LA LETTRE

CHEMIN FAISANT

33 DECEMBRE 1998

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I

ÉDITORIAL

PRAGMATIQUE ET COMPLEXITÉ :

"... Que sera le prochain pas ? "

Que sera le prochain pas ?, mon prochain pas ? Que faire, ici et maintenant ? L'action que nous allons entreprendre est-elle déjà déterminée, programmée, nécessaire parce qu'imposée ? Fut-elle déjà essayée avec succès ? Ce succès, par rapport à quelles fins l'évaluons-nous ? Ces fins sont­elles subies, ou pré-déterminées ? Ou pouvons-nous, et voulons-nous, concevoir d'autres fins, inventer ingénieusement d'autres actions, d'autres moyens ? Puis, pas à pas, les choisir, agir, faire et connaître ainsi souvent le plaisir de faire ?

Trouverons-nous alors quelque science qui nous aide à prendre conscience de ces possibles, à moins qu'elle ne nous contraigne à assumer consciemment telle unique nécessité ou telle unique finalité ? Questions ancestrales, que chaque être rencontre entre foi et raison, et parfois entre leurs extrêmes, intégrisme débilitant et rationalisme délirant, sources de tant de barbarie.

Questions dont chaque culture et chaque siècle renouvellent les termes. Edgar Morin nous le rappelait il y a peu en évoquant un propos du philosophe tchèque Patocka : " Cela se manifeste par ce que Patocka appelle la "problématisation permanente". Autrement dit, non seulement il n'y a pas eu d'arrêt dans l'interrogation du problème général (qui sommes-nous, qu'est-ce que le monde, la nature, le réel ?), mais cette problématisation a été très riche. C'est à elle que nous devons la rationalité, non seulement la rationalité critique, mais la rationalité autocritique... "

Cette "problématisation permanente", ne nous importe-t-il pas de la poursuivre avec plus d'attention encore aujourd'hui, à l'heure où les institutions que nos sociétés démocratiques ont formées semblent nous imposer tant de " dénis de la complexité ". Complexité que pourtant nous percevons sans cesse devant tant de nos actes, avec une angoisse parfois insupportable lorsque nos actions et nos choix sont collectifs et que nous les voudrions collectivement et effectivement délibérés.

Les exemples de ces dénis de la complexité sont innombrables dans nos vies quotidiennes, et parfois terrifiants dans nos vies citoyennes : spéculation financière internationale facilitant le blanchiment de l'argent sale, traitement des déchets nucléaires compromettant le développement durable, organismes génétiquement modifiés compromettant la bio diversité de la planète, négation ou exclusion de la dignité humaine contredisant nos appels à un "monde responsable et solidaire", inculture épistémique de tant de scientifiques et d'experts compromettant l'élaboration des "politiques de civilisation",...

Chacun, chaque jour peut citer quelques nouveaux dénis de la complexité auxquels il vient d'être sensible, s'indignant en silence de son incapacité à relever de tels défis, alors que nous clamons les merveilles de la raison humaine. Hier "héroïque", ne redevient-elle pas "barbare" ? Ces problèmes ne sont-ils pas pourtant créations humaines ? Les ayant suscités et les percevant maintenant dans leur intensité, ne serions-nous pas capables de les comprendre et parfois de les transformer assez pour " civiliser " notre planète ? " La société humaine est son œuvre à elle-même " nous rappelait G.Vico il y a trois siècles, méditant sur l'histoire des sociétés humaines se civilisant et se détruisant, entre " corso et ricorso ", entre " l'héroïsme de la pensée " (ou de la raison :"mente eroica") et " la barbarie de la réflexion " (ou de la raison).

Cette incapacité, et cette indignité, pourtant ne sont pas nécessairement fatalité. On se souvient peut-être de la méditation de Pascal : " L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature, mais c'est un roseau pensant... Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C'est de là qu'il nous faut relever, et non de l'espace et de la durée, que nous ne saurions remplir. Travaillons donc à bien penser, voilà le principe de la morale "

Travaillons donc à bien penser ", est-il aujourd'hui devise plus pertinente pour exprimer cette intelligence de l'action humaine s'entendant dans sa "praxis", autrement dit dans sa tension pour tenter de comprendre "ce qu'elle fait", de se percevoir ni erratique ni fatale mais intentionnelle, délibérée, consciente au moins de ses propres aveuglements et de l'incertitude de ses effets dans les contextes dans lesquels elle s'exerce.

Cette intelligence de l'action humaine ou de la praxis, que nous désignons volontiers aujourd'hui par "la Pragmatique", (en tentant ainsi de rendre au "pragmatisme" les lettres de noblesse sémantique que lui avaient données ses pères fondateurs Nord Américains, W. James, J. Dewey,...), ne symbolise-t-elle pas notre projet civique autant que scientifique ? Projet qui appelle cette "nouvelle réforme de l'entendement de la complexité" à laquelle collectivement... et pragmatiquement... nous voulons contribuer.

Sans doute nous faudra-t-il d'abord " procéder au nettoyage préalable de la situation verbale ". Le pragmatisme a mauvaise presse tant on l'a utilisé pour travailler à "mal penser", en lui attribuant le pervers et stérile pseudo machiavélisme de la formule : " la fin justifie les moyens ". Interprétation qui dénie le " principe d'action intelligente ", sur lequel les pragmatistes du début du siècle nous invitaient à méditer : Comment, dans l'action, les moyens souvent transforment les fins qui, à leur tour, suggèrent quelques nouveaux moyens.

Nous voilà au rouet ", disait Montaigne, lorsque nous nous attachons à "bien penser", autrement dit, à penser nos projets et nos actes dans leur complexité, leurs contextes, leurs intentions, leur réciprocité. Relier sans cesse l'élaboration des fins et l'invention ou le choix des moyens, plutôt que les séparer, dans nos esprits comme dans nos institutions, s'interdire même cette simplification mutilante origine de tant de barbaries, n'est-ce pas le projet de ce "nouvel entendement" qui ne veut plus disjoindre la Pensée et l'Action, l'Épistémè et la Praxis ? 

Un entendement qui veut " comprendre, prendre avec ", appréhender la pensée dans l'action et l'action dans la pensée ; un entendement qui soit "compréhension" : Le célèbre essai de J. Locke (1690) " An essay concerning human understanding "ne fut-il pas traduit dès 1700 sous le titre " Essai sur l'entendement humain " ?

La Pragmatique aura-t-elle meilleure presse que le pragmatisme ? Les linguistes protesteront peut­être pour cet emprunt à C. Morris qui introduisait en 1938 " l'idée d'une pragmatique dans la théorie du langage ". Mais ils nous accorderont que, même dans ce contexte disciplinaire, la pragmatique constituait " une voie d'accès privilégiée à une juste compréhension du langage ". Compréhension du langage, compréhension de l'action, compréhension de l'autre, compréhension du contexte et du projet. Compréhension qui est intelligence de l'action nous introduisant à l'action intelligente, celle qui s'exerce à la recherche de " ce que sera le prochain pas ", attentive à ce qu'il interdit irréversiblement autant qu'à ce qu'il permet ou rend possible.

Edgar Morin, méditant sur l'intelligible complexité et la pragmatique faisabilité de nos entreprises de connaissances des conditions de notre praxis, nous invite à une "  éthique de la compréhension " : " une éthique qui n'impose pas une vision manichéenne du monde, éthique sans fondement autre qu'elle-même, mais qui a besoin d'appui à l'extérieur d'elle-même ". N'est-ce pas à cette " reliance " de l'éthique de la compréhension et de l'action intelligente que la Pragmatique s'entendant " Science et Conscience de la Complexité " nous incite aujourd'hui à nous attacher avec " l'obstinée rigueur " (" ostinato rigore ", Léonard de Vinci) de l'imagination ingénieuse et créatrice de celui qui " travaille à bien penser ", sachant que " toute idée porte en elle, dans sa rétine conceptuelle, une tache indélébilement aveugle. Le but du discours théorique n'est pas de faire clarté sur tout, mais de voir malgré et avec la tache aveugle " (E. Morin).

Les réflexions que nous avons développées ces dernières années lors des Rencontres du Programme Européen MCX, nous incitent à privilégier maintenant la restauration de l'intelligence de la Pragmatique entendue dans sa Complexité pour enrichir notre entendement : On se souvient des thèmes qui retenaient notre attention et sur lesquels nous nous exercions à bien penser ! " Intelligence Stratégique de la Complexité  " (1994), " les Stratégies de Reliance " (1996), " Reliance des Faire et des Savoirs " (1997), et cette année, le Grand Atelier sur " la Coproduction de Connaissances Actionnables "… autant de questions emboîtées qui nous incitent à nous exercer à cette réforme de l'entendement que symbolisent pour nous la Modélisation de la Complexité et la Pensée Complexe : Pragmatiquement, une Ethique de la Compréhension dans l'Action et en particulier dans l'action collective. Action collective qui appelle ce " changement de regard " dont le recteur Claude Pair nous dit la nécessité pour la démocratie et pour l'école, dans son dernier livre si chargé d'expériences, " L'école devant la grande pauvreté ; changer le regard sur le quart monde ".

Pragmatique de la complexité, inséparablité du "fait", que privilégiait le scientifique, et du "faire", que privilégiait le praticien, ne pouvons-nous, dans tous les domaines où nous sommes engagés, ceux de la recherche et ceux de l'enseignement, ceux de la médiation sociale et ceux des responsabilités économiques et citoyennes, nous exercer ensemble à " travailler à bien penser " pour construire ce prochain pas qui trace notre chemin ?

J.L. Le Moigne


LA LETTRE

CHEMIN FAISANT

33 DECEMBRE 1998

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II

L'INTELLIGENCE DE LA COMPLEXITÉ

RENCONTRE 99, ATELIERS, DEBATS, RESEAUX

du Programme Européen Modélisation de la CompleXité

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- 1 -
LA SEPTIÈME RENCONTRE
DU PROGRAMME MODÉLISATION DE LA COMPLEXITÉ
AIX-EN-PROVENCE, 17-18 JUIN 1999


" PRAGMATIQUE ET COMPLEXITE "


Sur ce thème fédérateur, nous nous proposons de susciter notre septième RENCONTRE biennale du Programme Européen MCX, maintenant familière aux participants anciens du Programme.

Le projet de ces Rencontres demeure l'échange et l'interaction entre des responsables d'action collective riches d'expériences multiples (entreprises, municipalités, action sociale et culturelle, thérapeutes …), et des enseignants, formateurs et chercheurs actifs dans toutes les disciplines, les uns et les autres étant attentifs à ne pas s'enfermer dans le cadre de leur expérience ou de leur discipline.

Ces interactions s'expriment en particulier :

- par une veille épistémique commune : quel est le sens de ce que nous faisons, enseignons, recherchons ? Ce sens est-il " en prise " avec les problèmes perçus dans nos sociétés aujourd'hui ? Pourquoi ? Comment ?

- et par une intention " ingénieriale " partagée : nous voulons dire par là une attitude de conception ou d'invention, qui ne se satisfait pas a priori des " analyses " aussi poussées soient-elles. La recherche de possibles et de souhaitables importe plus que la quête de présumées inéluctables causes nécessaires. L'élaboration des desseins importe plus que l'hypothétique révélation des destins !

En pratique, nous lançons ici :

un appel à contribution

aussi ouvert que possible, la problématique retenue n'étant pas restrictive :

" Pragmatique et Complexité ".

L'universitaire pointu, qui ne veut pas finir enfermé dans sa spécialité sans s'en apercevoir, tout autant que le responsable d'organisation qui s'interroge sur le sens de ce qu'il fait… et fait faire à d'autres, l'épistémologue attentif à la renaissance des épistémologies pragmatistes et constructivistes, tout autant que le spécialiste de l'ingénierie des systèmes complexes, qu'ils soient industriels, informatiques, logistiques, éducatifs ou administratifs…

Tous, nous sommes invités à contribuer à cette réflexion collective.

Sans doute sera-t-elle relativement bruyante et polyphonique. Mais nous avons les uns et les autres assez d'expérience dans les domaines de la modélisation et du pilotage des systèmes complexes pour savoir que nous parvenons parfois à reconnaître l'émergence du nouveau et du sens au sein de ce " bruit "… auto-éco organisateur. La diversité des générations, des expériences, des disciplines, des responsabilités et des cultures européennes s'avère souvent bénéfique dès lors que nous cherchons… pragmatiquement… à ne pas d'abord mutiler en simplifiant par principe !

La règle du jeu pourra alors être la suivante :

1. Nous prévoyons environ 200 participants, débattant autour de 80 contributions préparées à l'avance (par la rédaction d'un résumé de 2 pages), dans cinq sessions travaillant en parallèle sur des thèmes relativement congruents, sessions coupées de quelques séances plénières et tables rondes, pendant deux jours dans l'ambiance conviviale d'Aix-en-Provence selon un rythme qui facilite autant que faire se peut les échanges multiples.

2. On prévoit donc de monter 20 ou 25 sessions de 100 minutes chacune, certains thèmes pouvant "occuper " 2 ou 3 sessions en séquence. Chaque session permettra de présenter oralement (en 15 mn au plus) quatre contributions préparées suffisamment à l'avance pour que son animateur ait pu susciter les coordinations souhaitables en référence au thème général de la Rencontre.

On disposera ainsi de 40 minutes disponibles par session pour susciter échanges et débats dont un rapporteur s'efforcera de garder les traces communicables. Les autres participants étant invités à rédiger avant comme après la Rencontre un résumé de leur intervention. (S'il est rédigé avant, il sera joint, dans la mesure du possible au " Cahier des Résumés " que nous établirons selon un usage maintenant familier). On prévoit de diffuser ultérieurement les Actes de cette Rencontre, sans doute par le site WEB /MCX-APC.

3. Chacun des 20 ATELIERS MCX en activité en 98/99 est bien sûr invité à proposer une ou plusieurs sessions sur des thèmes qu'ils mettent actuellement ou potentiellement à l'étude.

On souhaite aussi des initiatives pour l'instant plus individuelles ou spontanées, révélant la diversité et la capacité créatrice de notre " collège invisible " : de l'enseignement des mathématiques et de la rhétorique, à la diffusion des organismes génétiquement modifiés, par les représentations socioculturelles du travail et le développement de " l'Alliance pour un monde responsable et solidaire "…, les projets possibles ne manquent pas dès que l'on assume l'intelligence de la pragmatique entendue dans sa complexité.

4. L'architecture détaillée de l'Agenda de la Rencontre ne pourra être établi que lorsque nous aurons reçu les " déclarations d'intention de participation et de contribution " :

La fiche ci jointe permettra de préciser AVANT LE 29 MARS 99

le titre et le contexte de cette contribution.

avec, si possible, un résumé (fût-il provisoire ) d'une page ou deux.

(L'indication du contexte permettra de constituer des sessions sur des thèmes aussi transversaux que possible, se référant à des problématiques plutôt qu'à des disciplines).

5. Les " résumés " de deux pages, rédigés par chacun des contributeurs et intervenants, seront publiés à l'avance dans

le CAHIER de la 7e RENCONTRE MCX " Pragmatique et Complexité "

Ils devront nous parvenir avant le 7 MAI 99 (au plus tard) établis selon les modalités usuelles qui seront rappelées dès réception de la fiche d'intention, fin mars 99, pour que nous puissions diffuser le programme détaillé à partir du 15 mai, préparer l'édition de ce " Cahier des Résumés ", et pour que les animateurs de sessions puissent organiser à temps toutes les concertations souhaitables entre les intervenants d'une part et entre les différentes sessions de l'autre.

6. La préparation des séances plénières est en cours par ailleurs. Si nos ressources le permettent, nous nous proposons d'inviter quelques amis de divers pays européens, de façon à rendre plus visible encore le projet d'ouverture culturelle qui donne son sens à notre " intelligence de la pragmatique dans une éthique de la compréhension ".

7. Le programme détaillé de cette 7e Rencontre MCX sera diffusé à partir du 15 MAI 1999 par la LETTRE CHEMIN-FAISANT MCX-APC n° 34, et par une annonce sur notre site WEB MCX-APC). Comme nous ne pourrons guère dépasser le chiffre de 230/250 participants, la priorité sera bien sûr donnée à tous ceux qui se seront manifestés auparavant, en nous renvoyant, par courrier, fax ou courrier e-mail, leur fiche d'intention de participation ou de contribution (fiche rose ci-jointe).

8. Le budget de la Rencontre MCX 99 n'est pas encore " bouclé " (nous sollicitons divers concours), mais nous pensons pouvoir proposer des frais d'inscription (incluant les deux repas de midi, le banquet du 17 au soir, les pauses et les dossiers) de 1.200 F.

La salle de Congrès CARNOT à Aix, que nous avons retenue est maintenant bien équipée et adaptée à nos activités. Déplacement et hébergement seront à la charge des participants.

Les informations d'accueil (Office du tourisme, plans, etc.) pourront être diffusées à partir d'avril 99, avec la fiche d'inscription usuelle. Celle-ci sera adressée à tous les correspondants ayant manifesté leur intention avant fin mars, puis sera diffusée plus largement avec le programme détaillé vers le 15 mai (donc à peine un mois avant la Rencontre).

9. Nous prévoyons de tirer parti des ressources permises par le site WEB Internet MCX-APC pour diffuser à l'avance les informations pratiques, et certains au moins des résumés des contributions annoncées (ceux qui nous seront parvenus assez tôt).

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- 2 -
LE DÉVELOPPEMENT DU SITE WEB INTERNET MCX-APC

"RELIER POUR COMPRENDRE L'ECOLOGIE DE L'ACTION…"

Ouvert en mars 98, grâce au concours décisif de notre ami Serge Diebolt, puis de la plupart des animateurs d'Ateliers MCX, ce site commence à prendre autonomie et vitalité. Nous venons de l'installer sur le serveur associatif GLOBENET, qui dispose et disposera de ressources techniques adaptées à notre projet (moteur de recherche), en le dotant d'une adresse aisée à voir et à mémoriser :

hyperlink http://archive.mcxapc.org archive.mcxapc.org

On peut prévoir et vouloir que ce mode de communication " ouvert ", relativement économique et aisé à gérer en terme logistique, facilitant l'interactivité et l'exercice de l'attention intelligente… et mémorisante, se développe dans les prochaines années. Pour le Programme MCX et pour l'APC, qui doivent rester légers et autonomes, il constitue a priori un mode de communication et de coproduction fort bienvenu… dès lors que la plupart des participants actuels et potentiels peuvent y accéder sans difficulté particulière. Ce qui n'est pas encore le cas pour tous. Il nous faut donc nous efforcer de maintenir le support papier que constitue la Lettre Chemin Faisant MCX-APC aussi longtemps que de besoin… et que nous le pourrons.

Mais en même temps il nous faut nous accoutumer à tirer parti au mieux de cette ressource, en apprenant à développer et à travailler avec notre site WEB INTERNET. Les premiers mois d'exercice sont très encourageants, au moins en terme de faisabilité. Mais par exemple on ne sait pas encore assez que le fichier indexé des " Notes de Lectures MCX " constitue sans doute la plus riche introduction à la  " Bibliothèque virtuelle des Sciences de la Complexité " disponible (en langue française pour l'essentiel) sur toute " la Toile ".

Ces premiers résultats ne doivent pourtant pas faire illusion. Il est manifestement possible de faire beaucoup mieux (et nous lancerons bientôt un appel à volontaires dévoués pour enrichir l'indexation hypertextes), et surtout beaucoup plus, notamment en terme d'interactivité. Ce qui implique que chacun s'exerce à visiter le site régulièrement, et surtout s'accoutume à dialoguer et à suggérer, voire à innover. Le cadre est suffisamment flexible pour que nous puissions nous adapter à bien des suggestions auxquelles nul n'a encore pensé !

Pour l'instant le " fichier des adresses e-mail des participants " dont nous avons commencé la constitution suite à l'appel lancé dans la LETTRE n° 32, en juillet 98, se met en œuvre avec quelque 250 " inscrits ", que nous pourrons aisément alerter en fonction des opportunités. Mais tous les inscrits ne sont pas encore participants... et les participants ne sont pas tous inscrits !

Ajoutons que le site est librement " ouvert " sur le monde, et en particulier sur les sites des autres pays et cultures qui partagent avec nous le projet de relever le défi que constituent les innombrables dénis de la complexité dans toutes les sociétés et dans leurs systèmes d'enseignements et de recherche. La rubrique des " Réseaux en Reliance " donne déjà quelques bonnes adresses. Ceux d'entre nous qui participaient au Congrès International de l'A.P.C. de RIO en septembre 98 ont été sensibles à cette demande d'échanges et d'interaction entre toutes les cultures. (Combien de personnes, en France, savent qu'en 1997, un ouvrage de belle qualité, intitulé " Complexité et Représentation ", a été publié par nos amis brésiliens… en français ?).

Les œuvres maîtresses de quelques grands chercheurs francophones, Edgar Morin, Ilya Prigogine, etc. , attirent l'attention des autres cultures sur ce qui se fait dans notre environnement, et nous avons le devoir de faciliter l'accessibilité de nos propres tâtonnements. Réciproquement, nous avons le devoir épistémologique d'être attentif à ce qui se fait ailleurs : nous avons tant à apprendre et à nous enrichir mutuellement de ces échanges. Le site WEB MCX-APC nous ouvre aisément les portes de ces interactions, dans les deux sens. N'est-il pas de la responsabilité de notre Collège Invisible de les maintenir ouvertes ?

Ajoutons que cet appel à l'ouverture est lui-même ouvert : le Programme Européen MCX construit son chemin… en cheminant, et tous les chemins ne mènent peut-être pas à la Toile de l'Internet ! Le plaisir d'une conversation au coin du feu mérite aussi qu'on le rappelle : pourquoi ne pas profiter du bon vieux support papier pour nous rappeler d'autres chemins possibles aux détours de la pensée complexe !

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- 3 -
L'ACTIVITÉ ET LES PROJETS
DES ATELIERS MCX

Un des avantages du Site WEB MCX-APC est de permettre une information " en ligne " et autonome de chacun des 24 Ateliers du Programme MCX. Certes leurs animateurs n'ont pas tous encore pu utiliser cette ressource commode dont peuvent disposer tant les participants de tel ou tel Atelier que tous les autres citoyens de la Planète.

Mais une visite du site, fût-elle occasionnelle, permettra à chacun de faire des découvertes originales et souvent fort enrichissantes. Promenons-nous par exemple dans les pages de l'Atelier MCX 21 , " Arts , Société et Complexité ", qu'animent P. et M. Signorile , ou dans celles de l'Atelier MCX 18 " Décision et Langage " qu'anime E. Andreewsky , ou dans celles de l'Atelier MCX 17 Prospective et Complexité " qu'anime P. Gonod. Les bons guides vous le confirmeront : " méritent le détour " !

A moins que vous ne préfériez vous attarder sur l'étude originale de notre ami Augusto Cusinato : " Planification régionale et stratégie procédurale " que vous trouverez dans les pages de l'Atelier MCX 24, " Complexité - Cité " ? …

Il faut pourtant accorder ici une attention plus particulière à cinq Ateliers qui ont eu une activité visible importante en 98, qui se manifeste encore peu sur leurs pages du site WEB MCX-APC :

L'Atelier MCX 13, animé par Ph. Boudon et Ph. Deshayes, " les sciences de la Conception " a tenu plusieurs séances de travail réunissant une vingtaine de participants et publié un Dossier MCX XIII qui connaît une diffusion significative dans les communautés de l'enseignement des sciences de la conception. (Le compte rendu de sa journée de travail de Lyon, sept. 98, devrait être prochainement disponible sur ses pages du site WEB MCX-APC)

L'Atelier MCX 20, animé désormais par P. Peyré et M. Laforcade, a également tenu plusieurs réunions sur la représentation de ces systèmes complexes que sont les systèmes sanitaires et sociaux, la dernière à Pau en octobre 98. Il compte publier prochainement le compte rendu de cette réunion sur ses pages du site WEB MCX-APC.

L'Atelier MCX 10 " Critique épistémologique des sciences de la complexité " a contribué à l'une des Journées Thématiques " organisées par le Conseil Scientifique du Colloque National " Quels Savoirs enseigner dans les Lycées ? " pour le Ministère de l'Education Nationale (Conseil présidé par Edgar Morin). Au cours de cette journée (24 mars 98) qui avait pour thème : " Relier les Connaissances " sont intervenus J.L. Le Moigne (Complexité et Système), G. Lerbet (Transdisciplinarité et Education ) et J. Ardoino (Multidimensionalité et Multiréférentialité). On peut certes présumer que l'Institution Education Nationale Française ne sera pas volontiers attentive sur-le-champ à ce " bouillonnement épistémologique " original et stimulant dans l'immédiat, mais n'est-ce pas là une nouvelle illustration du " principe de la taupe " que nous rappelait E. Morin en concluant "Terre Patrie "(p. 216) : " La taupe creuse ses galeries et transforme le sous-sol avant que la surface en soit affectée ".

C'est dans le cadre de cet Atelier MCX 10 qu'ont aussi été élaborées diverses contributions au Congrès Inter-latin sur la Pensée Complexe de Rio, sept. 98, notamment " Complexité et Citoyenneté " (J.L. Le Moigne).

L'Atelier MCX 3 " l'argumentation en situation complexe ", a assuré la préparation de la première " Conférence-Débat " organisée par le Programme Européen MCX en coopération avec l'Institut du Management d'EDF et GDF et du 2IP- Futuroscope, à Paris le 9 juin 98 sur le thème : " Savons-nous délibérer en démocratie, dans l'entreprise et dans la cité ", conférence dont le compte rendu détaillé est disponible sur ses pages du site WEB.

L'Atelier MCX 1, enfin, animé par M.J. Avenier, a assuré pour le Programme MCX la conception et l'animation du premier Grand Atelier MCX sur " la Coproduction de connaissances actionnables ", organisé également en coopération avec l'I.M. et le 2I.P., au Futuroscope, à Poitiers, les 19-20 novembre 98. On rend compte ailleurs de cette entreprise pour nous tous très enrichissante, mais on peut déjà préciser que le " Cahier des Résumés" correspondant est disponible dans la série des Dossiers MCX (Dossier MCX XV, 1998), et bien sûr, sur le site WEB MCX-APC. Les Actes de ce premier Grand Atelier MCX sont déjà en préparation et devraient paraître dans les premiers mois de 1999.

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Sur quelques PROJETS DES ATELIERS MCX en 1999

La partie la plus visible de l'activité des Ateliers MCX en 1999 s'exprimera sans doute par leur contribution à la 7e RENCONTRE MCX d'AIX-en-PROVENCE, les 17-18 juin prochains.

L'agenda des activités de chacun d'eux se construit en marchant : une visite au site WEB MCX­APC donnera à chacun plus d'informations précises que nous ne pouvons le faire au moment où cette LETTRE Chemin Faisant est établie.

On peut pourtant mentionner au moins deux projets en cours de " constitution " qui peuvent intéresser les lecteurs encore peu familiers de l'activité des Ateliers MCX :

Le projet d'un Atelier sur le thème : " COMPLEXITE ET MEDIAS ".

Et celui d'un Atelier sur le thème : " COMPLEXITE DES REPRESENTATIONS DU TRAVAIL ".

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- 4 -

"En rentrant de Poitiers…"

…et du GRAND ATELIER MCX des 19-20 novembre 98 sur

La coproduction de connaissances actionnables …

en délibérant nos projets d'intervention en situation complexe "

Il est encore trop tôt, à l'heure où cette Lettre Chemin Faisant n° 33 est éditée, pour synthétiser les réflexions qu'a suscitées le premier Grand Atelier organisé par le Programme Européen MCX avec le concours de l'Institut International de Prospective du Futuroscope et de plusieurs entreprises (Institut du Management d'EDF et GDF, INSEP Consulting Group, SICS, ALGOE, TRANSFORMANCE…) sur " la coproduction de connaissances actionnables ". Le Cahier des Résumés des quelque 50 interventions préparées est certes déjà disponible sur le site WEB MCX-APC, ainsi que les textes des contributions de Pierre Calame (FPH) et de Bruno Tardieu (ATD Quart Monde). Mais ces écrits ne peuvent rendre compte de la richesse presque ineffable des échanges, dialogues… et coproductions des mille rencontres permises par cette Rencontre !

Peut-être pourtant réussirons-nous à faire émerger quelques aspects en publiant ci-dessous des extraits de quelques-uns des courriers que divers participants ont adressés, en rentrant de Poitiers, à Marie-José Avenier qui, on le sait, a assuré la préparation et l'animation de cette entreprise innovante de coproduction de connaissances dans, par et pour l'action en situation complexe.

En exergue à ce dossier, pouvons-nous placer ces quelques lignes d'une lettre d'un des intervenants évoquant la discussion qui a suivi sa présentation ?

" (Parmi) les questions et remarques qui ont suivi, une en particulier me reste gravée à l'esprit. Malheureusement je n'ai pas retenu les mots exacts ni repéré qui l'a dite. Elle disait en gros qu'on pouvait élargir la question du lien entre connaissance et action à celle du lien entre connaissance et engagement, engagement de vie. On ne peut connaître sans un engagement. N'est-ce pas une question fondamentale pour nous ? " B.T.

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" Un travail de paroles, et non des discours…"

Je vais commencer par redire ce que tu as déjà dû entendre mille fois, mais tant pis. J'ai passé deux jours vraiment très agréables, de grande chaleur, convivialité, circulation simple des propos, et rencontres de personnes de qualité.

A partir de ce premier constat, je crois que beaucoup de choses se sont dites très facilement en dehors aussi des temps "officiels" de travail.

Du coup, je ne sais pas quoi dire de ce qui aurait "dû" être traité. Est-ce que ceux qui avaient besoin de plus, ou d'autre chose, ne l'ont pas trouvé, même si ça n'a pas été "traité" ?...

Cependant, je crois qu'il y a deux choses au moins qui, peut-être, ont manqué et sur lesquelles nous pouvons réfléchir :

1) L'opportunité qu'il y ait en introduction, ouverture plénière, un minimum d'explicitation des termes de l'intitulé, pour que cette explicitation fasse référence, c'est-à-dire que, dans la suite du colloque, chacun puisse se situer par rapport à quelque chose de commun (pas pour l'adopter comme parole magistrale, mais pour pouvoir dire comment on le partage, le nuance, le conteste, les uns et les autres, quand on prend la parole en plénière ou en atelier). Je pense par exemple, ici, à "délibération" et "intervention", qui auraient pu faire l'objet d'une telle explicitation.

2) Le statut, par rapport à notre problématique qui est une problématique de recherche, des intervenants -amorces de plénière. J'ai trouvé que c'était vraiment une très bonne idée, un bon bol d'oxygène à partager, un beau cadeau qui nous était offert par ces personnes à qui l'on demandait quelque chose de difficile, malgré tout. Et, en retour, nous ne leur donnions pas grand chose. Je me demande s'il ne faudrait pas limiter un peu leurs apports propres, et prévoir ensuite un temps de TRAVAIL où 2 ou 3 personnes de MCX les rejoindraient (toujours en public), et où on tenterait de mieux comprendre les articulations entre ce qu'ils apportent et le thème que nous approfondissons ensuite en atelier. Ils seraient ainsi en même temps peut-être mieux intégrés à notre réflexion, et mieux à même d'en profiter...

Enfin, je n'ai pas eu l'impression que l'interpellation réciproque "obligatoire" que j'avais proposée pour les ateliers ait bien marché.

Mais c'est difficile. Je m'en suis aperçu dans la session où j'intervenais. Il faudrait voir le retour d'autres ateliers là-dessus.

Tu vois, mon souci est finalement toujours le même : faire en sorte que nos rencontres soient conçues de telle sorte que le débat soit un travail de paroles, et non des discours qui passent, dont chacun prendrait les quelques bribes qui l'arrangent bien (c'est-à-dire qu'on laisse du temps pour des questions travaillées et pas seulement pour des "réactions"). Mais c'est sûrement TRES difficile. Et, déjà, la qualité (contenu et forme) de ce qui s'est passé, est très précieuse. Il faut que je le dise : j'attends avec impatience la prochaine rencontre. "

F.S. (Enseignant - chercheur)

" Connaissances Actionnables,

Connaissances Actionnées ou Actions connaissantes……"

Commentaires post-Atelier MCX

Tout d'abord, tous mes remerciements et mes félicitations pour ce Grand Atelier MCX. Comme convenu, je vous fais part de considérations générales en tant que nouveau venu et de questions relatives aux interventions dans l'Atelier.

Organisation réussie

L'utilisation du temps et de l'espace, le découpage du programme et l'articulation des interventions permettaient l'expression de points de vue divers et variés sans qu'il y ait de moment de conflit. Les rôles des animateurs et des rapporteurs étaient bien précisés.

Méta-instrument de l'Atelier

Je ne peux pas m'empêcher de penser que l'atelier était un bon exemple de Méta-instrument avec le plaisir au rendez-vous. Messieurs Philippe et Fromageot l'avaient bien exprimé dans la relation de leur expérience de musiciens.

J'ai été impressionné par le langage riche et précis des intervenants (par exemple : contextualisation du patient, territoire, sidération, intention, etc.) et je me sentais à court d'expression un peu comme le guide de haute montagne, M. Fabre, dont les photos faisaient bien passer ce qu'il ressentait.

Convergence

L'Atelier juxtaposait (ou faisait converger) deux types d'interventions situées :

- côté connaissances avec l'approche conceptuelle des chercheurs,

- côté action avec les pratiques des opérationnels.

Par des méthodes différentes, les uns et les autres aboutissaient à des résultats voisins sur les grands thèmes :

- l'accompagnement (soins palliatifs/guide haute montagne vs Sereni) avec la combinaison des trois facettes (guide, compagnon, soutien)

- la cognition collective (musiciens/Journé vs Andreewsky)

- la confiance (Trassaert vs Monroy) avec la dualité méfiance/confiance et la relation de dépendance/vulnérabilité

- les repères (Calame vs Kervern) avec les questions qui subsistent / axiomatiques.

Articulation

Dans mon travail de consultant, je tire profit transversalement de cette palette de travaux, je "butine" les approches des spécialistes ou des sympathisants de la complexité. Ainsi, je vois émerger des transpositions ou des articulations peut-être nouvelles, et qui sont renforcées par l'exploitation des interpellations du terrain.

Les chercheurs s'appuient sur le terrain, mais ont-ils une véritable approche remontante ou une véritable approche transversale avec leurs confrères ?

N'y a-t-il pas, en effet, contradiction entre connaissances et action dans le monde de la recherche ? La vraie question n'est peut-être pas "quelles connaissances actionner ?" mais quel contexte construire pour amener à un processus de collaboration praticiens/chercheurs directement ou non, quelle articulation envisager pour faire coopérer les outils conceptuels et les intuitions opérationnelles ?

Ecoute terrain et capacité d'étonnement

Je pratique des démarches remontantes avec une méthode qui permet d'entrer dans les problématiques par l'analyse des situations de travail au sens large. On fait plus qu'observer et écouter, on remonte les processus. Chemin faisant, on fait appel aux concepts en fonction des besoins jusqu'à l'obtention d'une représentation partagée qui permet le transfert.

Cette méthode est en réalité peu pratiquée à cause du requis principal, le plus exigeant, qui est la capacité d'étonnement.

En effet, les démarches de changement sont pilotées par des gens formés et en poste qui ont finalement du mal à écouter le terrain c'est-à-dire à admettre qu'ils sont éventuellement dans l'erreur et qu'ils doivent se remettre en cause. Il s'agit pourtant, pour un responsable, de "s'accepter vulnérable" (ce qui déclenche la confiance d'après M. Monroy) ou de "gérer l'inattendu", ce qui fait partie du métier de responsable.

Ma pratique résout en partie ce problème en exploitant les circonstances pour solliciter les intelligences. La confiance est alors moins mystérieuse et il est possible d'aller plus loin que l'étonnement avec la médiation du terrain. Peut-être pourrait-on travailler là-dessus pour bâtir une autre culture à base d'ignorance opérationnelle.

Repères : ignorance et vide contrôlé

La particularité des gens de terrain est qu'ils doivent agir, ce qui implique des anticipations, des choix, des résolutions de conflits, la prise en charge de contraintes multiples dans l'espace et dans le temps.

Le terrain fournit des informations aux chercheurs qui l'interrogent. Il peut aussi avoir par lui-même des choses à dire originales et construites à partir de l'étonnement. Mais il faut en faciliter l'expression et le traitement en vue de la mise en mouvement.

L'Atelier a montré que les repères sont multiples et divers : émergence d'outil, carnet de bord, croisement de projets, mémoire collective, accompagnement, confiance.

Mais ne pourrait-on pas promouvoir un autre repère, celui de l'ignorance qui rend disponible pour l'écoute du terrain et donne accès aux leviers d'action véritables. La méthode du vide contrôlé permet, en parallèle, de déployer la mise en œuvre.

Cette méthode permet de déclencher l'adoption d'un autre point de vue étayé par la réalité du terrain. Elle nécessite, pour l'intervenant "ignorant" une grande culture générale.

Autre regard

Dans la foulée, j'ai envie de déplacer le débat sur connaissances actionnées et non plus seulement actionnables.

Tout d'abord, il me semble improductif d'essayer de faire une combinaison (ou une fusion) entre les dynamiques recherche et les dynamiques terrain malgré le rapprochement valorisé dans cet Atelier.

En effet, il y a toujours le problème du passage à l'acte et si l'on n'y prend garde, ce passage à l'acte peut n'être qu'un biais pour mettre un terme à des tensions.

C'est pourquoi je crois utile de considérer le passage à l'acte non comme une rupture mais comme un processus continu qui part de l'amont pour aboutir à une situation nouvelle.

Il faut donc insérer une troisième force transversale pour le faire et s'alimenter aux sources de la recherche et à celles du terrain.

Les tentatives similaires antérieures en recherche opérationnelle et en intelligence artificielle n'ont pas toujours eu les résultats escomptés.

C'est pourquoi il vaudrait peut-être mieux développer séparément les deux aspects :

1 - en partant vers le haut avec plus de conceptuel (axiomatiques de G.Y. Kervern ?),

2 - en partant vers le bas avec plus d'opérationnel dans des démarches facilitant l'interpellation remontante, et travailler sur la mise en œuvre à l'intersection (comme Monsieur Calame à l'intersection des projets) dans une ingénierie de transformation culturelle.

Je sens que je ne suis pas encore arrivé à quelque chose de clair. Pourtant je crois pouvoir apporter quelque chose dans une démarche générique qui intègre le risque de l'homme, au point de rendez-vous des chercheurs et des opérationnels.

La complexité vient pour une bonne part de l'homme. Agir dans la complexité revient pour moi à réintroduire l'homme lorsqu'il s'agit de comprendre ce qui se passe et d'identifier les leviers d'action.

B.B. (Consultant)


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" Quelques réactions spontanées : Représentations du travail,

Quel est le sens de l'entreprise dans la vie de la communauté humaine ? … "


L'univers de la Recherche et de l'Enseignement ont des approches et des centres d'intérêts différents de ceux de l'entreprise. Je conçois bien que ces secteurs ont pour rôle de développer et former les mécanismes de pensée. L'entreprise a sûrement une approche beaucoup plus lointaine, beaucoup plus "pragmatique et empirique". Je considère qu'en entreprise on manque de repères (pour reprendre un thème de travail du Grand Atelier) et de logiques de raisonnements pour appréhender efficacement certains problèmes. Une question qui reste en suspens est celle de la coopération entre deux univers culturels passablement différents. Pour un représentant de l'entreprise que je suis, la question naturelle qui vient est "que puis-je retirer de ce genre de rencontres ?" et qui fasse le profit de la contribution que je dois à mon employeur. Sans doute peu et beaucoup à la fois. Ce fut d'abord pour moi une évasion d'un univers qui finit par formater la pensée à force d'être omniprésent et sans qu'on s'aperçoive bien de l'emprise de ce qu'on vit. A défaut de pouvoir suivre toujours les autres sur leurs chemins de raisonnement pendant ces deux jours, la stimulation par la pensée des autres suscite la réflexion personnelle et aide sûrement à trouver plus facilement soi-même des réponses à ses questions en allant puiser dans ses propres ressources, mises en éveil par l'ambiance de réflexion.

L'évocation spontanée et naturelle de ce qui touche au psychologique et à l'affectif, dans une ambiance naturelle de vécu m'a aussi rappelé que ces dimensions sont passablement refoulées dans le monde du travail et a fortiori dans des secteurs d'activité comme l'exploitation des centrales nucléaires. Ceci tient en partie à la pression permanente des exigences de sûreté, aux enjeux économiques (un réacteur en fonctionnement représente un investissement d'environ 12 milliards de francs et approximativement 3 à 4 millions de francs de production brute par jour). Mais ce contexte n'explique pas tout. L'ambiance imprimée par le management, la culture d'entreprise,... jouent un rôle au moins aussi important. Nous avons été attaqués dans la presse à plusieurs reprises selon l'expression de " l'enfer du nucléaire ". Les thèses de la psychopathologie du travail ont trouvé sur certains de nos sites, un terreau fertile. De mauvaises conditions de vie (même si elles ont été montées en épingle) ne doivent pas devenir une fatalité. Cette problématique rejoint celles qui sont développées après.

Une part significative des thèmes de travail proposés était orientée vers les connaissances et de fil en aiguille vers la cognition, c'est-à-dire les processus cognitifs. J'ai même entendu dire que "la reconnaissance était le résultat de convergences cognitives" ! Dans notre domaine le cognitif est fortement identifié à l'activité mentale de traitement des situations de travail : surveillance, vigilance, discrimination des " signes " probants d'une situation donnée, analyse diagnostique, aiguillage vers des réponses appropriées,... Chacun peut mettre un sens différent au mot " cognitif ". Je suis de ceux qui considèrent qu'il existe au même titre des "données affectives" dans le monde du travail et dans l'activité au quotidien. Il y a d'un côté la partition musicale et d'un autre un instrument qui vibre et procure le plaisir. On n'est pas sur les mêmes registres. J'aurais tendance à dire qu'on gagnerait à réhabiliter le psychologique quand il touche à la résonance perceptive de l'être. Je crains que le cognitif devienne de plus en plus un mode d'appréhension du "mental humain" et que cette approche aseptise au moins en partie le contenu de ce qui se passe entre l'humain et ce qui l'entoure.

J'ai dit que personnellement je préférais parler de compétences plutôt que de connaissances. L'entreprise attend de ses salariés qu'ils exercent une fonction en se référant à un métier, contextualisé, en fonction de la situation. Ce n'est pas qu'une affaire de connaissances. La connaissance est une composante importante de la compétence, mais les deux concepts ne se recouvrent pas totalement. Il existe des experts très compétents qui sont de piètres opérationnels, voire de piètres manageurs.

J'ai apprécié (entre autres) la présentation des deux musiciens. La manière dont ils ont décrit leur engagement, par rapport à leur attirance, à leur plaisir, à ce qu'ils en reçoivent en retour, donne un panorama semble-t-il facilement appréhendable de leurs attentes et de leurs motivations. Partant de là on n'a pas trop de mal à imaginer ce qui fonde leur interaction avec l'activité qu'ils ont choisie d'exercer.

J'aimerais avoir cette lisibilité par rapport à ceux qui viennent travailler en entreprise. On a la réponse facile du salaire, mais à voir les gens agir, à écouter leurs frustrations et leurs insatisfactions, il me paraît toujours difficile de bien cerner ce qui motive leur présence. J'ai le sentiment qu'ils ne le savent pas très bien eux-mêmes et je vous épargnerai la pauvreté des réponses qui surgissent alors, très souvent après un moment marqué d'embarras. Pourtant, quand on s'intéresse à la fiabilité des analyses, des décisions, des actions, à la performance et à la maîtrise de l'activité d'exploitation, on ne peut pas ne pas faire le lien avec l'engagement de la personne. Pourrait-on mieux connaître ce qui fonde la relation entre celui qui travaille et son travail ? Comme d'autres j'ai lu pas mal d'ouvrages et d'études autour de la motivation. Je ne connais par contre pratiquement aucune publication sur le sens du travail (en entreprise, c'est-à-dire avec des conditions particulières). Je me sens en manque par rapport à ce volet du problème et il me semble qu'on gagnerait à y voir plus clair, en même temps pour travailler sur des conditions plus humaines (quoiqu'on dise, il demeure toujours un aspect éthique à ce genre de question) et en même temps plus efficaces pour la contribution à l'entreprise.

Enfin, et je m'arrêterai là, cette réflexion, mais aussi celles que nous avons engagées ces deux jours, butent sur des modèles économiques, sur des idées fixées (parfois réfutées) du travail et de l'entreprise. En ce qui nous concerne, quand on réfléchit, management, sollicitation des personnes, appel à plus de performance,... une question lancinante revient souvent : "quel est le sens de l'entreprise dans la vie de la collectivité humaine" ? En corollaire, "en vertu de quels principes est-on fondé à exiger des conditions difficiles et des résultats performants" ? Cette question est criante lorsqu'il s'agit de chercher l'efficacité par une diminution des coûts qui conduit à alléger les effectifs et par contrecoup à exclure. Aujourd'hui, on arrive (pas toujours cependant) à trouver des justifications économiques de compétitivité. Mais jusqu'où ? J'ai le sentiment qu'on manage dans l'entreprise, souvent comme on vit dans la vie, en se référant à des stéréotypes de pensée (ou de valeur) sans s'interroger sur leur sens. Ne gagnerait-on pas à jouer plus souvent au "Petit Prince" en s'étonnant et en se posant des questions pour tout, même si elles apparaissent naïves. Je pense particulièrement à l'allumeur de réverbères qui finit par devenir fou à force de perpétuer des gestes qui ont perdu leur sens avec le temps. Ce thème a-t-il déjà été travaillé ? Qu'en savent et qu'en pensent ceux qui animent les ateliers MCX ?

A. C. (EDF)


LA LETTRE

CHEMIN FAISANT

33 DECEMBRE 1998

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III

L'ASSOCIATION POUR LA PENSÉE COMPLEXE

L'activité de l'Association pour la Pensée complexe a été pour une très large part consacrée, en 1998 à la préparation et à l'animation du

PREMIER CONGRÈS INTERLATIN POUR LA PENSEE COMPLEXE

CILPEC, Organisé à RIO de JANEIRO du 8 au 11 septembre 1998

Il est encore trop tôt pour proposer un bilan de cette étonnante expérience, qui a permis la rencontre chaleureuse de tant de personnalités riches de cultures, d'histoires, de récits, et de réflexions multiples, entrant les unes et les autres en résonance dans l'ambiance de "Rio la Merveilleuse".

Cette manifestation internationale, organisée sous les auspices de l'UNESCO et avec le concours de l'Universidade Candido Mendés de Rio de Janeiro qui l'accueillait au sein de son "Instituto do Pluralismo Cultural" bénéficiait du concours de "la Fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès de l'Homme", de "la Fundaçao Calouste Gulbenkian" et de "l'Instituto Piaget" de Lisbonne.

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L'Association pour la Pensée Complexe a par ailleurs tenu son Assemblée Générale statutaire le 18 décembre 1998, à Paris. Le compte rendu sera prochainement disponible sur les sites WEB Internet MCX-APC.

A cette occasion, le Conseil a reconduit le Bureau de l'Association, présidé par Edgar Morin, en élisant Madame Monique Cohen au poste de Secrétaire Général, (en remplacement de Nelson Vallejo Gomez appelé à d'autres responsabilités) et Jean-Louis Le Moigne au poste de Vice­Président.

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"En rentrant de RIO 98"

PENSÉE COMPLEXE, PENSÉE OUVERTE, PENSÉE RELIANT

Une pensée qui rende pensable, plausible, légitime, presque familière, une éthique de la reliance, une éthique de la compréhension, dans les comportements de chacun comme dans les politiques des collectivités humaines, " une pensée apte à relier, contextualiser, globaliser, et en même temps, à reconnaître le singulier, l'individuel, le concret" : Peut-être est-ce cette perception soudain devenant palpable, sensible, spontanée même, que je ressens en évoquant cette étonnante rencontre, Rio en septembre 98.

La pensée complexe n'est plus un concept abstrait, un argument de classification, une bannière pour rassembler, elle devient presque charnellement, pendant ces quelques jours, une façon "normale" de vivre, d'écouter, de réagir.

Il y a bien sur la magie du lieu, " Rio la Merveilleuse ", mais il y a surtout je crois, l'étonnante chimie de ces rencontres suscitée par le même "attracteur étrange " : la méditation de tant d'hommes et de femmes si divers abordant avec étonnement et bonheur telle ou telle œuvre d'Edgar Morin, et s'enthousiasmant parce que ces impensables qu'ils n'osaient pas penser avaient enfin été pensés, et devenaient enfin pensables ! Penser les reliances, celles des solidarités humaines et celles des humains et de leur pauvre et vaillante petite planète, Terre-Patrie en danger, celle de la science et de la culture, celle de l'action et de la réflexion... Les penser et les comprendre, sans prétendre les expliquer ou les prédire.

Et percevoir que, sur chaque continent, Amérique ou Asie, Afrique ou Europe, en culture latino américaine comme en culture anglo saxonne, cet attracteur étrange se manifeste, se reconnaît, suscite ces mêmes propagations, à la manière des rhizomes, sans terreaux visibles pour plonger leurs racines, se produisant les uns les autres. Le percevoir non plus par le discours ou l'écrit, mais en rencontrant l'autre, en partageant ses étonnements, en admirant ses admirations, en se passionnant pour ses passions, dans une réciprocité presque ineffable, fugace et pourtant prégnante, puisque je m'en souviens !

Le contraste est vif, au retour, et il le fut sans doute pour bien des participants de cet étonnant congrès : l'étrange attraction qui nous rassemblait est sans doute si étrange, si incongrue encore pour nos cultures disciplinées, que l'on ne retrouve guère ce climat chaud grâce auquel sans doute les rhizomes se propageaient. Il va nous falloir inventer pour apprendre à relier et à comprendre, sans certitude aucune. Mais, depuis Rio, il me semble que le projet devient plus plausible. Le développement de Centres d'études, d'Instituts, de Réseaux "para el pensamiento complejo" dans tous les pays d'Amérique Latine n'est-il pas un indicateur significatif de cette plausibilité ? Ne constitue-t-il pas pour les cultures européennes (et plus particulièrement méditerranéenne : les participants venant d'Italie, d'Espagne, du Portugal, de France, étaient relativement nombreux et attentifs au Congrès de Rio ), une sorte d'invitation ?

Il constitue en tout cas une très effective source d'inspiration : je n'en prends pour témoin que ma découverte, en arrivant à Rio, d'un ouvrage intitulé : " Représentation et Complexité " édité par Candido Mendés et Enrique Larreta et publié (en français) par l'Unesco et l'Université Candido Mendés en 1997 (Ed. Unesco, ISSC, Educam). Question que nous semblons encore ignorer dans la plupart des enseignements en Europe, et qui pourtant mérite d'être posée, comme le mérite cet appel au redéploiement des plis de la pensée, auquel nous invitait Candido Mendés dans sa conférence d'ouverture (" la complexité ouverte "). La complexité n'est-elle pas " la vie dans les plis " (H. Michaux) ? Pourquoi nous faudrait-il toujours découper et trancher, selon les plis pour la représenter ? Ne pouvons-nous la déplier et la déployer plutôt que la découper ?... Questions qui n'ont certes pas encore de réponse déjà prête dans nos cultures accoutumées à l'analyse cartésienne plutôt qu'à "l'ingegno" vincien, mais questions qu'il nous faut poser, exercices qu'il nous faut pratiquer, " presque sans maîtres ; impossible ? C'est pourtant ainsi que sont survenues les grandes ruptures philosophiques ou spirituelles. Quelle institution a aidé Spinoza à réformer l'entendement humain ? ... " (J. Bindé, p. 26).

Alors, en rentrant, ne pouvons-nous prendre au moins une bonne résolution, celle de nous attacher à développer des réseaux d'échanges et de rencontres, au moins sur " la Toile " ? Il nous faudra nous y attacher, sans doute avec quelque ténacité, dans les prochains mois et les prochaines années, inspirés par ce Congrès de Rio 98 :  " Nous sommes à un nouveau commencement. Nous aurons à affronter les problèmes énormes du "sous-développement" du tiers monde et de notre propre sous-développement humain, psychique et moral. Nous aurons à affronter les conséquences de l'invasion de la technoscience sur la démocratie, sur la vie quotidienne et enfin sur la pensée. Nous aurons à réapprendre à voir, à penser, à agir. Nous ne connaissons pas le chemin, mais nous savons que le chemin se fait dans la marche... Voilà le nouveau futur, incertain et fragile, que nous devons nourrir. Nous n'avons pas la Terre promise, mais nous avons une aspiration, un vouloir, un mythe, un rêve : réaliser la Terre patrie ". Ces lignes d'Edgar Morin, qui ouvrait en 1991, " un nouveau commencement " peuvent se lire au présent autant qu'au futur ; n'est-ce pas le projet que nous propose ce premier Congrès Interlatin pour une Pensée Complexe, qui, dans l'ambiance chaleureuse et festive de Rio la merveilleuse, nous redit le plaisir de faire et de faire ensemble, de faire avec... J.L.M.

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Remerciements


Chers Amis ,

Nous avons fait un Congrès avec programme, communications, conférences, ateliers, chronométrie... Mais surtout nous avons fait une rencontre dont la finalité était la rencontre. Ce ne fut pas une assemblée académique, ce ne fut pas une exhibition de savoir, ce fut un bonheur pour tant d'hommes et de femmes, de se rencontrer en se connaissant, de découvrir leurs aspirations, attentes, volontés communes.


Merci, grand merci à toutes celles et à tous ceux qui ont permis, assuré , organisé et même désorganisé ce Congrès.


Edgar Morin