A 05
- François BIGREL : Jeu et complexité
01 02 05
Jeu et complexité
F. BIGREL
S’intéresser à la performance humaine c’est se reposer la question concernant la façon dont «les individus habitent le monde».
La réponse occidentale à cette question a longtemps été et est encore de se soumettre à ce qui pourrait s’appeler « une tradition », des valeurs évidentes qui, s’imposant à la réalité, définissent un « bonne manière de faire ».
Cette « bonne manière » est un véritable « objectif à atteindre » et le pivot autour duquel s’articule tout acte d’apprentissage ou d’entraînement, objectif et pivot qui saturent la situation dans laquelle le sujet apprend au mépris de la part de « jeu » qu’offre, pour la construction de ce sujet, la complexité de la situation elle-même.
Le jeu est une de ces notions qui procure immédiatement, dans nos milieux, un sentiment d’évidence. Dérivatif au «vrai travail», récompense, amusement…, le jeu n’en finit pas de traîner une réputation de superficialité, alors que, le moment de compétition venu, c’est pourtant sur lui que va reposer, pour l’essentiel, l’émergence éventuelle de la performance.
Accaparé par les formes que cette performance prend ici ou là, formes qui nous invitent plus à la décrire qu’à réfléchir à ses conditions d’émergence, nous avons négligé le fait qu’elle est d’abord et avant tout le fruit d’une décision en situation d’incertitude et que nous n’avons d’autres solutions que celle de savoir jouer dans cette situation au sens de savoir nous jouer d’elle. On l’aura compris, cette nécessité vient de l’écart entre ce que sait déjà faire le sujet et le problème complexe toujours nouveau qui se pose à lui dans la situation qu’il est en train de vivre. Il y a du « Jeu ».
Ignorant l’enjeu essentiel de la situation de compétition que nous venons de décrire, certains ont pu croire que l’entraînement des qualités physiques et mentales pouvaient suffire à ce que se déploie « l’intelligence en situation ». Il n’en est évidemment rien. Connaître le tir désaxé en handball n’aide pas au choix stratégique de devoir tirer mais le choix stratégique a peut-être besoin du tir désaxé pour aboutir. Ils devront se construire ensemble.
Toute cette dimension qui concerne « l’art d’inventer en situation » est aujourd’hui le parent pauvre de l’entraînement car ce qui le permet étant d’ordre cognitif donc invisible pour un sujet donné, certains entraîneurs sont conduits à négliger son importance.
On peut comprendre alors que des athlètes très sérieux à l’entraînement mais travaillant avec une « vision erronée » du problème qui leur sera posé, perdent beaucoup de leurs moyens le jour de la compétition venue.