Atelier .03* La clinique de la complexité, projet éco-étho-anthropologique.
Présentation générale : Jacques Miermont
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LA CLINIQUE DE LA COMPLEXITE,
PROJET ECO-ETHO-ANTHROPOLOGIQUE.
Jacques Miermont
Argument
Le projet éco-étho-anthropologique nous permet de ne pas couper le circuit qui relie les racines naturelles de l'être humain de ses prolongements culturels et artificiels. À partir de considérations phylogénétiques et ontogénétiques, le présent atelier a pour ambition d'explorer certaines facettes cliniques, éducatives, religieuses et sociétales qui mettent en perspective l'homme contemporain dans ses contextes naturels et culturels d'existence.
L'évolution se traduit par l'émergence conjointe du lien interpersonnel, du soin parental, de la défense du territoire chez les vertébrés : sur ce plan, la famille est moins le fondement de l'organisation sociale qu'une forme d'organisation qui complexifie les processus de reproduction et de relation inter-individuelle : elle surgit avec l'apparition de comportements de reconnaissance mutuelle des individus. La famille contribue à la différenciation du soi, c'est-à-dire à l'autonomisation des personnes.
Sur le plan anthropologique, les phénomènes économiques, politiques, religieux reposent sur des principes organisationnels qui ne sont pas une simple émergence des systèmes familiaux : ceux-ci n'apparaissent pas comme le fondement de la société, mais plutôt comme une modalité particulière d'organisation sociale qui participe à la construction de l'identité et des appartenances. Il existe pourtant des relations enchevêtrées entre les systèmes familiaux et les systèmes sociaux : les processus économiques, politiques, religieuses des communautés sociales privilégient les structures familiales qui assurent leurs fonctionnement ; réciproquement, les structures familiales impriment leurs marques sur les rapports économiques, l'exercice politique du pouvoir, les croyances idéologiques et religieuses.
Comme on peut ainsi le constater, ces processus de sélection et d'émergence, apparemment antinomiques, se combinent et s'articulent dans la phylogenèse (A. Barrière) et l'ontogenèse (B. Troadec) de la culture, dans l'évolution des liens et de l'attachement (A. Barrière et J. Miermont), dans la dynamique des phénomènes affectifs et cognitifs (A. Barrière et B. Troadec), ou dans celle des croyances idéologiques (J. Miermont) et religieuses (G. Donnadieu). Ils renvoient au « double processus stochastique » décrit par G. Bateson.
De même, l'appréhension de ces diverses dimensions des conduites humaines obligent l'examinateur humain à procéder à deux démarches non exclusives d'enquête : une démarche objectivante, où ce qui est observé est considéré comme un « objet naturel » distinct de cet examinateur, et une démarche de reconnaissance intersubjective, où le système observant n'est plus dissociable du système observé, interfère avec lui en fonction des projets respectifs des systèmes observants-observés ainsi en co-développement.
Interventions
Antoine Barrière
La théorie de l’évolution rend compte efficacement de nombreuses propriétés de la vie et de sa diversité. Comme toute théorie scientifique elle suscite des ajustements voire des remises en cause, ainsi le niveau auquel opère la sélection naturelle est-il objet de controverses : est-ce au niveau du gène (théorie du gène égoïste) ? Du groupe ? De l’individu ? De l’espèce ?
Actuellement la théorie du gène égoïste semble rendre mieux compte des faits bien que la sélection groupale garde encore des arguments pertinents. De même la nature de la sélection reste encore sujet à discussion : sélection uniquement positive (le plus adapté est sélectionné)? Sélection neutre et donc basée sur un ensemble de variations neutres et équivalentes avec élimination des moins adaptés ? Là aussi, bien que la sélection positive semble être capable de rendre compte au mieux des observations, la sélection neutre/négative garde une place.
Ainsi, sans faire référence à l’être humain, il semblerait que la théorie de l’évolution ne soit pas un paradigme unificateur de la compréhension du vivant et qu’il est sûrement nécessaire d’accepter de faire coexister des niveaux de sélections différents et éventuellement conflictuels. Le passage à l’homme moderne amène une question supplémentaire : cognition, langage et culture peuvent ils être expliqués par le paradigme général de la théorie de l’évolution ? Les réponses sont variées mais de deux ordres:
P. Tort avec son principe « d’effet réversif de l’évolution » pense que l’évolution a autorisé l’émergence de la culture qui- elle- s’est affranchie des lois de l’évolution catapultant ainsi l’humanité dans un nouvel univers régit par ses propres règles téléologiques, ce principe est congruent avec la plupart des courants sociologiques contemporains ainsi qu’avec les théories du fonctionnement psychique psychanalytiques.
R. Dawkin a quant à lui postulé que la culture humaine restait tributaire du principe ultime de l’évolution : réplication/survie du gène et que la culture était basée sur un principe général de réplication/multiplication/sélection et ne serait donc qu’un outil destiné à la réplication des gènes.
Pourtant l’examen de certains faits montre que les paradigmes du « tout émergent » et du « tout sélectif » ne suffisent pas à créer un paradigme général rendant compte des mécanismes de propres à l’homme. Ainsi, la nécessité de reconnaître que nous n’avons que des paradigmes locaux se fait sentir, et que nous ne pouvons que tenter de créer des cartes locales où parfois plusieurs paradigmes contradictoires entre eux seront pourtant nécessaires pour rendre compte au mieux des phénomènes observés. Cette démarche complexe sera illustrée à partir de données issues d’observations cliniques psychiatriques et psychologiques : le comportement d’attachement, la schizophrénie et l’anorexie mentale.
Bertrand Troadec
Cela commence par une expérience clinique de psychologie scolaire, dont l’objectif est d’évaluer le niveau intellectuel d’enfants polynésiens en échec scolaire (Tahiti, Océanie). L’impossibilité —inavouable pour un expert— à « voir » quoique ce soit de ce qui se passe « dans » la tête des enfants, a suscité un scepticisme à l’égard de la psychologie et de son objet — l’esprit (mind) — mais aussi la volonté d’y « voir » plus clair. Cela s’est poursuivi par une expérience d’enseignement et de recherche en psychologie, à l’Université de Toulouse. Chemin faisant, le projet d’enseigner à des étudiants et de continuer à rechercher ce qu’est l’esprit et son développement a amené la « construction » d’une connaissance plus satisfaisante. D’un esprit conçu uniquement comme un objet naturel, « existant en soi » et évaluable objectivement, la définition qui me convient aujourd’hui est aussi celle d’un esprit conçu comme le produit d’une culture, c’est-à-dire « existant par nous » et donc interprétable subjectivement, notamment « par moi ». Aussi, la communication consiste à présenter les choix ontologique, épistémologique, théorique et méthodologique, sur lesquels s’appuie cette conception ; cadre d’un projet intitulé ontogenèse de la complexité. Ce projet est illustré par un exemple de recherche récente relative au développement de la représentation du temps chez l’enfant.
Gérard Donnadieu
Présentation de quelques essais de modélisation de cette complexité à partir des travaux de Marcel Gauchet ( sa socio-anthropologie historique de la religion), de René Girard (son anthropologie religieuse fondée sur le désir mimétique et le mécanisme sacrificiel), de Ernst Troeltsch (sa sociologie de la religion dans son rapport au changement sociétal).
Jacques Miermont
Avec les bouleversements actuels des sociétés et les entrechocs culturels et technologiques, les dangers surgissent sur le plan planétaire, au coin de la rue et dans la sphère la plus intime de la vie privée. La violence demeure au cœur des rapports humains, dans leurs manifestations locales et globales. L’homme est à la fois projeté vers des formes d’organisation totalement inédites et confronté aux réactions les plus archaïques de ses origines animales.
Face à ces mutations et aux menaces des sociétés contemporaines, les familles, les communautés sociales, les structures globales de la société sont les témoins de nouveaux systèmes de cohésion et de protection. L’intimité et le secret, la prise de risque, la promotion de la responsabilité personnelle, la complexité semblent avoir laissé la place aux principes de transparence, de précaution, d’évaluation, de simplification.
Ceux-ci en viennent à constituer un totem d’un nouveau genre, sorte de « tétrapode » qui tient de l’animal quadrupède et du quadripôle électrique : les pieds sont constitués par les quatre principes précités ; l’emblème céphalique programme l’obligation de résultat ; l’appendice caudal assure une traçabilité à toute épreuve ; enfin, le circuit électronique qui connecte le tout réalise la mobilité surprenante d’un corps affairé à l’étiquetage méthodique de tout ce qui bouge autour de lui.
Ce tétrapode semble agir à l’inverse du projet cybernétique cherchant à repérer les communications et les autorégulations complexes qui exixtent dans l’animal et la machine ; il est en effet un animal-machine, robot biologico-articifiel simple, robuste et sans états d’âme, censé réguler les communications sociales, remplacer les responsabilités humaines susceptibles de défaillir, et protéger les individus. En cela, il remplit bien une fonction de totem, symbolisant l’action des divinités athées représentées par ses divers appendices. Ces nouveaux principes ainsi totémisés produisent un système de valeurs inconnu jusqu’alors, et relèvent de croyances mythiques d’autant plus efficientes qu’elles ne sont pas identifiées comme telles. De tels principes sont habituellement édictés pour faire face aux écueils d’un monde incertain, aux limites des connaissances, aux défaillances humaines et techniques.
Or ces propos légèrement provoquants ne cherchent pas ici à participer aux concerts de critiques des progrès techniques qui assaillent une société et ses nombreux sous-systèmes en pleine transformation. Ces mouvements défensifs, rituels, mythiques et idéologiques, sont plutôt à percevoir comme la contrepartie indispensable de la mutation du monde contemporain, et des tensions entre tendances à l’innovation et tendances au statu quo. Devant les désorganisations rituelles et les menaces mythiques, l'urgence d'une argumentation épistémique, tant sur les plans microsociaux que macrosociaux, apparaît, encore plus aujourd'hui qu'hier, comme une nécessité vitale, susceptible, entre autres choses, d'améliorer ce tétrapode désormais incontournable.