MEMORIAL Bertrand VISSAC , par Daniel CARRE.
Notre ami Bertrand VISSAC nous a quitté soudainement le 1° septembre 2004. Sa disparition nous émeut tout particulièrement, car nous avions eu de riches occasions de bénéficier de son expérience et de son amicale solidarité, notamment lors de la Conférence-Débat que nous avions organisé le 22 nov 2002 à Paris sur le thème « Expériences de la modélisation et modélisation de l’expérience ». Il nous avait aidé à la préparer et il avait contribué à l’animer par une intervention sur le thème ‘Expériences modélisatrices dans le domaine de la modélisation des systèmes environnementaux’. Il y narrait sa longue expérience de ‘chercheur-citoyen’ qu’évoquait si bien son ouvrage « Les vaches de la République » publié peu auparavant. Il nous avait aidé aussi à présenter les débat de cette conférence, organisés au sein de l’ouvrage dirigé par F.Lerbet-Sereni (« Expériences de la modélisation et modélisation de l’expérience », 2004, cf.
http ://archive.mcxapc.org/ouvrages.php?a=display&ID=64: p.67-90).
Nous remercions notre ami Daniel Carré de nous autoriser à reprendre ici le texte du mémorial qu’il a rédigé pour la Revue des anciens de l’Agro Paris. Il évoque de façon si chaleureuse les souvenirs que nous laisse notre ami Bertrand Vissac, chercheur-citoyen. (JLM)
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A Bertrand Vissac.
Se hace camino el andar (En marchant se construit le chemin) A.Machado
En juin 2002, traversant à pied la Corrèze, j’observe dans les prés les troupeaux Limousin, des vaches sélectionnées par ordinateur, superbes et homogènes, dans une campagne où je ne vois plus d’agriculteurs. Chaque soir, je lis « Les Vaches de la République », l’ouvrage nouvellement paru de Bertrand Vissac.
Je n’ai fréquenté Bertrand qu’en troisième année d’Agro, où Jacques Poly nous recrute tous les deux à l’INRA. Au cours des années 1955/56, l’équipe de Jacques Poly mesure, dans l’enthousiasme, des performances dans les élevages et expérimente les potentialités d’une nouveauté technique, l’ordinateur. Elle utilise le plus puissant de l’époque, l’IBM 704 de la Place Vendôme, pour traiter des données recueillies sur le terrain, chez les Bénédictins de la Pierre qui Vire, les producteurs de Roquefort ou les éleveurs laitiers Francs Comtois et Flamands.
Je quitte l’INRA en 1957, pour entreprendre une carrière privée. Même si nos chemins divergent, je garderai toujours le contact avec Bertrand. L’équipe de Poly innove et explore des domaines nouveaux. Elle manque de respect aux mandarins de la zootechnie qui l’écartent de la rue Claude Bernard. La rupture est profonde et définitive, mais l’exil du « Polyclub » sous la coupole de la Société d’hygiène alimentaire sera fructueux : il en résultera à la fois l’initialisation d’une transformation profonde de l’INRA et la Loi sur l’élevage de 1966.
Bertrand crée en 1980 le Département SAD (Systèmes Agraires et Développement) de l’INRA. Il intègre les concepts de la Systèmique qui fertilisent ses recherches actions et ses modèles technico -économiques. Il diverge des tenants de la recherche scientifique pure qui refusent de sortir du plan du savoir. Bertrand devient pour eux un « philosophe », développant une praxis non conforme aux finalités de la Recherche. Bertrand trouve cependant la reconnaissance de chercheurs éminents, notamment Corneille Jest, ethnologue, et Jean-Louis Le Moigne, épistémologue, ingénieur, l’homme de la pensée complexe en France. Bertrand se réfère à Michel Serres, lui l’acteur de l’évolution de l’élevage, dans une période qui voit apparaître le bœuf culard et la Prim’Holstein et surgir la crise de la vache folle.
Bertrand est un homme fidèle. Fidèle à ses racines rurales, son père est un modeste agriculteur de Langeac, au cœur du Massif Central. Fidèle des fidèles de Jacques Poly, une personnalité hors du commun, dont il est jusqu’à la fin le poisson-pilote. Il est tout sauf courtisan ; Bertrand est l’homme d’influence qui défend fermement ses convictions en face des tonitruances du grand homme, un des très rares à lui résister. Cette connivence continue après le départ de l’INRA de Jacques Poly, nommé Conseiller d’Etat, qui garde un bureau près de celui de Bertrand. De temps en temps, je les rejoins rue Jean Nicot pour disserter autour d’un bon déjeuner sur le devenir du monde et pour vitupérer contre les bureaucrates !
Pour sortir de l’ombre du maître, Bertrand décide de rédiger un livre. Son parcours professionnel est d’une telle richesse qu’il doit remettre en chantier sans arrêt l’ouvrage qui lui tient à cœur et envahit son temps. Jacques Poly est emporté par le cancer. Bertrand continue son travail de formalisation et de rédaction ; le cancer le frappe à son tour. Il lutte avec courage contre la maladie, tout en terminant son livre au si beau titre. Un souffle poétique traverse « Les Vaches de la République », saga de 500 pages à la gloire des éleveurs et des chercheurs, récit de son œuvre, récit de sa vie, également récit de notre vie, ses passions sont aussi les nôtres.
Bertrand a été un ami. J’offre ces lignes à sa compagne, Simone, à ses enfants et à ses petits-enfants.
Daniel Carré, Militant associatif, ex-consultant en organisation et gestion du changement
On trouvera sur le site http://www.agrobiosciences.org/rubrique.php3?id_rubrique=0090 quelques références à des travaux de B Vissac , ainsi présenté :
« Bertrand Vissac nous a quitté le 31 août 2004. Ce grand chercheur en zootechnie a traversé l’histoire de l’Inra depuis les années 50. Institut de recherche où, d’entrée de jeu, il a exercé de multiples fonctions et de très hautes responsabilités... Toute l’équipe de la Mission Agrobiosciences a souhaité lui rendre hommage en rassemblant ici des articles qu’il a publiés et divers documents qui retracent son formidable parcours.Sa dernière intervention publique, Bertrand Vissac l’avait exprimée devant le public de l’Université d’été de l’Innovation Rurale le 6 Août 2004 à Marciac. Elle est désormais en ligne.Nous vous proposons également de lire (ou relire) des interventions récentes de Bertrand Vissac :
La race, l’eau et le sperme de taureau
Race, territoire, santé et développement durable
Sept flashs sur Jacques Poly et une époque de certitude... (de 1950 à 1995)
Bertrand Vissac, propos recueillis par D. Poupardin
De la génétique aux totems du développement local
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