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André DEMAILLY : Le labyrinthe des métaphores simoniennes de la conception : du "satisficing" théâtral au "fitting" animal.
7 Septembre 200
Le labyrinthe des métaphores simoniennes de la conception :
du « satisficing » théâtral au « fitting » animal.
DEMAILLY André
: Résidence « Quartier Latin », Bât.B, 480 av. Major Flandre, 34090 Montpellier andrel.demailly@wanadoo.fr
Résumé :
Les métaphores occupent une place capitale dans la pensée de H.A. Simon. D’une part, il les met au cœur des processus de rétroduction qu’il considère comme la voie royale de la connaissance (de préférence aux démarches inductive ou hypothético-déductive) : se représenter et modéliser ce qui est peu connu en se référant à ce qui l’est davantage. D’autre part, il fait de leur recherche et de leur évocation l’une des tâches essentielles de la mémoire.
Parmi elles, celle du labyrinthe est sans doute la plus centrale. En s’inspirant d’elle pour retracer les cheminements métaphoriques de Simon, on reconstitue en fait l’évolution de ses idées quant aux sciences de conception, tant dans le domaine de l’artificiel que du naturel.
Un premier groupe de métaphores a trait aux limites de la rationalité : l’environ-nement ne se donne et ne se découvre que peu à peu à tout individu, de même que celui-ci ne dispose que de ressources cognitives limitées pour le traiter. Ce qui n’empêche pas cet individu de s’en tirer fort bien avec les moyens du bord. D’un côté, l’environnement se présente comme un labyrinthe (1956) que l’on parcourt en faisant des choix satis-faisants et non optimaux (en gardant parfois la nostalgie de ceux que l’on n’a pas opérés, le désir de savoir où ils auraient mené et l’envie de raconter des histoires sur leur issue, 1991). De l’autre, la complexité de nos comportements est plus le fait de la complexité de cet environnement que de nos processus cognitifs (métaphore du cheminement de la fourmi en fonction des courbes de niveau du terrain, 1969).
Un deuxième groupe a trait à la mémoire. Celle-ci est présentée comme une vaste bibliothèque de connaissances acquises (par soi-même) et apprises (d’autrui) et comme un double intérieur de l’environnement extérieur, que l’on peut parcourir à volonté (1969) à ceci près qu’elle échappe aux contraintes spatio-temporelles de ce dernier et constitue une sorte de tableau noir (1966) dont les traces peuvent être réagencées. L’ordinateur reprend ces caractéristiques avec des langages de programmation (tel l’IPL) qui permettent d’agencer ces connaissances à la manière d’un collier dont on n’aurait pas à enfiler les perles une à une (1956).
Un troisième groupe porte sur le caractère à la fois contingent et artificiel de notre environnement peuplé d’artefacts techniques, culturels ou organisationnels. S’il s’agit d’un environnement organisationnel, il est façonné (plus ou moins bien) par les intentions d’autrui que l’individu doit interpréter de son mieux pour agir au mieux. Ainsi, la performance théâtrale (1947) est fonction tant de l’interprétation de l’acteur que de la conception de la pièce. Les artefacts techniques l’illustrent encore mieux puisqu’ils sont constitués d’un environnement interne (1969) et matériel qui est à l’interface d’intentions humaines (qu’il réalise) et d’un environnement externe soumis aux lois de la nature.
Un quatrième groupe a trait aux démêlés de Simon avec le courant néoclassique sur les thèmes de la rationalité et des marchés. Simon doit contrer Friedman qui place très tôt le débat sur le terrain du darwinisme, avec la séduisante métaphore des feuilles de l’arbre (1953) qui maximisent leur part de lumière : autrement dit, seules survivent celles qui ont maximisé cette part. Pour souligner que les marchés sont essentiellement myopes et ne peuvent en aucun cas sélectionner ceux qui ont maximisé leurs utilités, Simon lui répond par les métaphores du randonneur (1981) qui est sûr d’être parvenu au sommet d’une colline sans être jamais assuré qu’il s’agit de la plus élevée (maximum local contre maximum global) et du joueur d’échecs (1964) qui ne peut évoquer tous les coups possibles et doit choisir le plus satisfaisant. Le régime alimentaire (1964, 1969, 1976) est à la fois un exemple et une métaphore : d’abord un exemple en ce qu’il lui permet de comparer la démarche néoclassique et la sienne (au profit de cette dernière) puis une métaphore des marchés qui ne peuvent jamais couvrir la totalité des informations (en termes d’alternatives et de critères de choix) qui les concernent. A l’inverse, les hyménoptères (1983, 1990), tels qu’ils sont étudiés par les néodarwiniens, lui servent d’abord de métaphore puis d’exemple : métaphore des bienfaits de l’altruisme puis exemple patent de l’équivalence du « satisficing » humain et du « fitting animal » dans l’évolution.
Au terme de ce cheminement labyrinthique et métaphorique, on peut conclure (Demailly, 2004) que les sciences de conception ne se limitent pas au domaine de l’artificiel mais s’étendent aussi au domaine du naturel.
Références bibliographiques :
Demailly, A. (2004). Herbert Simon et les sciences de conception. Paris : L’Harmattan (collection « Ingenium »).