TR (table ronde du samedi 25 juin)  Sur l’invention du ruralisme, chance d’un urbanisme intelligent

Alfred PETRON Des territoires ruraux en quête de reliance

01 04 05

DES TERRITOIRES RURAUX EN QUETE DE RELIANCE 

Alfred Pétron

alfred.petron@mfr.asso.fr

La modernité a fortement altéré le tissu social et notamment le tissu social rural et c’est bien de cette  altération et de ses tentatives de re-création de « liances » sociales dont nous allons tenter de parler ensemble. Lorsque Henri Mendras incluait dans les sociétés paysannes les commerçants et artisans du village, il définissait un ensemble humain agi et agissant selon la solidarité mécanique chère à Emile Durkheim. Cette société d’interconnaissance était régie par les normes religieuses et la pression sociale. Les personnes étaient d’abord situées dans une filiation et un caractère propre avant de remplir une fonction. Cette société relativement autarcique cherchait surtout à gérer ses dépendances à l’égard des propriétaires terriens, des administrations et des aléas liés à la collaboration avec le vivant.

            Cette société paysanne s’est trouvée mise à mal par la modernité et les Trente Glorieuses (1945-1975) qui  ne sont peut être qu’un accident pas très glorieux dans l’histoire du monde. La société est devenue de moins en moins paysanne et de plus en plus urbaine. L’agriculture s’est désolidarisée de la nature pour se réfugier dans la technologie et ses camisoles chimiques. Edgar Morin a très vite associé la reliance à la déliance alors que Marcel Bolle de Bal avoue devoir ce rapprochement à l’un de ses lecteurs attentifs Jos Tontlinger. Il nous sera donc difficile de parler de reliance sans évoquer les phénomènes de déliance et aussi le vocable de « liance » que Marcel Bolle de Bal s’était bien gardé d’utiliser mais que le collège invisible qu’il a généré autour de son ouvrage s’est empressé de lui rappeler en commençant par Francine Gillot de Vries[1] : « La liance pourrait définir cet état du fœtus fusionné et fusionnant avec la mère, ces liens humains immédiats, non médiatisés (ou médiatisés par l’une des composantes lui –même : le corps de la mère, le cordon ombilical » Le nouveau né et sa mère dans la société paysanne devaient assumer cette rupture biologique mais la communauté paysanne assurait l’accueil et la sécurité psychologique de ce nouvel être à travers un bain culturel substitut du cordon ombilical et du liquide amniotique. Ce concept de liance me semble majeur pour envisager la quête de reliance car cela voudrait dire que la reliance ville-campagne ne peut s’opérer qu’à partir de l’un de ses pôles et non pas à partir d’un tiers-médiateur qui fabriquerait de la reliance comme on fabrique un produit manufacturé. Certaines reliances pourraient donc être ruralo-urbaines et d’autres urbano-rurales, cette façon d’envisager nos quêtes mutuelles me semble à la fois plus respectueuse de ce que nous sommes les uns et les autres et plus porteuse d’intelligences intersubjectives. Du côté des aspirations rurales, nous pourrons évoquer la quête de reliance de l’agriculture avec elle même puisque se pose un réel problème de relève au sein d’une profession qui ne sait plus se reproduire. Les agriculteurs tentent aussi de restaurer leur liance à la nature à travers des actions destinées à soulager l’environnement des excès d’intrants chimiques.. Les agriculteurs cherchent à tisser des liens avec les consommateurs eux mêmes aux prises avec des objets comestibles non identifiés (les OCNI si chers à Claude FISCHLER). Enfin les ruraux voient l’exode des jeunes se poursuivre et les migrants britanniques font monter les prix du patrimoine immobilier que les locaux laissaient en déshérence. Ces populations semblent avoir trouvé le milieu rural dont ils rêvaient et remettent en cause la vision du monde des autocthones  Là encore de nouvelles reliances sont à construire.



[1] GILLOT- DE VRIES Francine, Du côté de la psychologie : reliance et délianc au cœur du processus d’individuation, in voyages au cœur des Sciences humaines, Marcel Bolle de Bal, 1996, Tome 1,p.182