Atelier N° 18 - «COMPLEXITÉ DU MONDE SONORE,
DE SA PERCEPTION ET DE SON ENTENDEMENT»
|
|
Animé par :
|
» Projet de l'Atelier » Documents » Forum(s) et Liens » Manifestations » Bio/bibliographie des membres actifs |
La complexité du monde sonore, de sa perception à son entendement, nous invite à de stimulants renouvellements de nos modes de représentation et d’interprétation des innombrables formes d’actions que connait, permet, provoque ou inhibe le fascinant ‘Monde Sonore’. Les modes d’appréhension linéaire quasi mécanicistes, sur le mode ‘des longues chaines de raisons toutes simples et faciles’ (Ainsi, ’le bruit, fait de sons, permettrait la formation du signal qui pourrait se transmettre linéairement à un traducteur qui le transformerait directement en signification qui susciterait l’action’ ? ) s’avèrent manifestement inadéquats aujourd’hui.
Pour nous permettre de comprendre nos multiples interventions dans cet étrange et si familier ‘monde sonore’, ‘La seule prise en considération des "interactions entre les éléments" ne suffit plus: il faut développer de nouveaux instruments de pensée, permettant de saisir des phénomènes de rétroaction, des logiques récursives, des situations d'autonomie relative. Il s’agit là d’un véritable défi pour la connaissance, aussi bien sur le plan empirique que sur le plan théorique’
Défi que l’intelligence de la complexité des reliances de l’audition et de l’entendement peut aujourd’hui nous aider à relever, pendant qu’en retour, l’émerveillante complexité du monde sonore, de l’émotion musicale à la chaleur instantanée d’une conversation fraternelle abolissant toute distance, nous deviendra assez intelligible pour nous permettre de l’enrichir sans pourtant détruire son mystère. (Ainsi ‘la sensation du Virtuose qui, l’oreille collée au bois du violon, écoute sa propre main et forme un anneau fermé de sens’ qu’évoquait P Valéry).
Complexité qui est sans doute un apanage du monde sonore puisque les sons purs n’existent pas et que, s’ils sont « presque purs », ils ne prennent jamais la moindre signification. Complexité qui nous est alors comme évidente, les sons semblant se comporter comme ces milliards de molécules qui s’agitent dans un entrelacs de mouvements vibratoires, s’entrechoquant sans cesse , formant des assemblages qui se déforment, soumis à des forces qui semblent innombrables.
Le monde sonore ne devient-il pas alors un archétype de la complexité par excellence. Certains sons plus intenses sortent du ‘bruits de fond’. On les tient pour des ‘sources sonores’. L’oreille est capable d’extraire de ce bruit de fond chaotique, sous la forme d’un ‘train de signaux’, un ‘message sonore’. L’individu peut ensuite reconnaitre ou se donner des règles, par lesquelles il parvient à ‘gérer’ plus ou moins bien leurs interprétations, tentant d’en garder des traces mnésiques. Parfois même il se rendra capable d’inventer ainsi d’autres formes sonores qui, à leur tour, enrichiront ou perturberont les sources sonores qu’il perçoit.
N’est-ce pas cette complexité qui rend ces ‘suites de sons d’apparence chaotiques’ plus ou moins attirantes pour nous ? Comment les percevons-nous et comment tentons nous de les transformer assez pour pouvoir exercer sur elles ‘notre entendement’, les comprendre, leur donner un sens ?
Le pavillon dirige les bruits du voisinage en les concentrant sur le conduit auditif externe qui, réalisant un carottage, l’échantillonne en le renforçant de 6 dB. Puis le système tympano-ossiculaire, placé dans la caisse du tympan qui contient de l’air à la pression de l’air ambiant (tambour) lui offre, sans pratiquement avoir besoin d’énergie, une amplification de l’intensité de 60 dB
L’échantillonnage sonore parvient à la cochlée qui le transporte alors grâce à un liquide dont la densité est celle de l’eau (1) jusqu’à un canal contenant l’organe récepteur qui vibre à l’unisson entraînant les 3 cellules ciliées externes, accordées aux fréquences de l’échantillon, dans le même mouvement vibratoire (résonnance). Ce canal contient un liquide huileux (densité 2,9) et la vibration ne termine pas son cycle car l’huile amortit immédiatement la vibration pour laisser la place aux bruits et sons suivants. Ces cellules externes ont la capacité, si elles vibrent suffisamment (un mécanisme leur permet d’amplifier l’intensité) de contacter la cellule ciliée interne qui leur correspond et cette dernière transcode l’énergie mécanique en une énergie électrique. Un nerf est informé et fait remonter jusqu’aux centres cet influx. Certains centres entraînent des réflexes, le cortex lui, va choisir (c’est l’attention) ce qu’il veut entendre donnant l’ordre d’éteindre les autres cellules externes et internes voisines. Nous sommes allés chercher le son que nous voulions, l’audition n’est pas essentiellement un acte passif. Son principal intérêt réside dans sa forme active, la forme passive étant surtout utilisée pour l’alerte. Rappelons nous que l’oreille n’entend que ce qu’elle a déjà entendu.
Ensuite la complexité devient impensable. Les 3500 cellules ciliées internes qui représentent le capital récepteur d’une oreille comprennent toutes les fréquences du champ auditif, toutes les intensités, la capacité de gérer le temps : transitoires, rythme, la capacité de solliciter toutes sortes d’émotions, la capacité d’envoyer en mémoire des images, des formes sonores, la capacité de fournir aux centres des informations associables à celles qui sont apportées par les autres sens, la possibilité de comparer avec des formes sonores connues (mémoire à court et à long terme)… L’homme peut même imaginer des accords qui n’existent pas dans la nature avec des règles mathématiques plus ou moins logiques (musiques).
Comment faisons-nous pour nous faire plaisir dans cette complexité indicible ? Comment pouvons-nous donner du sens aux bruits qui nous entourent ? Comment comprenons-nous les signaux perçus ? Ce sera ici en poursuivant l’exploration de cet inextricable labyrinthe qu’est ‘le monde de l’audition’, univers stupéfiant au sein duquel ‘Ordre et Désordre sont sans cesse en mouvantes interactions’, archétype peut-être du Paradigme de la Complexité tel que le campe Edgar MORIN et que le déploie aujourd’hui les chercheurs attentifs aux exigences épistémiques et éthiques de ‘l’aventure de la connaissance’ dans laquelle s’engagent nos sociétés humaines.
Pourquoi l’audition apporte-t-elle le bonheur plus que n’importe quel autre sens (les aveugles sont gais et les sourds tristes). Où finit la perception et où commence l’entendement ? Comment faisons-nous du sens. Comment notre cerveau se construit-il pour être capable de ces performances. Les connaissances physiologiques apportent-elles une meilleure compréhension des systèmes sensoriels ?
Nous sommes convaincus qu’il ne faut surtout pas ici rester enfermé dans un domaine de spécialistes, mais explorer tout ce qui peut être dit, envisagé ou fait dans tous les espaces de compréhension possibles. Il nous faut garder à notre capacité d’entendre l’enrichissante complexité du ‘Monde de la Vie’ et du ‘Fonctionnement du vivant – sentant – mouvant - pensant’. Dans ce domaine de l’audition, qui paraît bien étroit et qui est pourtant, par l’imbrication des dynamiques temporelles qu’il met en jeu, un des microcosmes de la Complexité qui nous absorbe et que nous absorbons, rien ne se fera sans notre Intelligence passionnée de la Complexité. ‘De l’Intelligence, encore de l’intelligence, toujours de l’intelligence’ concluait Edgar Morin achevant le Tome 2 de ‘La Méthode, La Vie de la Vie’.
NDLR - Ce texte reprend le script d’une communication orale présentée par le Dr Laurent Vergnon (Atelier MCX 18) au Colloque ‘Musique et Complexité (autour d’Edgar Morin et de Jean-Claude Risset)’ organisé par Nicolas Darbon (Atelier MCX 37) les 9 – 11 décembre 2008, au CDMC-Paris. On a préféré conserver sa forme orale : Il nous a semblé en effet que sous cette forme, cette méditation sur la complexité du son et de son entendement pouvait, plus aisément que sous une forme académique, susciter échanges et réflexions qui pourront ainsi se poursuivre. L’émerveillement que suscite l’ineffable mystère de la Musique n’appartient-il pas à la formation de notre intelligence de la Complexité ? (l’exposé était accompagné de divers clichés éclairant la complexité du système auditif humain que l’on pourra retrouver en consultant l’ouvrage de L Vergnon : ‘L’audition dans le chaos’, Masson 2008
« Vers la fin de l’année 2003, trois cadres de santé, Mireille SAN JULLIAN, Simone DUMAS, Marie-Françoise VOGEL viennent demander à un de leur ancien chef de service récemment retraité, le Docteur Laurent VERGNON, ORL, le moyen d’entrer dans un processus de formation continue et de recherche clinique dont elles ressentent l’impérieuse nécessité dans leur profession de soignante. Ce travail de mise à jour permanente des connaissances est habituellement le domaine des médecins mais elles se sentent concernées sans néanmoins avoir les moyens d’entrer dans cette démarche. Parallèlement à cela, une jeune étudiante en médecine, Jamila HAMDAOUI, choisit de faire sa thèse avec le Docteur VERGNON. Ils se mettent à travailler sur le thème de la baisse d’audition liée à la presbyacousie, chez les patients atteints de troubles cognitifs liés à la sénescence. Le lien ne tarde pas à être fait et il émerge un projet jugé à l’époque ambitieux mais réalisable : faire travailler ensemble les IDE en mal de recherche et l’étudiante, en manque d’observations pour boucler sa thèse. : Le Pr de médecine et chercheur, Denis POUCHAIN - l’audioprothésiste, David AUBEL - l’oto-neurologue et chercheur, Xavier PERROT – L’industriel, Pascal BOULUD – le gériatre Philippe TAURAND – Le Directeur des soins, Pilar VERDONCQ… se joignent au groupe : Un groupe de travail médico soignant voit le jour. Durant l’année 2004, ils se réunissent afin de construire un protocole d’étude et la nécessité de constituer une association devient réelle: le GRAP (Groupe de Recherche Alzheimer Presbyacousie) est l’image de cette activité. Cette association leur donne les moyens d’une recherche clinique valide … »
VERGNON Laurent, laurent@vergnon.net
Praticien hospitalier, Chef de Service, à l’hôpital Simone VEIL, Groupement hospitalier Eaubonne-Montmorency.
Fondateur du GRAP, Groupe de Recherche Alzheimer Presbyacousie. Association loi de 1901 créée en avril 2005 dans le but de promouvoir et diffuser des recherches autour des troubles cognitifs et des troubles auditifs ;
OUVRAGE - L’audition dans le chaos », en collaboration avec David AUBEL, Marie-Claude Scozzaro-Lacombe, Jean-François LANGUMIER. Illustrations : Sébastien VERGNON. Ed. Masson, mars 2008.