TR 2 

Armand BRAUN  : Un cas concret, la prospective de l’Ile de France

Version complétée le 01 04 05

UN CAS CONCRET, LA PROSPECTIVE DE L’ILE DE FRANCE 

Armand BRAUN

La concentration des activités dans les pôles urbains, ou autour d’eux, se poursuit à marche forcée dans le monde. Elle induit une profonde transformation de la géographie humaine, des problématiques sociales, des enjeux économiques, avec d’innombrables conséquences, certaines favorables, d’autres négatives : le sujet est bien connu…

L’intervention portera d’abord sur le positionnement de l’Ile-de-France en regard de ce processus, en termes démographiques, économiques, sociaux et aussi en regard de la compétition entre métropoles pour le contrôle des sources de création de richesse. Un ensemble de signes indique, quoiqu’on en dise, une dégradation, en termes relatifs et en chiffres absolus, de la situation de la région. Les scénarios actuellement à l’étude ne comportent pas de promesse de rétablissement de la situation.

Après une interrogation sur le souhaitable (cf. le livre de Jean Viard, Le nouvel âge du politique, Editions de l’Aube), pour rappeler que l’identité des individus se définit moins par l’appartenance à un territoire que par une poly-appartenance à de multiples groupes et une mobilité généralisée, l’intervention sera articulée autour de trois propositions : un espace parisien intégré, regroupant une dizaine de millions de personnes, se met spontanément en place, se substituant de fait au modèle historique (centre/périphérie, couronnes) ; des initiatives innovantes, nécessaires, peuvent se déployer à ce niveau, alors qu’elles ne le pourraient pas à celui de la Région ou du Paris d’aujourd’hui ; pour exercer un effet d’entraînement, elles doivent être fortes, concentrées sur les domaines d’intervention dont l’effet multiplicateur global serait le plus élevé en termes de développement et de solidarité (transport et logement) et surtout mises en œuvre dans des délais de moyen et non de long terme.

Inacceptables il y a peu de temps encore, ces propositions commencent à être prises en considération. Si elles devaient être mises en œuvre sans trop de retard, elles démontreraient que dans le combat pour les ressources partout engagé entre les besoins du présent et ceux de l’avenir, ce dernier pourrait, contrairement à ce qui se passe si souvent, et dans l’intérêt de l’Ile-de-France et des autres régions françaises avec lesquelles l’Ile-de-France est si interdépendante, ne pas être le perdant.

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Armand Braun nous autorise à reprendre ici, en guise de premier matériau de sa contribution à la Table Ronde TR 2 -:  Sur l’invention du ruralisme, chance d’un urbanisme intelligent , le texte d’un document préparatoire qu’il vient de publier sur le site de la SICS :  www.prospective.fr  : Lettre de la Prospective 38, 4 mars 05, sous le titre :

UNE AGENCE POUR « BOOSTER » L’AGGLOMERATION PARISIENNE ?  5 http://www.prospective.fr/agglomeration_parisienne/agglomeration_parisienne_etude_prospective.htm 

Le signe de la dérivée pour Paris et l’Ile-de-France en général, c’est la poursuite de la stagnation actuelle. Une stagnation que dissimulent la formidable puissance de la métropole et de réelles performances sectorielles (tourisme, congrès…). Mais qui révèle chaque jour un peu plus ses conséquences – en premier lieu, la montée de la pauvreté – et risque fort de se poursuivre, voire de s’aggraver, sous l’influence des problèmes d’emploi, de la réduction du nombre de sièges sociaux centraux de grandes entreprises et du vieillissement, lui-même annonciateur d’une possible diminution de la population à moyen terme.

Alors que les moyens disponibles pour enrayer le processus sont limités, alors qu’une reprise économique assez puissante pour faire oublier les problèmes est peu probable, sa position compétitive s’affaiblit plus vite que les chiffres ne peuvent le révéler. En Europe, des concurrents dynamiques, comme Barcelone, Bruxelles ou Madrid, affichent leurs ambitions. Dans le monde, Paris risque de tomber au rang de simple métropole régionale européenne si elle décroche par rapport à ses rivales classiques, Londres et New York, plus vite encore vis-à-vis des nouvelles, comme Tokyo ou Shanghai… Tout se passe comme si, trop enfermés dans nos difficultés pour comprendre, nous ignorions le rythme trépidant auquel se développent des régions du monde qui se veulent les nouvelles sources de la richesse, de l’emploi et de la culture.

Faut-il se résigner ? Non.

Il ne s’agit évidemment pas de se contenter de lisser les prévisions pour rassurer, de proclamer des stratégies ambitieuses sans avoir les moyens de les mettre en œuvre… Pour sortir de l’impasse, il faut envisager les choses autrement.

D’abord, en déterminant le territoire de l’action, qui ne peut être ni le Paris historique avec ses 2 millions d’habitants, ni l’ensemble de la Région Ile-de-France, dont de nombreuses zones se définissent autrement qu’en référence à la métropole. C’est le Paris des gens, c'est-à-dire de ces 10 millions de citadins qui à la question « où habitez vous ? » répondent « à Paris ». C’est cet espace, chaque jour plus homogène, qui s’étend de Poissy ou Saint Quentin en Yvelines à Marne la Vallée, de l’aéroport Charles de Gaulle à Evry et Melun. Autrement dit, Paris vu d’avion, l’agglomération parisienne. D’un côté, une réalité qui s’impose chaque jour un peu plus, de l’autre, un territoire qui n’a d’existence ni institutionnelle, ni politique, ni administrative. Ne pas se résigner, c’est reconnaître que le cadre naturel de toute initiative pertinente, c’est désormais l’agglomération.

Ensuite, en identifiant le facteur qui ferait la différence, le financement. Le financement pour agir avec force et rapidité dans les domaines où les défaillances sont à la fois les plus évidentes, les plus ressenties et les moins surmontables dans l’état actuel des choses : le logement et le transport. Est-il acceptable, est-il digne de nous, parce que nous ne savons pas résoudre le problème du logement, de chasser les jeunes de Paris et de dissuader les provinciaux et les étrangers de s’y installer ? Est-il sérieux d’annoncer que le métro de l’agglomération, Orbitale, qui devrait déjà exister, sera achevé dans trente ans ? Se centrer sur le logement et le transport, ce n’est pas oublier le reste, par exemple l’enseignement supérieur et la recherche. C’est rendre possibles d’autres initiatives. C’est ainsi que reviendront la créativité et le mouvement là où domine aujourd’hui l’atonie, c’est ainsi que nous nous donnerons une chance de rester dans la course.

Une solution pourrait consister à mettre en œuvre le modèle recommandé par de nombreux responsables et récemment repris dans le rapport sur la politique industrielle de la France de de Jean-Louis Beffa. Le président de Saint Gobain recommande la création d’une structure ad hoc, l’Agence de l’innovation Industrielle. Cette approche mérite peut-être d’être imitée : une telle agence rendrait possible une collecte de capital à l’échelle des enjeux, c'est-à-dire beaucoup plus importante que les collectivités territoriales ne pourront en lever et les contribuables en payer ; elle agirait sur le terrain pertinent, l’agglomération, sans disperser ses ressources ; elle conjuguerait la proximité et l’autonomie vis-à-vis des pouvoirs, l’une et l’autre essentielles.

Un tel projet rencontrerait mille difficultés. Comment intervenir dans le cadre d’une agglomération qui n’a pas d’existence officielle ? Comment conjuguer cette initiative avec le mouvement de décentralisation qui apporte de nouveaux pouvoirs aux collectivités territoriales ? Comment faire accepter que se développe une institution financière qui, certes, ne troublerait pas l’harmonie des sphères publiques, mais qui soulèverait tant de réserves ? Comment faire percevoir la brûlante urgence d’initiatives qui nous permettraient de nous maintenir à niveau ? Combien de temps faudra-t-il pour qu’un tel projet, peut-être la seule chance, devienne réalisable ? Les marchés internationaux de capitaux l’accueilleraient favorablement aujourd’hui : rien n’indique qu’il en ira de même demain.

Nombreux sont les acteurs qui attendent ce réveil. On peut évoquer les communautés d’agglomérations, qui ont besoin de financer leurs politiques ; les Franciliens résidant ou travaillant en dehors de l’agglomération, que l’ombre de la métropole handicape parfois dans la recherche de solutions à leurs problèmes spécifiques ; les habitants de l’agglomération eux-mêmes, que le contexte actuel n’aide pas à identifier leurs repères ; et tous les Français, car nous pâtirions tous de l’abaissement de Paris.

C’est parce qu’une initiative à cette dimension n’est aujourd’hui pas encore acceptable que, sauf l’embellie temporaire espérée d’un grand projet mobilisateur, comme les Jeux Olympiques, la poursuite du statu quo, même aménagé, risque de faire place demain à la fatalité.

Dans les années 1960, à l’époque de Paul Delouvrier, l’enjeu était très différent : il fallait des logements, mais plus encore il s’agissait de créer de nouveaux pôles urbains, de moderniser les transports et les moyens de communications dans le contexte du moment. Aujourd’hui, l’enjeu ressemble davantage, contre toute apparence, à celui des années 1850, lorsque, pour que Paris reste Paris en comparaison avec Londres et ce nouveau venu d’alors, Berlin, son avenir a été confié à Haussmann.

Armand Braun