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Patrick DOUCET : Apprendre en équipe à coopérer pour améliorer la sécurité industrielle : un défi à relever dans toute sa complexité!

8 fevrier 2005

Patrick DOUCET

Apprendre en équipe à coopérer pour améliorer la sécurité industrielle :
un défi à relever dans toute sa complexité!

patrik.doucet@usherbrooke.ca

Ces quelques lignes exposent sommairement la stratégie que je préconise, peut-être pour contrebalancer un courant fort de l’ingénierie dite de systèmes (et non systémique), pour entrer dans l’intelligence de la complexité.  À la lecture du texte, vous devinerez qu’il s’agit d’une version préliminaire, laquelle, je le souhaite, s’enrichira de vos contributions respectives et de vos commentaires.  Le champ d’application des sciences pour l’ingénieur considéré ici est celui de la sécurité industrielle, car davantage dans mes préoccupations.  Néanmoins, une argumentation semblable pourrait être tenue dans un autre domaine plus général, comme celui des démarches de conception de produits ou de service.

Il est admis, depuis fort longtemps, que le meilleur moment pour améliorer la sécurité des systèmes industriels est lors de leur conception initiale, ou lors de la conception de leur modification.  Pour ce faire, un accord général se dégage—tant de la part de la communauté de recherche que des organismes de normalisation—sur la stratégie à déployer.   D’une part, il faut recourir à une démarche rigoureuse de conception, permettant de prendre en compte les aspects de sécurité industrielle.  Il peut s’agir, par exemple, de la démarche générale d’analyse et de maîtrise des risques, intégrée à un processus de conception comme celui de l’ingénierie simultanée.  D’autre part, pour mettre en application cette démarche, il faut constituer un groupe de travail pluridisciplinaire.

Or, cette stratégie semble plus difficile à réaliser qu’il n’y paraît.  En effet, la principale difficulté ne semble pas résider dans les démarches de conception elles-mêmes : elles permettent d’apprécier rigoureusement les risques, tout en étant suffisamment souple pour stimuler la créativité nécessaire pour inventer de nouvelles solutions.  De plus, si elles ont souvent un aspect très analytique—une ingénierie des systèmes, où le système industriel est décomposé en sous-systèmes, jusqu’à un niveau de compréhension suffisamment simple pour pouvoir agir—elles permettent néanmoins une certaine flexibilité quant à la prise en compte de la complexité—une ingénierie systémique, en quelque sorte, favorisant la modélisation du système, dans ses multiples dimensions.  Toutefois, l’expérience montre que si cette flexibilité des démarches de conception existe en théorie, elle n’est que rarement observée en pratique.  Une hypothèse explicatrice posée est que ces démarches, souvent conduites par des ingénieurs, souffrent d’une pauvreté de points de vue, elles sont victimes du monocle disciplinaire.

En effet, pour opérationnaliser ces démarches, les ingénieurs ne doivent pas se limiter à consulter les acteurs qui interagissent avec le système industriel (comme les opérateurs, les mainteneurs, les responsables de la sécurité, les consultants en ergonomie, etc.) : ils doivent les impliquer.  Autrement dit, ils doivent, tous ensembles, explorer les différentes réalités construites et vécues autour du système industriel.  Ce n’est que par cet effort d’intelligibilité des situations vécues par chaque acteur du système, que des dialogiques pourront être mises à jours et exploitées, que des récursivités inhérentes à chaque action posée par les différents acteurs pourront être comprises et considérées dans l’élaboration des solutions.

Ainsi, un mot simple est lancé comme piste de solution : coopérer.  Il faut faire en sorte que l’ingénieur, l’opérateur, le mainteneur, le responsable de la sécurité, le décideur, l’ergonome, l’ingénieur conseil, parviennent à se faire confiance et à communiquer, jusqu’à la découverte des identités de chacun.  Si le mot est simple, le processus, on le devine, est complexe.  En effet, la communication interpersonnelle est vite freinée par les différences entre chacun de ces acteurs hétérogènes : les langages, les manières d’aborder un problème, les importances accordées à des informations, les stratégies d’action, les émotions qu’engendre le problème, les valeurs, les contraintes, etc.  De même, les jeux de pouvoir, les différences hiérarchiques, les oppositions traditionnelles entre le syndicat et les cadres, sont autant d’exemples qui minent la confiance, ou en perturbent l’émergence et le maintien.

En vue d’entrer l’intelligence de ce phénomène complexe—la coopération—un modèle a été créé, principalement en se basant sur les travaux réalisés par Gilles Le Cardinal et son équipe, sur la confiance et la communication interpersonnelles.  Une partie de ce modèle, explicitant bien les difficultés de coopération entre acteurs hétérogènes (et donc aussi suggérant des pistes de solution) sera proposé.  Il s’agit du modèle systémique des processus cognitifs à l’œuvre durant une communication entre acteurs hétérogènes.  Celui-ci permet de mettre en relief des difficultés inhérentes à la coopération interdisciplinaire : l’évidence de la construction de réalités différentes entre chaque acteur; la difficulté d’accéder aux représentations des autres, et donc la difficulté de co-construire une représentation commune d’un problème; la nécessité de travailler d’abord à la construction de la confiance, condition essentielle à la gestion de la complexité des problématiques de sécurité industrielle.

Dans le cadre d’une recherche doctorale, ce modèle sera utilisé pour mieux comprendre les difficultés que peuvent vivre une équipe de travail constituée d’acteurs hétérogènes.  À partir de cette compréhension plus raffinée, des pistes de solutions seront dégagées et des interventions seront conduites auprès d’une équipe, constituée d’acteurs hétérogènes désirant améliorer la sécurité d’un équipement industriel.  Bref, la modélisation systémique pour mieux comprendre, afin de mieux agir, pour mieux comprendre, pour...