité d'échanger leurs "vécus" premiers (mais dont le seul échange est insatisfaisant, et nécessite des références théoriques pour pouvoir être interprété, références souvent refusées, au profit de recettes, pour répondre à des problèmes dont l'analyse un peu sérieuse est à mon sens trop difficile et parfois trop déstabilisante quand on n'a pas d'expérience à partir de laquelle travailler et penser). Pour compléter le contexte, j'ajouterai des formateurs disciplinaires qui sont de bons praticiens, qui entendent leur donner des modèles à reproduire, et bien rarement leur permettre de "s'appliquer à modéliser", pour reprendre le mot de JL Le Moigne, réduisant ainsi la complexité des situations éducatives à leur dimension de technique didactique. Une des façons, pour eux, de demeurer crédibles, est peut-être aussi de dénigrer ceux qui essayent de montrer d'autres dimensions de ces situations. Il y a aussi, en toile de fond des IUFM, le pouvoir des Inspecteurs, dispensateurs de la bonne parole auprès des formateurs, qui voient d'un assez mauvais oeil ceux qui s'en affranchissent : les universitaires, et les sciences de l'éducation qui ne relèvent d'aucun corps d'inspection. Alors, qui asservit le plus les étudiants-professeurs-stagiaires ? Qui les transforme le plus en dociles serviteurs de paroles prêtes à l'emploi ?
En ce qui concerne les sciences de l'éducation elles-mêmes, leur histoire dans les IUFM est assez particulière. Bien souvent, ceux que l'on y range sous ce nom sont d'anciens profs de philo des Ecoles Normales d’Instituteurs, reconvertis quand on le leur a dit en "psycho-pédagogues", et maintenant en enseignants de sciences de l'éducation (c'est-à-dire formateurs en formation générale), sans autre parcours que leurs lectures personnelles, c'est-à-dire, je le crains, ce que l'on peut appeler le dogme, lui-même bien loin de la complexité telle que nous l'entendons : ils sont eux aussi dans le modèle à appliquer, sauf que le modèle n'est pas le même que celui des formateurs disciplinaires.
Dans ce contexte là, je crains que peu de personnes se demandent comment faire pour permettre à l'autre d'inventer SES réponses à SES situations, c'est-à-dire à réfléchir sur ce métier, sa complexité (celle propre aux métiers de l'humain individuel et collectif, socialisé, socialisant, parlant, historicisé, imaginant...), et qui il est dans ce métier. Alors, on trouvera toujours que "ça jargonne" (comme tout discours spécialisé d’ailleurs ), on pourra toujours sortir des citations de leur contexte etc. Pour ma part, je continue à penser que "assurer le droit de chacun à accéder aux savoirs lui permettant d'exercer librement son jugement" (comme le demandent les signataires), passe au moins par le principe de pluralité, à partir duquel chacun peut exercer librement son jugement. C'est d'ailleurs pour moi le plus important dans la formation des enseignants, dont on attend ensuite qu'ils contribuent à l'exercice de l'esprit critique de leurs élèves. Le déni de complexité, dans cette affaire, c'est quand on voudrait faire croire qu'il faudrait choisir entre les savoirs disciplinaires et le "reste" de la situation éducative. A part ça, je suis moi aussi hostile aux concours régionaux de recrutement, mais je refuse de considérer que c'est "la faute aux IUFM", sauf à dire que c'est la "faute aux universitaires" qui n'investissent pas assez les IU(niversitaires)FM, afin d'y exercer un réel contrepouvoir aux mots d'ordre institutionnels (ce qui signifie aussi qu’ils aient vraiment la possibilité d’y faire de la recherche, d’y accompagner des thésards, etc).
Comme avec les enfants, dans cette situation particulière de formation, il semble qu’il faille "varier les activités", comme si la disponibilité intellectuelle à un questionnement approfondi de ce dans quoi ils viennent de s'engager était trop difficile. Pourtant, 5 ans après, les mêmes dispositifs inter-disciplinaires de type "analyse de pratiques" avec apports théoriques pour analyser etc. marchent très bien. Alors ? Supprimer les formations générales ? Le principe de pluralité me dit que non, et si certains y entendent un dogme postiviste proche d'une science exacte, eh bien tant mieux : c’est qu'ils sont capables de comprendre que ce qu'ils vivent ne peut pas ressembler à cela, et qu'ils sont bien partis pour rechercher d'autres points d'appui dans les sciences humaines pour s'étayer. Et j'entends au passage que ceux qui, comme moi, essayent que les sciences de l’éducation ne soient pas ces sciences réductrices-là, ne parlent pas bien fort, ou pas par les bons canaux. A nous de faire ce que nous avons à faire aussi. Rappelons aussi que c'est là le seul temps de formation où les stagiaires de différentes disciplines se parlent : quand on sait que les enseignants ont bien des difficultés à travailler en équipe pédagogique, faut-il qu'il n'y ait même plus cet apprentissage de l'échange en formation initiale ?
On peut enfin se demander si le formateur de formation générale ne sert pas de bouc émissaire à différents niveaux : celui de la formation entière, où ils sont à la fois étudiants et profs, ce qui les met souvent mal à l'aise, avec des comportements régressifs ; celui de ces formations générales où ils viennent avec des demandes individuelles ambivalentes et collectives contradictoires ; celui des différents temps de formation en concurrence", où il leur faut "sauver" les formateurs disciplinaires (leur référence) en diabolisant la formation générale...
Le texte du collectif " RECONSTRUIRE L’ECOLE ", à tonalité restauratrice, semble trouver sa force sur le vieux fond de querelle des anciens et des modernes, des républicains et des démocrates, des maîtres et des pédagogues, où chacun affronte l'autre pour s'affirmer lui-même, idéologiquement : combat qui empêche de penser, puisqu'il efface la possibilité d'une nouvelle façon de poser les questions.