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Jacques MIERMONT : Homo Formaticus. Le tétrapode sociétal totémique
24 janvier 2005
Jacques MIERMONT
Avec les bouleversements actuels des sociétés et les entrechocs culturels et technologiques, les dangers surgissent sur le plan planétaire, au coin de la rue et dans la sphère la plus intime de la vie privée. La violence demeure au cœur des rapports humains, dans leurs manifestations locales et globales. L’homme est à la fois projeté vers des formes d’organisation totalement inédites et confronté aux réactions les plus archaïques de ses origines animales.
Face à ces mutations et aux menaces des sociétés contemporaines, les familles, les communautés sociales, les structures globales de la société sont les témoins de nouveaux systèmes de cohésion et de protection. L’intimité et le secret, la prise de risque, la promotion de la responsabilité personnelle, la complexité semblent avoir laissé la place aux principes de transparence, de précaution, d’évaluation, de simplification.
Ceux-ci en viennent à constituer un totem d’un nouveau genre, sorte de « tétrapode » qui tient de l’animal quadrupède et du quadripôle électrique : les pieds sont constitués par les quatre principes précités ; l’emblème céphalique programme l’obligation de résultat ; l’appendice caudal assure une traçabilité à toute épreuve ; enfin, le circuit électronique qui connecte le tout réalise la mobilité surprenante d’un corps affairé à l’étiquetage méthodique de tout ce qui bouge autour de lui.
Ce tétrapode semble agir à l’inverse du projet cybernétique cherchant à repérer les communications et les autorégulations complexes qui exixtent dans l’animal et la machine ; il est en effet un animal-machine, robot biologico-articifiel simple, robuste et sans états d’âme, censé réguler les communications sociales, remplacer les responsabilités humaines susceptibles de défaillir, et protéger les individus. En cela, il remplit bien une fonction de totem, symbolisant l’action des divinités athées représentées par ses divers appendices. Ces nouveaux principes ainsi totémisés produisent un système de valeurs inconnu jusqu’alors, et relèvent de croyances mythiques d’autant plus efficientes qu’elles ne sont pas identifiées comme telles. De tels principes sont habituellement édictés pour faire face aux écueils d’un monde incertain, aux limites des connaissances, aux défaillances humaines et techniques.
Or ces propos légèrement provoquants ne cherchent pas ici à participer aux concerts de critiques des progrès techniques qui assaillent une société et ses nombreux sous-systèmes en pleine transformation. Ces mouvements défensifs, rituels, mythiques et idéologiques, sont plutôt à percevoir comme la contrepartie indispensable de la mutation du monde contemporain, et des tensions entre tendances à l’innovation et tendances au statu quo. Devant les désorganisations rituelles et les menaces mythiques, l'urgence d'une argumentation épistémique, tant sur les plans microsociaux que macrosociaux, apparaît, encore plus aujourd'hui qu'hier, comme une nécessité vitale, susceptible, entre autres choses, d'améliorer ce tétrapode désormais incontournable.