Modifications du temps dans le stress

 

Martine Timsit-Berthier

19 Bau Rouge Carqueiranne 83320

 

Introduction

 

Il est habituel de définir trois ordres de "temporalités":

 

- Le "temps biologique" en relation avec le corps s'exprime sous deux formes différentes :

 

- D'une part dans les rythmicités endogènes qui traduisent essentiellement des alternances d'activités et de repos auto-régulées, mais soumises aussi à l'influence directe ou indirecte de synchroniseurs externes, naturels et sociaux, qui se manifestent à tous les niveaux, depuis celui des réactions biochimiques les plus élémentaires jusqu'aux niveaux complexes de l'intégration cérébrale. Il s'exprime sous forme de rythmes biologiques multiples, uldradiens et infradiens et sous la forme du rythme veille/sommeil. Il n'est pas sans rapport avec les grands rythmes cosmiques qui se traduisent par les mouvements de la lune et du soleil.

 

- D'autre part sous forme de schémas séquentiels d'activités susceptibles de déterminer une suite de comportements organisés à différents niveaux de complexité (croissance, reproduction, comportement d'orientation, de locomotion...). Ce temps est apprécié en termes de couplage cinétique, coordination, de synchronisation et de désynchronisation, de changement de vitesse des activités neurobiologiques.

 

-Le temps social, en rapport avec une communauté et des traditions qui se maintiennent à travers des normes et des lois, apparaît comme un organisateur social indispensable . Il s'agit d'un temps abstrait, organisé en fonction d'une référence stricte, stable, mesurable, semblable pour tous et qui, tout comme l'argent, peut se "compter", "s'économiser", se "perdre". Il se réfère à une durée conventionnelle, uniforme, construite à la fois à partir de la croissance constante du savoir et de la complexification de la société. Cette conscience du temps métrique s'est glissée à l'intérieur de chaque personnalité et traduit le niveau d'autodiscipline que s'imposent les différents individus de la société.

 

-Le temps vécu, qui renvoie à la notion de "sujet" en relation avec la capacité de construire une continuité temporelle entre passé, présent et avenir à partir de toute une série d'"évènements" tant corporels que sociaux qui doivent prendre sens. Les événements sont constitués comme tels par le sujet puisque c'est lui qui en fixe le début et la fin et qu'aucun critère objectif ne permet cette segmentation. Cette composante subjective s'exprime principalement à travers le concept de vie "privée" dans laquelle le temps est organisé en fonction d'une référence floue et essentiellement instable avec des accélérations et des ralentissements qui se font en fonction de "l' histoire intérieure".

 

Ce "temps vécu" doit être différencié du "temps éprouvé", dans la mesure où le temps lui même n'est pas un contenu de la conscience, mais une dimension de la temporalité subjective. Ainsi, l'écoulement du temps est vécu comme dirigé dans le sens de notre propre être, et ce sentiment de la durée entretient une relation singulière avec l'angoisse.

 

C'est un temps bidirectionnel puisque l'esprit humain est capable de retourner dans le passé et d'envisager l'avenir.

 

En fait, ces frontières sont difficiles à maintenir en raison de l'intrusion de plus en plus grande du social et du technique dans le biologique et dans le psychique. En effet, le corporel et le biologique sont devenus les parents pauvres, les pays sous-développés qui. sont traités soit comme des objets à parfaire, comme s'il 'agissait d'une carrosserie de voiture soit comme des ennemis à soumette.

 

L'autorégulation, l'autodiscipline en matière de temps que l'on rencontre dans nos sociétés n'est ni une donnée biologique, ni une donnée psychologique. C'est une donnée sociale, qui s'intègre dans la structure de la personnalité de chacun qui est susceptible de provoquer un "stress temporel" en raison d'un temps social toujours plus rapide et plus métrique, entraînant des conflits de priorités importants entre le temps du travail, le temps domestique, le temps biologique de récupération et le temps personnel et subjectif indispensable à toute intériorité. Et l'on assiste à la survenue paradoxale d'alternance entre des périodes épuisantes de temps "surprogrammé" et des périodes angoissantes de"temps libre", étrangement vide.

 

Modifications du temps dans le stress.

 

L'intrusion de plus en plus grande du social dans le corps biologique provoque des altérations aussi bien au niveau du temps biologique qu'au niveau du temps vécu.

 

 

Temps biologique:

 

Au niveau du temps biologique, on peut observer durant les réactions de stress:

 

1) Une altération des rythmes biologiques avec disparition des rythmes circadiens, qui échappent à leurs synchroniseurs externes et/ou internes et qui se manifestent tant au niveau de la sécrétion du cortisol et de l'adrénaline qu'au niveau des rythmes de température avec des répercutions sur le rythme veille/sommeil .

 

Cette altération des rythmes biologiques peut s'observer également au niveau des rythmes de sécrétion Oestrogène/Progestérone avec des modifications de l'ovulation. et du cycle menstruel.

 

Dans tous les cas, ces altérations de rythmes ont une répercussion importante à tous les niveaux du métabolisme dans la mesure où l'information apportée par un signal périodique est plus riche que celle constituée par un signal constant . En effet, la sécrétion continue d'hormones ou de neuromédiateurs entraîne une désensibilisation des récepteurs, une accumulation des métabolites et une désorganisation du jeu dynamique des intégrations.

 

2) Une accélération de la plupart des activités rythmiques (rythme cardiaque, respiratoire, électroencéphalographique, musculaire, vocale) qui se manifeste par un état de tension musculaire et psychologique pouvant entraîner, s'il dure, un état d'épuisement..

 

3) Une rupture des séquences d' activités motrices complexes susceptibles d'entraver une suite de comportements organisés et contrastant avec une facilitation d'activités simples, automatiques.

 

4) Des difficultés cognitives en relation avec l'incapacité d'intégrer des activités complexes dans leur contexte environnemental et temporel et se manifestant par une incapacité à résoudre des problèmes difficile, à pratiquer des tâches de mémorisation et d'expression verbale et des activités créatives.

 

Temps vécu

 

La temporalité perd sa continuité naturelle pour devenir une juxtaposition discontinue de "maintenant". Le temps vécu se fragmente, ce qui peut amener une adaptabilité peut-être paradoxale à des événements imprévus mais provoquer également une incapacité à séquentialiser les causes et les effets et à intégrer des temporalités hétérogènes. On vit alors dans le présent, en restreignant son attention aux tâches les plus immédiates et en s'amputant des capacités de réflexions et d'invention.

 

L'expérience du passé et du futur se modifie en fonction d'un sentiment d'urgence et les comportements automatiques et archaïques prennent le pas sur les capacités critiques et l'activité créatrice.

 

L'insatisfaction engendrée par un tel vécu amène à la recherche de "paradis artificiels" ou conduit à vivre dans l'espoir d'un futur meilleur par exemple par l'utopie de loisirs salvateurs qui ne font qu'aggraver les frustrations engendrées par le présent immédiat

 

Conclusions

 

Ces modifications des temporalités biologiques et psychologiques lorsqu'elles se prolongent lors de réactions de stress répétées sont susceptibles de provoquer des perturbations sevères chez des sujets qui présentent une certaine fragilité des rythmes biologiques endogènes et l'on peut se demander si ces "dyschronies" ne sont pas à l'origine des troubles anxieux et des troubles paniques si fréquemment observés dans la pathologie psychiatrique de ces dernières années.