A15 Disegno et Ingegno : les deux sources de la modélisation de la complexité

J.P. MARTINS BARATA : « En cheminant dans et avec l’idée de modélisation de la complexité : les dynamiques complexes des métropoles »

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J.P. MARTINS BARATA

 « EN CHEMINANT DANS ET AVEC L’IDEE DE MODELISATION DE LA COMPLEXITE : LES DYNAMIQUES COMPLEXES DES METROPOLES »

José Pedro MARTINS BARATA
    
       Travessa Estêvão Pinto, 6  1ºDto. 1070-124 LISBOA - PORTUGAL
      jpmbarata@netcabo.pt

1 – La nature du fait métropolitain

    La concentration urbaine et métropolitaine sous sa forme métropolitaine et mégalopolitaine est un fait dont l’évidence ne cesse d’être dénoncée et étudiée selon plusieurs approches disciplinaires. Cependant, ces approches de son étude ainsi que les quelques efforts pour y porter un contrôle, sont marquées par les visions et les méthodes propres à chaque discipline – d’abord l’approche géographique, puis l’économique, la politique et celle des techniques de l’aménagement du territoire.

   On constate partout la faillite des intentions de contrôle du phénomène tant que les interventions qui lui devraient répondre ne semblent pas recevoir un appui efficace des approches disciplinaires qui ne tiennent pas compte de la complexité du fait métropolitain.

 

2 – L’émergence graduelle de la perception de la complexité métropolitaine

    La nature complexe des métropoles est dénoncée par ses contradictions. La plupart des interventions qui se veulent « structurantes » n’ont en fait qu’un caractère « remedial » ; des interventions pour « résoudre » un problème créent des problèmes souvent plus graves ; des interventions dans la sphère physique ont des conséquences imprévues dans la sphère de l’économique et du social. Des processus avec des temps caractéristiques différents sont à l’œuvre qui rendent problématique toute prévision souhaitée par les agences et pouvoirs publics qui doivent agir.

    Une attitude « structurante » se veut comme établissant des limitations, stimulations et infrastructures tendant à diriger l’évolution vers un état désirable, défini politiquement par quelque voie démocratique ou technique. L’attitude « remediale » tend à pourvoir des solutions aux problèmes posés par l’évolution tels qu’ils se présentent à court terme et sous la pression des besoins immédiats des populations.

     Les efforts pour extraire de l’ensemble des faits une compréhension globale du fait métropolitain par les méthodes propres à chaque discipline n’aboutissent pas, la méthode Cartésienne n’y étant pas de grand secours.

     Le besoin de « construire » un modèle apte à saisir la nature complexe du fait métropolitain devient chaque fois plus pressant, mais il ne semble pas qu’il puisse se faire sans appel à l’intentionnalité et à l’intelligence de la complexité.



3 – A la recherche des moyens de contrôle de l’évolution des métropoles

    Des attitudes « volontaristes » peuvent être définies qui tiennent surtout de la planification technique : il s’agît de faire face aux besoins de transports et circulations,  de ravitaillement et d’énergie. En fait, ces interventions augmentent la complexité et, par la même, la difficulté de répondre aux besoins des populations, et les ressources financières  et énergétiques que les zones métropolitaines absorbent sont puisées dans l’ensemble du territoire national et de l’extérieur du Pays.

     On n’étudie pas suffisamment le mécanisme financier sous-jacent à la concentration métropolitaine : la « surchauffe » immobilière et foncière dans les zones urbaines attire les investissements, drainant les zones non urbaines par le système bancaire ; d’autre part les investissements en capital public qui supportent la mise en valeur et la surchauffe financière des zones urbaines y accourent provenant du système tributaire national (1). La perception de que les métropoles sont, en quelque sorte des « prédateurs » du territoire est voilée par la constatation des valeurs assurées par ces zones, en termes culturels surtout. La concentration métropolitaine semble être ainsi un obstacle structurel aux politiques de développement territorial, surtout dans les Pays sous développés ou en voie de développement, comme le suggère la comparaison entre les indicateurs de développement économique et social et les indicateurs de concentration territoriale ; dans les Pays développés cet effet se fait moins sentir du fait d’une plus grande productivité des facteurs .          

 

4 – Comprendre la complexité, agir dans la complexité

    Les analyses du fait métropolitain du point de vue géographique, économique, technique, social ou culturel s’accordent pour « dénoncer » son caractère complexe. Mais cette complexité se place non seulement dans les plans cités mais se compose avec un caractère dynamique souvent mal compris.

    La concentration urbaine a certainement une dimension spatiale mais aussi une dimension temporelle, et dans cette dimension plusieurs échelles de temps sont en action. Saisir la complexité signifie aussi comprendre que s’il y a une échelle « micro », une échelle « meso » et une échelle « macro » dans la constitution des phénomènes, il y a aussi une échelle temporelle qui va de l’immédiat au long terme, passant par le moyen terme, et que ces échelles se composent et interagissent. Des actions dans l’immédiat ont des conséquences à moyen ou long terme ; des mouvements de longue portée temporelle conditionnent des actions à court terme ou dans l’immédiat – et ceci d’une façon continue, sans moment de départ ni un moment d’arrivée.

    La complexité donc, doit être vue comme une condition inéluctable, qu’il faut accepter comme telle, et ne peut pas être ignorée s’il s’agit d’intervenir sur son objet. Agir dans la complexité entraîne donc le besoin de la comprendre pour pouvoir trouver les moyens de la réduire à des niveaux suffisants pour assurer quelque efficacité, ce qui ne peut être achevé en niant ou en écartant la nature de la complexité des phénomènes et lui substituant  une découpe « cartésienne » en problèmes.



5 – Modéliser pour comprendre

    L’idée de « modéliser » un phénomène dont la complexité est évidente n’est certainement pas une idée nouvelle ; de tout temps les structures logiques formelles de la pensée se présentent comme des modèles des agissements concrets des facultés mentales devant le monde donné à la conscience. Pour tenter de saisir les interactions au-dedans de l’ensemble métropolitain, sa nature, ses temps et ses significations, la construction d’un modèle doit permettre établir une image suffisante de l’objet sous examen ; une image qui est en soi même forcément complexe, puisque la construction de modèles représentant des aspects partiels de l’objet est toujours possible, et même courante, mais insuffisante pour rendre compte de la complexité. Les modèles possibles sont plusieurs, puisque leur construction provient d’une volonté de comprendre et pas de quelque « vérité » immanente dans la nature de l’objet modélisé. En plus, se référant à une réalité changeante et dynamique, ils peuvent changer eux-mêmes suivant sa dynamique interne et l’émergence de données et cheminements de la pensée dans son effort de cerner de prés une réalité mouvante.

    Sous cet angle, on attend souvent d’un modèle qu’il soit utile, ou « applicable » dans le sens de ‘mener à des techniques de prédiction ou d’ntervention’. C’est un désir légitime de la part de ceux qui, ayant des responsabilités et des pouvoirs d’intervention  doivent se servir des secours de tous les moyens d’étayer ses décisions ; Cependant il faut comprendre que ces décisions et leurs effets font aussi partie de la nature complexe du phénomène et sont eux-mêmes objet de l’effort de modélisation. Le but de la modélisation est donc surtout de chercher à porter l’intelligence au cœur même de l’ensemble mouvant et dynamique de l’objet, tout en acceptant l’incertitude et l’instabilité propres à une telle démarche. Le « disegno » de l’action doit se nourrir de l’incessant effort de mise en œuvre de l’ « ingegno » vers une reliance des faits interprétés, des données acquises, des intuitions éveillées et des techniques adaptables, quitte à les revoir et mettre en question sans inhibitions.

      Modéliser, sous ce point de vue, ne doit être entendu comme un effort de simuler ou prédire – et moins encore de proposer ! – des formes ou des interventions de la gouvernance sur l’objet humain et territorial, désirables ou pas. Il s’agit non pas d’étudier critiquement des formes ou des états du système mais plutôt de chercher à détecter les dynamiques morphogénétiques qui y sont à l’œuvre, et déceler tant que possible les conséquences irréversibles ou les résultats probables de l’intervention des multiples volontés en présence.      



6 – Le modèle comme formalisation

    L’objet complexe, quel qu’il soit, peut être approché par des descriptions verbales rendant compte de ses composantes, ses relations et ses évolutions. Il est pourtant manifeste qu’au-delà d’un certain niveau de complexité, ces descriptions deviennent prohibitivement longues et d’un maniement difficile, surtout lorsque la composante temporelle est essentielle. L’utilisation de structures formelles devient donc nécessaire et son choix doit être fait selon la nature de l’objet sous examen.

     La concentration urbaine et métropolitaine a des composantes humaines et matérielles, mais elle ne peut pas être comprise hors d’un cadre spatio-temporel, et dans ce cadre, ces composantes ne peuvent être saisies seulement par la description qualitative ; ces composantes ont des grandeurs et des formes lesquelles sont tout aussi importantes que ses significations et valeurs qualitatives. La formalisation des composantes dont la dimension est essentielle fait donc tout naturellement appel à  l’instrument mathématique dans la construction du modèle.

     On peut mentionner que la formalisation des structures et résultats des Mathématiques a, elle-même, le caractère d’un modèle « construit », quelles que soient les différentes écoles de pensée sur ses fondements logiques. L’utilisation de cette formalisation dans la modélisation se fait ainsi sans heurt entre modes de pensée.  Mais la formalisation ici proposée pour l’approche à la complexité du fait métropolitain cherche à explorer le caractère de « Mathesis » - ou façon de comprendre – plutôt que celui d’ « Algorithmique » - ou façon de calculer – qui sont, ensemble, propres à la Mathématique.



7 – La formalisation proposée

    L’approche proposée, comme signalé plus haut, ne vise pas mener à quelque technique ou politique d’intervention mais plutôt à chercher les sens de l ?évolution du système métropolitain sous la poussée de ses dynamiques internes, des conditions externes changeantes et des décisions volontaires de la gouvernance.

    L’essentiel de l’approche proposée réside dans le choix intentionnel de percevoir dans le système trois dynamiques en interaction correspondant

- aux choix individuels des habitants devant les conditions présentes et de celles qu’ils supposent se vérifier dans un futur limité ;

- aux disponibilités et stratégies d’investissement par les détenteurs des ressources financières pour le faire tenant compte de leur connaissance des choix probables des habitants et des contraintes ou opportunités provenant de l’action de la gouvernance ;

- aux actions de la gouvernance à caractère structurant ou remedial devant les exigences des gouvernés, ses possibilités d’intervention dans le présent et ses intentions de changement ou de redirection des problèmes.

La modélisation ainsi construite assume que ces dynamiques agissent synérgètiquement (au sens de Haken) par l’action de « paramètres de contrôle » provenant de chacune vers les autres, en continu, avec ses temps caractéristiques.

- La dynamique des choix des habitants est formalisée dans une approche Markovienne par la matrice des transitions probables désirées ;

- Le volume global d’investissement foncier et immobilier dans la zone métropolitaine varie selon l’efficacité marginale de ce type de capital, mais sa distribution locale se fait d’accord avec les conditions offertes ou présumées, et est approchée par un formalisme Lagrangien.

 -les décisions de la gouvernance portant sur la forme et fonctionnement de l’objet métropolitain, à caractère remedial ou structurant, sont prises tenant compte des conditions, besoins, volontés politiques et moyens techniques disponibles, et l’écart entre les intentions et les résultats obtenus est évalué par une distance de Hamming dans une représentation de la diffusion des interventions par une algèbre des Sous Ensembles Flous.

     Chaque dynamique fournit les paramètres de contrôle pour les autres, en continu, tenant compte de ses temps caractéristiques.  



8 – Le sens de l’approche proposée

    La modélisation proposée cherche à saisir à chaque moment les évolutions au sein de l’objet métropolitain, ses directions et intensités, et pas à « prévoir » avec justesse quelque état futur du système. La modélisation proposée désire en quelque sorte répliquer dans sa complexité inhérente, la complexité même de l’objet métropolitain et ses dynamiques internes. La construction de cette modélisation se veut comme établissant – pour utiliser une image – un « engin apprenant » qui en permanence examine et évalue la complexité de l’objet auquel il est appliqué, mais cherchant à suivre sa dynamique propre. Cette réplique s’appuie sur le fait que la modélisation même est gouvernée par la dynamique de son objet, ses paramètres étant à chaque moment modifiés et ses relations altérées  par la réalité à laquelle elle s’applique, cherchant à absorber les formes de sa complexité.

J.P. Martins Barata
Collège des Études Intégrés
Université Technique de Lisbonne