PROGRAMME EUROPEEN "MODELISATION DE LA COMPLEXITE"
Sur ce thème fédérateur, nous nous proposons de susciter notre septième RENCONTRE biennale du Programme Européen MCX, maintenant familière aux participants anciens du Programme.
Le projet de ces Rencontres demeure l'échange et l'interaction
entre des responsables d'action collective riches d'expériences
multiples (entreprises, municipalités, action sociale et culturelle,
thérapeutes
), et des enseignants, formateurs et chercheurs
actifs dans toutes les disciplines, les uns et les autres étant attentifs
à ne pas s'enfermer dans le cadre de leur expérience ou de
leur discipline.
Ces interactions s'expriment en particulier :
- par une veille épistémique commune : quel est
le sens de ce que nous faisons, enseignons, recherchons ? Ce sens est-il
" en prise " avec les problèmes perçus dans nos
sociétés aujourd'hui ? Pourquoi ? Comment ?
- et par une intention " ingénieriale "
partagée : nous voulons dire par là une attitude de
conception ou d'invention, qui ne se satisfait pas a priori des
" analyses " aussi poussées soient-elles. La recherche
de possibles et de souhaitables importe plus que la quête
de présumées inéluctables causes nécessaires.
L'élaboration des desseins importe plus que l'hypothétique
révélation des destins !
En pratique, nous lançons ici :
aussi ouvert que possible, la problématique retenue n'étant
pas restrictive :
L'universitaire pointu, qui ne veut pas finir enfermé dans sa
spécialité sans s'en apercevoir, tout autant que le responsable
d'organisation qui s'interroge sur le sens de ce qu'il fait
et fait
faire à d'autres, l'épistémologue attentif à
la renaissance des épistémologies pragmatistes et
constructivistes, tout autant que le spécialiste de l'ingénierie
des systèmes complexes, qu'ils soient industriels, informatiques,
logistiques, éducatifs ou administratifs
Tous, nous sommes invités à contribuer à cette
réflexion collective.
Sans doute sera-t-elle relativement bruyante et polyphonique. Mais nous avons
les uns et les autres assez d'expérience dans les domaines de la
modélisation et du pilotage des systèmes complexes pour savoir
que nous parvenons parfois à reconnaître l'émergence
du nouveau et du sens au sein de ce " bruit "
auto-éco
organisateur. La diversité des générations, des
expériences, des disciplines, des responsabilités et des cultures
européennes s'avère souvent bénéfique dès
lors que nous cherchons
pragmatiquement
à ne pas d'abord
mutiler en simplifiant par principe !
1. Nous prévoyons environ 200 participants, débattant
autour de 80 contributions préparées à l'avance
(par la rédaction d'un résumé de 2 pages), dans
cinq sessions travaillant en parallèle sur des thèmes relativement
congruents, sessions coupées de quelques séances
plénières et tables rondes, pendant deux jours dans l'ambiance
conviviale d'Aix-en-Provence selon un rythme qui facilite autant que faire
se peut les échanges multiples.
2. On prévoit donc de monter 20 ou 25 sessions de 100 minutes chacune, certains thèmes pouvant "occuper " 2 ou 3 sessions en séquence. Chaque session permettra de présenter oralement (en 15 mn au plus) quatre contributions préparées suffisamment à l'avance pour que son animateur ait pu susciter les coordinations souhaitables en référence au thème général de la Rencontre.
On disposera ainsi de 40 minutes disponibles par session pour susciter
échanges et débats dont un rapporteur s'efforcera
de garder les traces communicables. Les autres participants étant
invités à rédiger avant comme après la Rencontre
un résumé de leur intervention. (S'il est rédigé
avant, il sera joint, dans la mesure du possible au " Cahier des
Résumés " que nous établirons selon un usage
maintenant familier). On prévoit de diffuser ultérieurement
les Actes de cette Rencontre, sans doute par le site WEB /MCX-APC.
3. Chacun des 20 ATELIERS MCX en activité en 98/99 est bien sûr invité à proposer une ou plusieurs sessions sur des thèmes qu'ils mettent actuellement ou potentiellement à l'étude.
On souhaite aussi des initiatives pour l'instant plus individuelles ou
spontanées, révélant la diversité et la
capacité créatrice de notre " collège
invisible " : de l'enseignement des mathématiques et
de la rhétorique, à la diffusion des organismes
génétiquement modifiés, par les représentations
socioculturelles du travail et le développement de " l'Alliance
pour un monde responsable et solidaire "
, les projets possibles
ne manquent pas dès que l'on assume l'intelligence de la pragmatique
entendue dans sa complexité.
4. L'architecture détaillée de l'Agenda de la Rencontre
ne pourra être établi que lorsque nous aurons reçu les
" déclarations d'intention de participation et de
contribution " :
avec, si possible, un résumé (fût-il provisoire ) d'une page ou deux.
(L'indication du contexte permettra de constituer des sessions sur des
thèmes aussi transversaux que possible, se référant
à des problématiques plutôt qu'à des disciplines).
5. Les " résumés " de deux pages,
rédigés par chacun des contributeurs et intervenants,
seront publiés à l'avance dans
Ils devront nous parvenir avant le 7 MAI 99 (au plus tard) établis
selon les modalités usuelles qui seront rappelées dès
réception de la fiche d'intention, fin mars 99, pour que nous puissions
diffuser le programme détaillé à partir du 15 mai,
préparer l'édition de ce " Cahier des
Résumés ", et pour que les animateurs de sessions puissent
organiser à temps toutes les concertations souhaitables entre les
intervenants d'une part et entre les différentes sessions de l'autre.
6. La préparation des séances plénières
est en cours par ailleurs. Si nos ressources le permettent, nous nous proposons
d'inviter quelques amis de divers pays européens, de façon
à rendre plus visible encore le projet d'ouverture culturelle qui
donne son sens à notre " intelligence de la pragmatique dans
une éthique de la compréhension ".
7. Le programme détaillé de cette 7e Rencontre
MCX sera diffusé à partir du 15 MAI 1999 par la LETTRE
CHEMIN-FAISANT MCX-APC n° 34, et par une annonce sur notre site WEB
MCX-APC). Comme nous ne pourrons guère dépasser le chiffre
de 230/250 participants, la priorité sera bien sûr donnée
à tous ceux qui se seront manifestés auparavant, en nous renvoyant,
par courrier, fax ou courrier e-mail, leur fiche d'intention de participation
ou de contribution (fiche rose ci-jointe).
8. Le budget de la Rencontre MCX 99 n'est pas encore " bouclé " (nous sollicitons divers concours), mais nous pensons pouvoir proposer des frais d'inscription (incluant les deux repas de midi, le banquet du 17 au soir, les pauses et les dossiers) de 1.200 F.
La salle de Congrès CARNOT à Aix, que nous avons retenue est maintenant bien équipée et adaptée à nos activités. Déplacement et hébergement seront à la charge des participants.
Les informations d'accueil (Office du tourisme, plans, etc.) pourront être
diffusées à partir d'avril 99, avec la fiche d'inscription
usuelle. Celle-ci sera adressée à tous les correspondants ayant
manifesté leur intention avant fin mars, puis sera diffusée
plus largement avec le programme détaillé vers le 15 mai (donc
à peine un mois avant la Rencontre).
9. Nous prévoyons de tirer parti des ressources permises par
le site WEB Internet MCX-APC pour diffuser à l'avance les informations
pratiques, et certains au moins des résumés des contributions
annoncées (ceux qui nous seront parvenus assez tôt).
"... Que sera le prochain pas ? "
Que sera le prochain pas ?, mon prochain pas ? Que faire, ici et
maintenant ? L'action que nous allons entreprendre est-elle déjà
déterminée, programmée, nécessaire parce
qu'imposée ? Fut-elle déjà essayée avec
succès ? Ce succès, par rapport à quelles fins
l'évaluons-nous ? Ces fins sontelles subies, ou
pré-déterminées ? Ou pouvons-nous, et voulons-nous,
concevoir d'autres fins, inventer ingénieusement d'autres actions,
d'autres moyens ? Puis, pas à pas, les choisir, agir, faire et
connaître ainsi souvent le plaisir de faire ?
Trouverons-nous alors quelque science qui nous aide à prendre conscience de ces possibles, à moins qu'elle ne nous contraigne à assumer consciemment telle unique nécessité ou telle unique finalité ? Questions ancestrales, que chaque être rencontre entre foi et raison, et parfois entre leurs extrêmes, intégrisme débilitant et rationalisme délirant, sources de tant de barbarie.
Questions dont chaque culture et chaque siècle renouvellent les termes.
Edgar Morin nous le rappelait il y a peu en évoquant un propos du
philosophe tchèque Patocka : " Cela se manifeste par
ce que Patocka appelle la "problématisation permanente". Autrement
dit, non seulement il n'y a pas eu d'arrêt dans l'interrogation du
problème général (qui sommes-nous, qu'est-ce que le
monde, la nature, le réel ?), mais cette problématisation
a été très riche. C'est à elle que nous devons
la rationalité, non seulement la rationalité critique, mais
la rationalité autocritique... "
Cette "problématisation permanente", ne nous importe-t-il pas de la poursuivre avec plus d'attention encore aujourd'hui, à l'heure où les institutions que nos sociétés démocratiques ont formées semblent nous imposer tant de " dénis de la complexité ". Complexité que pourtant nous percevons sans cesse devant tant de nos actes, avec une angoisse parfois insupportable lorsque nos actions et nos choix sont collectifs et que nous les voudrions collectivement et effectivement délibérés.
Les exemples de ces dénis de la complexité sont innombrables
dans nos vies quotidiennes, et parfois terrifiants dans nos vies citoyennes
: spéculation financière internationale facilitant le blanchiment
de l'argent sale, traitement des déchets nucléaires compromettant
le développement durable, organismes génétiquement
modifiés compromettant la bio diversité de la planète,
négation ou exclusion de la dignité humaine contredisant nos
appels à un "monde responsable et solidaire", inculture
épistémique de tant de scientifiques et d'experts compromettant
l'élaboration des "politiques de civilisation",...
Chacun, chaque jour peut citer quelques nouveaux dénis de la
complexité auxquels il vient d'être sensible, s'indignant en
silence de son incapacité à relever de tels défis, alors
que nous clamons les merveilles de la raison humaine. Hier
"héroïque", ne redevient-elle pas "barbare" ? Ces
problèmes ne sont-ils pas pourtant créations humaines ?
Les ayant suscités et les percevant maintenant dans leur intensité,
ne serions-nous pas capables de les comprendre et parfois de les transformer
assez pour " civiliser " notre planète ? " La
société humaine est son uvre à
elle-même " nous rappelait G.Vico il y a trois siècles,
méditant sur l'histoire des sociétés humaines se civilisant
et se détruisant, entre " corso et ricorso ", entre
" l'héroïsme de la pensée " (ou de la
raison :"mente eroica") et " la barbarie de la
réflexion " (ou de la raison).
Cette incapacité, et cette indignité, pourtant ne sont pas nécessairement fatalité. On se souvient peut-être de la méditation de Pascal : " L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature, mais c'est un roseau pensant... Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C'est de là qu'il nous faut relever, et non de l'espace et de la durée, que nous ne saurions remplir. Travaillons donc à bien penser, voilà le principe de la morale "
" Travaillons donc à bien penser ", est-il aujourd'hui
devise plus pertinente pour exprimer cette intelligence de l'action humaine
s'entendant dans sa "praxis", autrement dit dans sa tension pour tenter
de comprendre "ce qu'elle fait", de se percevoir ni erratique ni fatale mais
intentionnelle, délibérée, consciente au moins de ses
propres aveuglements et de l'incertitude de ses effets dans les contextes
dans lesquels elle s'exerce.
Cette intelligence de l'action humaine ou de la praxis, que nous désignons
volontiers aujourd'hui par "la Pragmatique", (en tentant ainsi de
rendre au "pragmatisme" les lettres de noblesse sémantique
que lui avaient données ses pères fondateurs Nord Américains,
W. James, J. Dewey,...), ne symbolise-t-elle pas notre projet civique
autant que scientifique ? Projet qui appelle cette "nouvelle
réforme de l'entendement de la complexité" à laquelle
collectivement... et pragmatiquement... nous voulons contribuer.
Sans doute nous faudra-t-il d'abord " procéder au nettoyage préalable de la situation verbale ". Le pragmatisme a mauvaise presse tant on l'a utilisé pour travailler à "mal penser", en lui attribuant le pervers et stérile pseudo machiavélisme de la formule : " la fin justifie les moyens ". Interprétation qui dénie le " principe d'action intelligente ", sur lequel les pragmatistes du début du siècle nous invitaient à méditer : Comment, dans l'action, les moyens souvent transforment les fins qui, à leur tour, suggèrent quelques nouveaux moyens.
" Nous voilà au rouet ", disait Montaigne, lorsque nous nous attachons à "bien penser", autrement dit, à penser nos projets et nos actes dans leur complexité, leurs contextes, leurs intentions, leur réciprocité. Relier sans cesse l'élaboration des fins et l'invention ou le choix des moyens, plutôt que les séparer, dans nos esprits comme dans nos institutions, s'interdire même cette simplification mutilante origine de tant de barbaries, n'est-ce pas le projet de ce "nouvel entendement" qui ne veut plus disjoindre la Pensée et l'Action, l'Épistémè et la Praxis ?
Un entendement qui veut " comprendre, prendre avec ",
appréhender la pensée dans l'action et l'action dans la
pensée ; un entendement qui soit
"compréhension" : Le célèbre essai de
J. Locke (1690) " An essay concerning human
understanding "ne fut-il pas traduit dès 1700 sous le titre
" Essai sur l'entendement humain " ?
La Pragmatique aura-t-elle meilleure presse que le pragmatisme ? Les
linguistes protesteront peutêtre pour cet emprunt à C.
Morris qui introduisait en 1938 " l'idée d'une pragmatique
dans la théorie du langage ". Mais ils nous accorderont que,
même dans ce contexte disciplinaire, la pragmatique constituait
" une voie d'accès privilégiée à une
juste compréhension du langage ". Compréhension du
langage, compréhension de l'action, compréhension de l'autre,
compréhension du contexte et du projet. Compréhension qui est
intelligence de l'action nous introduisant à l'action intelligente,
celle qui s'exerce à la recherche de " ce que sera le
prochain pas ", attentive à ce qu'il interdit
irréversiblement autant qu'à ce qu'il permet ou rend possible.
Edgar Morin, méditant sur l'intelligible complexité et la
pragmatique faisabilité de nos entreprises de connaissances des conditions
de notre praxis, nous invite à une " éthique de la
compréhension " : " une éthique qui n'impose
pas une vision manichéenne du monde, éthique sans fondement
autre qu'elle-même, mais qui a besoin d'appui à l'extérieur
d'elle-même ". N'est-ce pas à cette
" reliance " de l'éthique de la compréhension
et de l'action intelligente que la Pragmatique s'entendant " Science
et Conscience de la Complexité " nous incite aujourd'hui
à nous attacher avec " l'obstinée rigueur "
(" ostinato rigore ", Léonard de Vinci) de
l'imagination ingénieuse et créatrice de celui qui
" travaille à bien penser ", sachant que
" toute idée porte en elle, dans sa rétine conceptuelle,
une tache indélébilement aveugle. Le but du discours
théorique n'est pas de faire clarté sur tout, mais de voir
malgré et avec la tache aveugle " (E. Morin).
Les réflexions que nous avons développées ces
dernières années lors des Rencontres du Programme Européen
MCX, nous incitent à privilégier maintenant la restauration
de l'intelligence de la Pragmatique entendue dans sa
Complexité pour enrichir notre entendement : On se souvient
des thèmes qui retenaient notre attention et sur lesquels nous nous
exercions à bien penser ! " Intelligence Stratégique
de la Complexité " (1994), " les Stratégies
de Reliance " (1996), " Reliance des Faire et des
Savoirs " (1997), et cette année, le Grand Atelier sur
" la Coproduction de Connaissances Actionnables "
autant de questions emboîtées qui nous incitent à nous
exercer à cette réforme de l'entendement que symbolisent pour
nous la Modélisation de la Complexité et la Pensée
Complexe : Pragmatiquement, une Ethique de la Compréhension dans
l'Action et en particulier dans l'action collective. Action collective qui
appelle ce " changement de regard " dont le recteur Claude Pair
nous dit la nécessité pour la démocratie et pour
l'école, dans son dernier livre si chargé d'expériences,
" L'école devant la grande pauvreté ; changer
le regard sur le quart monde ".
Pragmatique de la complexité, inséparablité du "fait", que privilégiait le scientifique, et du "faire", que privilégiait le praticien, ne pouvons-nous, dans tous les domaines où nous sommes engagés, ceux de la recherche et ceux de l'enseignement, ceux de la médiation sociale et ceux des responsabilités économiques et citoyennes, nous exercer ensemble à " travailler à bien penser " pour construire ce prochain pas qui trace notre chemin ?
J.L. Le Moigne
Cette note, établie par le Conseil d'Orientation du Programme, est destinée à faciliter la préparation des contributions et le montage puis l'animation des sessions de la prochaine RENCONTRE MCX, Rencontre dont la LETTRE Chemin Faisant MCX-APC n° 33 (janvier 1999) a présenté le projet et l'argument fédérateur (cf. les § I, Editorial, et II, Rencontre 99) :
Elle concerne donc au premier chef chacun des animateurs des Ateliers MCX s'apprêtant à mettre sur pied une ou plusieurs Sessions de la Rencontre, mais aussi les contributeurs potentiels, qu'ils soient ou non - membres actifs d'un atelier ou participants anciens du Programme déjà familiers du style encore original des Rencontres MCX biennales.
1. Des savoirs pour décrire, car "les défis du monde sont transdisciplinaires". (P.Calame).
Notre propos est de montrer que l'on peut relier, dans tous les domaines, nos connaissances disciplinaires à nos expériences de l'activité humaine, en assumant pragmatiquement l'ascèse épistémique de la modélisation de la complexité : développer des savoirs scientifiques qui aident le praticien à décrire les situations qu'il perçoit ou qu'il conçoit, plutôt que des savoirs disciplinaires qui disent au spécialiste quoi prescrire. "Avant tout, il faut savoir poser des problèmes... C'est ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique" (G.Bachelard).
Tout en évitant le genre "attrape tout " ou "voiture balai" ramassant systématiquement tous les discours pas ou mal argumentés déjà récusés par les communautés scientifiques ou professionnelles, notre Rencontre montrera que l'on peut co produire différemment (et au moins aussi bien que dans les manifestations scientifiques et professionnelles traditionnelles) des connaissances enseignables, ici et maintenant, contribuant, ce faisant, au développement des "nouvelles sciences et pratiques de la complexité".
2. Pragmatique <&>Complexité : la pensée récursive
La thématique "Pragmatique et Complexité", qui s'entend ici par ses deux aspects, "Complexité de la Pragmatique" et "Pragmatique de la Complexité", risque d'irriter, voire de dissuader, par son ambiguïté sémantique :
D'une part parce que la pragmatique est aujourd'hui souvent réduite à une branche de la linguistique, voire de la sémiotique, alors que nous voulons l'interpréter dans son ouverture transdisciplinaire que légitime son origine étymologique grecque (pragmatikos, pragmatiké), sans rien perdre bien sur des ressources que l'histoire, la linguistique et la philosophie, lui ont apportées, surtout depuis un siècle (de C.S.Peirce à C.W.Morris...), dans toutes les cultures européennes.
D'autre part parce que le pragmatisme est parfois entendu péjorativement comme une idéologie indigne de la philosophie ("la fin justifie les moyens"), par méconnaissance des grandes contributions des philosophes pragmatistes du début du siècle (W.James, J.Dewey...) ou contemporains (R.Rorty...).
Nous nous sommes proposés d'assumer ce risque, en étant conscient de l'exigence d'attention épistémique et éthique qu'il implique : "Travailler à bien penser, voilà la source de la morale ". La méditation de Pascal, que relisait pour nous il y a peu E.Morin, nous invite à reconnaître la prégnance des croyances dans nos cultures scientifiques contemporaines qui semblent souvent encore oublier que "l'attitude, l'esprit scientifique, ce n'est pas croire, c'est penser"(J.M.Lehn)
La complexité du concept de Pragmatique assumé dans son ambiguïté, ou plutôt dans sa polyphonie, n'illustre t elle pas notre propos ? "Il faut de l'ombre pour voir", et le "clair-obscur "de la pragmatique nous aide à comprendre récursivement et intelligiblement la complexité perçue de notre entendement et de nos actes, individuels et collectifs. Nous ne sommes pas contraints aux illusions de l'évidence claire et nette, ni aux certitudes d'une pensée linéaire ne s'exerçant que par longues chaînes de raisons toutes simples.
3. "Car l'ingéniosité a été donnée à l'homme pour savoir, c'est à dire pour faire" (G.Vico)
Pragmatiquement, nous sommes tous conscient aujourd'hui des fréquents décalages entre les pratiques scientifiques et professionnelles que chacun observe et exerce, et les références épistémiques par lesquelles nous voudrions les argumenter. Les traditionalistes ont beau jeu de nous faire valoir que l'habillage paradigmatique de nos propos (Modélisation de la complexité, Systémique, Constructivisme...) n'affecte pas assez de façon visible leur contenu, en général quasi classiquement pluri - disciplinaire, sauf bien sur dans le cas où l'on ne s'attacherait qu'à montrer négativement combien les solutions classiques sont fondées sur des hypothèses réductrices et simplistes.
Nous ne nous attachons pas assez encore à travailler sur des études de cas qui rendent intelligibles la pertinence des modes d'investigations que nous voulons développer.
Citons deux exemples extrêmes :
- Ne pouvons nous travailler les "douze histoires de réussites " d'actions en situation complexes que nous narrent J.M. Rosenfeld et B.Tardieu dans "Artisans de démocratie" (ATD - Quart Monde, 1998), en partant de l'expérience disciplinaire et pédagogique familière de chacun (comme durent le faire les acteurs de ces histoires dont la réussite semblait a priori si improbable ) ?
- Ou ne pouvons nous considérer la critique de la notion de preuve en mathématique que nous proposait I. Lakatos dans "Preuves et Réfutations, essai sur la logique de la découverte mathématique" (traduit en 1984 par N.Balacheff et J.M.Laborde) pour reconsidérer la légitimité de conclusions ou de réfutations mathématiques par lesquelles nous aimons argumenter et convaincre ?
Disciplines dures et douces sont ici également concernées. Plutôt que de les ignorer en revendiquant notre volonté de transdisciplinarité, ne pouvons nous partir de leur connaissance et de leur expérience et les "actionner" assez pour les enrichir, en cherchant à les déployer au lieu de les découper. Il s'agit, dira métaphoriquement R.Delorme, "d'articuler les disciplines sur les transdisciplines", pour que Pragmatiké imprègne Epistémé et réciproquement. Toutes les expériences, toutes les disciplines ici sont candidates à ce "changement de phase " pour reprendre une image physico - chimique qu'affectionnait P.Valéry.
Ne pouvons nous, en tâtonnant pragmatiquement, nous montrer à nous même que nous pouvons entreprendre et donner sens à ces articulations des faires et des savoirs. Nul reniement des connaissances disciplinaires classique n'est requis pour ce faire : c'est leur présentation - interprétation que nous voulons reconsidérer ; des connaissances qui ont pour projet de décrire, plutôt que pour objet de prescrire. Ce qui, en effet, nous conduira à affirmer... pragmatiquement "l'éthique de compréhension " qui fonde la démarche scientifique et civique que nous voulons contribuer à raviver dans nos cultures et nos enseignements.
4. Appel à Grands Témoins
. Le choix des quelques personnalités que nous pouvons nous proposer d'inviter pour témoigner du sens de notre entreprise sera donc significatif. La liste que nous avons commencée à ouvrir n'est pas close, et les suggestions que chacun pourra faire seront bienvenues. Nous voudrions en particulier accentuer le caractère européen du programme "Modélisation de la Complexité". En nous adressant vos propositions de contribution et de session, vous nous aiderez en mentionnant les noms des personnalités auxquelles vous pensez volontiers a priori.
Rédaction mise en forme par J.L.Le Moigne, 15 février 1999.
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