Le Forum du CONSEIL SCIENTIFIQUE
du programme européen M.C.X./A.P.C.

 

Ce texte développe la contribution proposée par J.L. Le Moigne au Congrés Interlatin pour la Pensée Complexe de Rio de Janeiro , sept. 98 . D'autres contributions importantes présentées à ce Congrés original de l'A.P.C. (organisé avec le concours de l'Unesco , de la Fondation pour le Progrès de l'Homme et de l'Université Candido Mendés de Rio de Janeiro ) seront prochainement publiées sur le Site WEB MCX -APC

COMPLEXITE ET CITOYENNETE, SCIENCE ET SOCIETE.

 

Jean-Louis Le Moigne

Professeur émérite à l'Université d'Aix-Marseille , Président du Programme Européen M.C.X.

Socrate , déjà , interrogeait Protagoras , raconte Platon : "Ce n'est pas seulement dans les affaires publiques , mais aussi dans le privé, que les plus avisés et les meilleurs des citoyens que nous ayons sont incapables de transmettre à autrui ce savoir qu'ils possèdent. Ainsi Périclès …Alors si tu es à même de nous démontrer que le mérite est une chose qui s'enseigne, ne te dérobe pas …"

"Eh bien , Socrate , répondait Protagoras, je ne me déroberai pas…M'est avis qu'il sera plus agréable que je vous raconte une histoire…"

Ainsi se forment les mythes , par ce projet délibéré d'être entendu de tous plus aisément et plus sûrement que par l'exposé d'une démonstration rationnelle (que Protagoras donnera ensuite sans pourtant convaincre tous les doctes : comment prouver à Socrate "qu' un contraire n'a pas qu'un seul contraire, si l'on veut distinguer la prudence et la sagesse" ? )

Le mythe que rapporte ici Protagoras est celui du conflit d'Epiméthé et de son frère Prométhé: chargé par Zeus de distribuer équitablement les qualités et les aptitudes entre les différentes espèces vivantes , Epiméthé oublia les humains ; Prométhé , cherchant un moyen pour réparer cette erreur qui allait fâcher Zeus , déroba à Héphaistos et à Athéna "lé génie créateur des arts , le feu :voilà comment l'homme acquit l'intelligence qui s'applique aux besoins de la vie. Mais l'art d'administrer les cités , il ne le posséda pas .Cet art en effet était chez Zeus , et Prométhé ne pouvait y pénétrer…" Aussi lorsque les hommes, ayant pu ainsi inventer les techniques, voulurent se grouper en formant des cités , ne possédant pas l'art de les administrer ,ils commirent tant d'injustices les uns à l'égard des autres qu'ils allaient tous s'anéantir . C'est alors que Zeus , craignant la disparition totale de notre espèce , envoya Hermès lui porter l'intelligence politique que l'intelligence des techniques ne pouvait lui donner. Hermès demanda à Zeus "de quelle manière il devrait donner aux hommes ce sentiment de l'honneur et celui du droit " , bases de l'art politique : sera ce de la même façon qu'ont été distribué les disciplines technique spécialisées , à un seul individu , spécialiste par exemple de la médecine , suffisant pour un grand nombre de citoyens étrangers à cette spécialité, et de même pour les autres professions ? Non ,répondit Zeus , "distribue les indistinctement à tous …Il n'y aurait pas de cités si un petit nombre d'homme , comme c'est le cas avec les disciplines spécialisées , participaient seuls à ces sentiments" . Voilà ,conclut Protagoras "comment c'est avec raison que tes concitoyens accueillent, sur la chose publique , les avis d'un forgeron et d'un cordonnier, comment la morale publique est, à leur jugement, quelque chose dont on s'équipe et qui s'enseigne".

 

Les sciences positives assurent au citoyen "Ordre et Progrès"

 

Sur cette belle histoire se sont bien lentement forgées au fil des siècles et de façon toujours tâtonnante nos conception de la démocratie et de la citoyenneté sur "la Terre-Patrie". Longtemps nos cités , pour se civiliser , se résignèrent aux jugements de Platon . N'est il pas plus aisé de gérer la cité en l'ordonnant à quelques dogmes proclamés transcendants ? : Ceux des dieux , que nous révélaient les héros puis les prêtres ; et plus tard , ceux des savoirs scientifiques , qu'Auguste Comte érigera au siècle dernier en une "religion de l'Humanité" (qu'exposera le "catéchisme positiviste destiné aux gouvernés" ,1852, complété par "l'appel aux conservateurs, destiné aux gouvernants",1855!) :"La société positiviste que je viens de fonder sous la devise <<Ordre et Progrès>> se propose de faire .. prévaloir les principes de cette nouvelle science" (1848) . On sait l'audience que connut dans bien des sociétés qui se voulaient civilisées, "la formule sacrée du positivisme: l' Ordre pour base , le Progrès pour but" (1855).

 

La pression culturelle du positivisme , confortée par les "progrès" manifestes des techniques , ne semblaient ils pas légitimer le caractère sélectif des dons de Prométhé , incitant à tenir l'art du gouvernement de la cité pour un art comme les autres , praticables seulement par quelques spécialistes ? Prégnance culturelle si forte qu'elle ne sera guère affectée par les leçons des grandes méditations sur l'histoire de l'humanité de G.Vico (la "Scienza Nuova" sera achevée en 1744, et J.Michelet la re découvrira en 1827) , ni par les nombreuses interrogations sur la légitimation épistémologique des "sciences positives "(P.Valéry écrira qu'elles sont le "funeste présent que l'Europe lègue au monde", en 1943) ; les citoyens sembleront longtemps se résigner à cette fatalité d'un gouvernement de leur cité abandonné à un petit nombre de spécialistes , experts , techniciens ou académiciens , selon le vœux de Platon s'opposant à Protagoras . Les affaires de la cité ne sont elles pas devenues si compliquées , si multiples, que le citoyen se laisse convaincre qu'il ne pourra plus les comprendre; comment pourrait il alors juger des affaires qui le concernent (environnement, extrême pauvreté, justice , éducation, etc..), puisqu'il ne peut ni disposer de toutes les connaissances dont on lui assure qu'elles sont nécessaires pour déterminer ,ou pour calculer, le bien commun et l'intérêt général ,ni s'assurer qu'il les interprète de façon pertinente!

 

La plupart des scientifiques s'accommodèrent de cette résignation civique (à laquelle ils s'associaient d'ailleurs chaque fois que les question de la cité ne relevaient pas directement à leurs yeux de leur discipline spécialisée ) : n'assure t elle pas leur propre légitimité de chercheurs et d'enseignants? Lorsque les résultat de leurs interventions "d'experts" auprès des gouvernants n'étaient pas ceux que l'on espérait , ils pouvaient assurer que c'était parce que l'on avait pas consulté à temps les bons experts : pourquoi auraient ils remis en question les "méthodes scientifiques" que légitiment les académies sures de leur autorité fondée précisément sur les épistémologies positivistes (ou réalistes : "le mot positif désigne le réel" , assurait A.Comte) que décrivent quelques "textes sacrés" tels que "le Discours de la Méthode" de R.Descartes ou "le discours sur l'ensemble du positivisme" d'A.Comte : ainsi sont définis et enseignés les critères d'objectivité et de causalité , les méthodes de réduction analytique et de raisonnement déductif, garants tenus pour incontestable de la vérité scientifique dés lors qu'elle est établie en s'y référant explicitement ; ils permettent non seulement de déjouer les charlatans comme les doctrinaires, mais aussi et surtout de postuler que sera "bon pour la cité" tout énoncé tenu pour scientifiquement vrai ? : les calculs des savants dans leurs académies ne sont ils pas tenus pour plus rassurant par les citoyens que les délibérations des rhéteurs sur les forums de la cité ?

 

La quête du sens dans la cité :"tout est fin et réciproquement moyen".

 

Malgré "les démentis cinglants que les développements ultérieurs des sciences ont infligés à la doctrine positiviste" (J.Piaget, 1967), son influence a été et est encore souvent considérable : aux pesanteurs corporatives traditionnelles que chacun perçoit aisément , qu'elles le favorisent où le pénalisent ,s'ajoute sans doute l'effet de l'inculture épistémologique des scientifiques et , bien sur , des citoyens qui ne sont guère incités à intégrer l'épistémologie dans leur culture générale! Ne peuvent ils pas faire confiance aux scientifiques et à leurs académies? Puisque les conventions du réductionnisme et de la pensée disjonctive se tiennent pour justifiées par leur unique et ambitieux projet , "Ordre et Progrès", quelle autre légitimation les citoyens pouvaient ils leur demander ? D'autant plus , observe H.A.Simon ,prix Nobel d'économie , que pendant un demi siècle , ces conventions que l'on réunit ici sous la bannières de leur famille , les positivismes ,ne furent pas confrontées à de alternatives épistémologiques solidement argumentées dans les cultures modernes : faute de mieux ,elles subsistaient ,bien protégées dans quelques forteresses académiques.

Pourtant bien sur , depuis longtemps , bien des scientifiques qui se voulaient aussi bons citoyens, s'interrogeaient dans toutes les cultures (pour les références francophones contemporaines qui me sont plus familières , puis je citer P.Valéry, G.Bachelard, J.Piaget, ou Y. Barel à qui j'ai emprunté la lecture du "Protagoras" de Platon qu'il propose dans un ouvrage au titre significatif : "La quête du sens ,comment l'esprit vient à la cité" , 1987) .

La séparation entre l'élaboration et le choix des fins ,présumés à la charge des citoyens, (lorsqu'on ne leur impose pas le choix des positivismes : "l'Ordre pour base et le Progrès pour but "), et l'élaboration et le choix des moyens , présumés trop compliquée pour être confiés à des citoyens non spécialistes, est elle légitime ? Est elle même praticable au sein d'une société qui se veut civilisée et civilisante ? Kant ne rappelait il pas ce "principe de l'appréciation de la finalité des systèmes organisés: tout est fin et réciproquement , tout est moyen". Le choix de telle fin suscite celui de tels moyens , et la mise en œuvre de ces moyens suscite souvent l'élaboration de quelques nouvelles fins , qui à leur tour…Ignorer cette conjonction permanente des desseins et des moyens qui donne sens à l'action humaine et aux comportements des sociétés humaines , n'est ce pas se résigner à "imputer à un mécanisme naturel aveugle" (Kant) , qu'il soit celui des fatalistes ou celui des positivistes , le devenir de la cité et de l'humanité qui l'édifie ? Pourquoi ignorer ,interrogeait déjà G.Vico, que "l'humanité est son œuvre à elle même" lorsqu'il fondait "les principes d'une science nouvelle" ? : les connaissances que nous livrent l'histoire de ce que les hommes ont fait ne sont elles pas au moins aussi solidement légitimées que celles que nous livre les sciences d'une nature, une nature qu'ils n'ont pas faites?

 

Une "nouvelle réforme de l'entendement" : la pensée complexe

 

Peut on durablement séparer dans nos cités le don de Prométhé , l'intelligence des techniques , du don d' Hermès , l'intelligence du politique ? Devons nous convenir de la victoire définitive de Platon contre Protagoras? Le calcul devra t il toujours l'emporter sur la délibération dans le gouvernement de nos cités ? Questions des citoyens de plus en plus anxieux devant "les dégâts du Progrès" comme devant la dégénérescence de l'Ordre en dictatures militaires ou policières . Questions que posent avec eux les scientifiques attentifs au sens des connaissances qu'ils produisent et qu'ils enseignent , remettant ainsi en question, à la fin du 20° siècle , la légitimité des conventions épistémologiques positivistes et réalistes . Remise en question et surtout reconstruction qu'exprime aujourd'hui , dans toutes les cultures , l'œuvre et le témoignage d'Edgar Morin . Ne symbolise t elle pas cette volonté de l'humanité se reconnaissant responsable de son projet civilisateur en se solidarisant de cette "pauvre petite planète, notre Terre - Patrie" qui dérive peut être dans un cosmos infini et indifférent.

Reconstruction qui appelle aujourd'hui une "Nouvelle Réforme de l'Entendement" , trois siècle après celles que nous proposèrent Spinoza (1677),Locke (1690), puis Leibniz (1704); réforme qu'E.Morin caractérise volontiers par le passage d'une pensée réductrice et linéaire à une "Pensée Complexe" et qui s'explicite par "le Paradigme de la Complexité" comme par "l'épistémologie des sciences de la complexité" dont les tomes successifs de "La Méthode" nous décrivent la genèse et les repères conceptuels . Pensée complexe riche de sa longue histoire, puisant dans les "Fragments" d' Héraclite ou dans la "Scienza Nuova" de G.Vico autant que dans les développement contemporains des "nouvelles sciences de l'organisation" :cosmologie ou géosystèmes , information ou cognition ,bio-anthropologie ou herméneutique . Nouvelle réforme de l'Entendement qui s'exprime en terme epistémiques et , inséparablement, en termes civiques ; E.Morin la décrit volontiers comme "une Politique de Civilisation". Elle rassemble enfin , dans la pensée et dans l'action de chaque citoyen , les dons de Prométhé et ceux d' Hermès ; entreprise complexe mais pas compliquée , intelligible bien qu'irréductible à un modèle fermé , dont chacun fait aisément l'expérience dés qu'il s'attache à exercer consciemment son jugement et donc sa "raison dans les affaires humaines" (H.A.Simon ,1983).

 

"Merveilleux et pourtant intelligible": une éthique de la compréhension

 

L'un des effets pervers les plus pernicieux des doctrines cartésiano-positivistes qui ont dominé la pensée scientifique depuis prés de deux siècles ne fut il pas d'avoir réduit l'intelligibilité d'un phénomène perçu par l'esprit humain à "sa plus simple expression" ,en oubliant le caractère mutilant de telles simplifications a priori . La science ainsi prétendait réduire par "l'explication scientifique" nos capacités d'émerveillement alors qu'elle pouvait sans cesse susciter de nouveaux étonnements . Le mathématicien flamand Simon Stevin élaborant la lois du plan incliné (1608) avait dessiné une vignette la présentant sur laquelle il avait écrit : "Merveilleux et pourtant intelligible" , nous rapporte H.A.Simon : reprenant cette devise , ne pouvons nous demander à la science de nous aider à donner sans cesse des sens intelligibles à toutes les expériences humaines ?. Pourquoi s'acharner à les réduire à quelques explications pétrifiées que seuls quelques initiés "savant dans les choses divines" (Platon , le Ménon) pourraient imposer aux générations futures au nom d'une vérité présumée scientifique dont on ne connaît plus la légitimation?

C'est sans doute par l'argument d'une "éthique de la compréhension" (E.Morin 1994) que l'épistémologie de la complexité nous importe le plus aujourd'hui. Les premiers tomes de "la Méthode" mettaient déjà en valeur ce changement de regard sur les connaissances humaines : à celui de l'anatomiste structuraliste , qui ne veut connaître que la chose structurée , invariante , indépendante de l'observateur et du contexte , ne peut on substituer celui du physiologiste (à la fois généticien, organiciste et physiologiste) , attentif non à la chose mais à l'action , à l'organisation ("l'organisaction" dira E.Morin) , consciente de l'inséparabilité de "l'organisation, la chose organisée, le produit de cette organisation et l'organisant" (P.Valéry) . Modéliser ou représenter les phénomènes que nous percevons complexes , non des objets ou des choses ,mais des actes ou des opérations s'exerçant dans le temps , un "temps créateur" (H.Bergson), constitue sans doute aujourd'hui le défi le plus passionnant que la pensée complexe propose au citoyen autant qu'à la recherche scientifique . Exercice cognitif à la fois familier et hésitant : nous avons été si imprégné de la méthode de la découpe linéaire , analytique et réductrice ,que nous n'osons pas exercer notre "ingénium" , "cette faculté humaine qui permet de relier de manière rapide , appropriée et heureuse " que reconnaissait G.Vico en s'étonnant de l'incapacité de la langue française à traduire ce mot latin que les langues italiennes et espagnoles avaient fort bien su s'approprier . L'intelligence ne consiste t elle pas à s'ingénier à relier , pour les rendre intelligibles , les projets à leur contexte, les desseins de l'action à chaque pas de l'action , les fins et les moyens ?

 

Science et société :"une aventure infinie"

 

Exercice cognitif familier que Kant appelait "la dialectique (ou la méthodologie) de la faculté de juger téléologique ", en nous invitant à reconnaître dans la téléologie une "science critique" qui étudie la capacité d'un système à se refinaliser sans cesse dans l'action qu'elle suscite . Jugement ou raisonnement téléologique qui nous incite à nous interroger sur le sens de ce que nous faisons , au lieu de nous rassurer de façon illusoire en pratiquant , sans les réfléchir, des méthodes analytiques ou statistiques dont nous avons souvent oublié les justifications . Ni le "réductionnisme de méthode" , ni le "déterminisme énergétique" (que symbolise le principe de moindre action) ne sont ,en tant que tels , consubstantiels à la connaissance scientifique et donc à la connaissance civique . Selon l'heureuse formule d'H.von Foerster , il est aussi légitime de répondre à la question :"Pourquoi…?" par la conjonction :" A fin de …" que par la conjonction :"Parce que…", dés lors que la connaissance scientifique vise à produire des significations qu'elle puisse intelligiblement argumenter . Ne nous faut il pas ,dés lors restaurer dans nos enseignements , les sciences de l'argumentation , rhétorique ,topique et dialectique , que nous avions presque oubliées au profit trop exclusif de la seule logique analytique ?

Si cette posture épistémique désacralise le statut social de la science ,qui sen plaindra hormis quelques académiciens ayant oublié leur responsabilité civiques , N'est ce pas au contraire "l'honneur de l'esprit humain" que de reconnaître en la science qu'il construit une fascinante "aventure infinie" (D.Lecourt) … "aventure extraordinaire dans laquelle le genre humain s'est engagé…N'est il pas digne d'un homme de comprendre que l'homme est une aventure? " (P.Valéry). Aventure, permanente "invention de possibles " qui exige la reconnaissance permanente de la responsabilité de ses choix , "éthique de la compréhension(E.Morin) et de la délibération(P.Ricoeur), que nul ne peut aujourd'hui déléguer à la science positive en quête seulement de nécessités déterminantes que la nature nous imposerait .

 

Concevoir et inventer des possibles ,en formant projet .

Comprendre n'est ce pas s'ingénier à inventer délibérément des actions possibles puis voulues, pour contourner des nécessités tenues pour fatales alors que nous n'en comprenons pas le sens ?E.Morin reconnaîtra ici "le problème de l'observateur/descripteur/concepteur…qui doit disposer d'une méthode qui lui permette de concevoir la multiplicité des points de vue , …de passer de l'un à l'autre …et d'accéder au méta point de vue sur les divers point de vue ,y compris son propre point de vue de sujet inscrit et enraciné dans une société " (la Méthode 1, 1977). Situation qui serait paradoxale si nous ne disposions que du don de Prométhé , et qui ne le sera plus lorsque nous conviendrons que le don d'Hermès nous la rend intelligible , cognitivement et politiquement praticable ; les grand pragmatistes américains de ce siècle nous le rappellent en méditant sur "Démocratie et Education" (J.Dewey, 1916) .

Pourquoi la connaissance scientifique ne nous assisterait elle pas dans la formation de notre entendement ? Pourquoi faudrait il se résigner à des décisions calculées déclarées optimum et donc rationnellement nécessaire ,alors que nos critères de choix sont multiples et changeant , interdisant donc toute solution unique , et que cet optimum calculé n'est qu'un des modes d'action possible, parmi d'autres que nous pouvons souvent concevoir et délibérer avec nos concitoyens dans nos cités ? Souvent ce sera parce que nous n'avons pas appris à nous comporter autrement : inventer des possibles , délibérer pour transformer et enrichir nos points de vue , méditer sur les enjeux éthiques de nos actes .

La nouvelle réforme de l'entendement que nous propose aujourd'hui le paradigme de la pensée complexe , constitue pour le citoyen et le scientifique de bonne volonté , une réponse pragmatique autant qu'épistémique au paradoxe de la séparation du savoir et de la société que nous imposait le paradigme de la science positive fort de sa méthodologie réductrice et linéaire . Les démarches de la modélisation systémique (le "diségno" de Léonard de Vinci, ou l'" inventio" de l'antique rhétorique) , comme les modes de raisonnement dialectiques ou dialogiques (ainsi qu' E. Morin propose de désigner l' "ingénium" selon G.Vico ) , s'enseignent aussi aisément que les démarches de la modélisation analytique ou les modes de raisonnement déductifs que privilégie la logique mathématique standard , que préconisaient trop exclusivement les conventions des épistémologies positivistes et réalistes .

Mais ce ne sont pas d'abord les méthodologies qui ici sont en jeu , ce sont les projets des citoyens et le regard qu'ils portent sur leur "Terre-Patrie".Si nous persistons à les comprendre du seul point de vue d'une certitude positive tenue pour plus scientifique et indépendante de nos actions et de nos projets , le choix des méthodes importera peu : la démocratie citoyenne sera de plus en plus en danger. Si ,en revanche , nous acceptons de comprendre que "les vérités sont choses à faire et non à découvrir, ce sont des constructions et non des trésors "(P.Valéry) , alors nous pourrons relier dans nos savoirs et dans nos cités , les dons d'Hermès et ceux de Prométhé . En réinventant le lien profond , que les positivismes avaient presque brisés, entre la culture civique et la culture scientifique , les nouvelles sciences de la complexité , forte de leur ascèse épistémologique interne , nous incitent à de nouvelles méditations éthiques : en nous engageant dans " une éthique de la compréhension , qui n'impose pas une vision manichéenne du monde , …éthique sans fondement autre qu'elle même , mais qui a besoin d'appui à l'extérieur d'elle même …", éthique d