Atelier N° 36 - «Entendre l'esthétique dans ses complexités»
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Cet Atelier-Forum viserait à éclairer l’interprétation d’œuvres artistiques à laquelle chacun s'exerce volontiers, par l’établissement d’une théorie générale de l’art dans ses rapports avec la recherche scientifique passée et actuelle. Ce sera surtout en s'intéressant aux œuvres couvrant tout le XX° S, qui peuvent comprendre peinture, cinéma, cinéma expérimental, installations, vidéo, installations interactives, art sur Internet, art numérique, musique, arts de la scène et leur développement technologique, etc ... Œuvres qui, paradoxalement, nous sont souvent moins familières. Cette interprétation, qui peut aussi se nourrir des richesses des siècles antérieurs, emprunte les chemins des théories de la Complexité en tentant d’établir une typologie des œuvres d’art en relation avec les principaux types d’émergence (effets de seuil, emboîtement des formes, organisation autopoïetique, boucle rétroactive, phénomènes réflexifs ou récursifs d'une construction interactive avec un environnement, etc.)
En 1986, lors du Colloque International de Tsukuba (Japon), Sciences et symboles, les Voies de la connaissance, Henri Atlan, biologiste et auteur d'une théorie de la complexité et de l'auto-organisation s’interroge sur le sens dans une communication intitulée Créativité biologique et auto-création du sens.
« En général pour parler de créativité, on parle souvent de génie, d’inspiration, de Vie avec un grand V. On envisage ainsi la créativité intellectuelle et artistique du point de vue de la vie intérieure des hommes créateurs, telle qu’on l’imagine à partir de récits biographiques et introspectifs sur les circonstances dans lesquelles une œuvre a été créée. Je veux envisager les choses d’une autre façon, dont je ne crois pas qu’elle épuise le sujet (…)ce qui va nous occuper maintenant, ce n’est pas tellement l’expérience intérieure de la créativité que l’observation de ce que « du nouveau » peut survenir dans la nature (…) »
René Thom et Francisco Varela, tous deux présents à Tsukuba, se sont illustrés sur cette même question de l’auto-création du sens. L’un dans le champ des mathématiques et de la morphogenèse ; l’autre dans la cybernétique, la biologie, l’épistémologie et le cognitivisme. Varela par exemple a élaboré une doctrine générale des formes, à la fois pour les systèmes biologiques et les systèmes cognitifs. En ce qui concerne la créativité, il est l’auteur d’un beau texte, Le cercle créatif (in L’Invention de la réalité de Paul Watzlawick et alii) qui, liant mathématique, biologie et art, fixe une méthode de pensée et d’analyse, à partir du thème de la Circularité, sur ce que peut être la conception d’une œuvre. Jean Petitot, de même, dans Morphologie et Esthétique, étudie à partir du « potentiel organisateur » de la théorie des catastrophes de Thom, certains rapports de la morphogenèse mathématique et biologique avec la littérature et la philosophie.
Néanmoins si ces chercheurs se sont bien préoccupés d’" entendre l'esthétique dans ses complexités", parfois à grands renforts de Goethe, de Lessing et de Kant (3° Critique), aucun d’eux ne s’est soucié de l’art contemporain. Et inversement, pratiquement aucun historien d’art français, encore (tout comme les critiques d’art) sous l’emprise de ses propres statues – et quelles statues ! Benjamin et Adorno, auxquelles s’ajoute Deleuze invariablement-, ne s’est jusqu’ici réellement doté d’une vision épistémologique, absente des esprits depuis Gombrich, voire Panofsky. La récursivité formulée en 1931 par Kurt Gödel n’a été, par exemple, jamais prise en compte dans l’approche de l’art contemporain, alors qu’il est évident que celle-ci y est intimement liée. Elle, avec d’autres thèmes comme la boucle rétroactive de Wiener, demeure une des composantes essentielles de sa construction. Cet art ne peut se concevoir que comme espace cognitif et réflexif, et cela dès La Mariée mise à nu par ses célibataires, même (le Grand verre, 1915-1923) de Marcel Duchamp qui, à cet égard, fait figure de précurseur.
À ma connaissance, il n’existe pas d’ouvrage en langue française associant les théories de l’émergence et de la complexité directement avec l’art et l’histoire de l’art du XX° siècle (si ce n’est articles et communications épars). En ce domaine, on peut même parler de « retard ».
Cet Atelier -Forum au sein du Réseau INTELLIGENCE de la COMPLEXITE - R.I.C vise donc à combler cette lacune et à s’interroger sur les anciens comme les plus récents développements d’une recherche scientifique et épistémologique dont l’art reste inséparable. « Dans le total, arts et sciences sont inséparables », disait Paul Valery. Ce qui est d’autant plus vrai aujourd’hui avec l’ère des nouvelles technologies. Mais déjà, historiquement, sont nées des manifestations, des pensées, des partis pris finalement peu éloignés de la sensibilité que l’on veut montrer ici. Ainsi le système C/E/M (Corps/Esprit/Monde) que Valéry décrit dans ses Cahiers, est une sorte d’artefact conceptuel, de « machine universelle » heuristique ; un système auto-organisé par l’organisme, via le cerveau, par laquelle le poète veut apprendre à ne plus opposer les principes art, science et connaissance.
Réfutation du réductionnisme mécaniste (stratégie top-down), l’émergence (stratégie bottom up) conceptualise scientifiquement que l'addition de plusieurs éléments n'est pas toujours égale à leur somme. Cette approche, à mon sens, offre une interprétation beaucoup plus riche pour certaines œuvres artistiques « complexes » historiques.
On connaît peu Kandinsky sous son rapport au théâtre. Il est pourtant l’auteur, dans les années 20, de plusieurs « Compositions » sur lesquelles il écrit et théorise, qui sont des sortes de pièces-« morphogenèses », explorant une « collaboration entre les arts ». Écriture, lumière, couleurs, acteurs, danses, bruits et musique y deviennent « agents » d’une création à la fois aléatoire et orientée.
À la même époque, Lazlo Moholy-Nagy concourt avec certains autres artistes comme le Russe Naum Gabo, et l’Allemand Ludwig Hirschfeld-Mack à l’éclosion d’un art cinético-lumineux (véritables systèmes mis en scène et protoVirtuel) en même temps qu’il prône un Théâtre de la Totalité résultant, là aussi, d’une addition d’éléments hétérogènes.
Kurt Schwitters à Hanovre, construit sur la forme de la sonate, mais uniquement via des sons phonétiques, pré-syllabiques ou des sons émis, formés par la bouche sous forme d’onomatopées, une Ursonate (Ur Lauten Sonate, 1921) en quatre mouvements d’une durée de 40 minutes. Dans ce travail de déconstruction du langage, il invente une certaine musique concrète contemporaine. Mais il fait bien plus, car, par ses installations-morphogenèses, comme les MerzBauen (ensembles architecturaux domiciliaires en bois blanc et en plâtre) et son Théâtre Merz, il suscite déjà le principe d’une auto-organisation. Principe initié par le seul mot Merz qui engendre continûment peintures, musique, poèmes, installations, comme autant d’œuvres en devenir basées sur une Théorie des assemblages. Tout se passe comme si ces emboîtements de Schwitters décidaient de propriétés émergentes n'existant pas dans chaque élément séparé.
Plus tard, le musicien John Cage, à travers ses Systèmes/De-systèmes musicaux et ses expériences de Hasard (Hasard et « Chaos »), crée des pièces-happenings dont le Theater Piece No. 1 (1952) ou encore le dispositif électroacoustique et morceau polyradiophonique de l’Imaginary Landscape Number Four ou March n° 2 (Le paysage imaginaire n° 4, 1951), qui instaurent des composants divers pouvant interagir à la fois sériellement et parallèlement, de manière à engendrer des effets et événements aussi bien simultanés que séquentiels. Ces pièces ramènent aux boucles rétroactives, aux phénomènes réflexifs ou récursifs d'une construction interactive avec l'environnement et avec le ou les spectateurs-observateurs.
Principe auquel se réfèrent les installations de l’Ecole de New York de la fin des années 50, l’art vidéo, l’art en « espace partagé » d’un Fred Forest et de quelques autres et enfin les installations interactives contemporaines, la Réalité Virtuelle, les dispositifs immersifs des CAVEs.
Notre investigation pourrait ne pas s’arrêter là. Car pourquoi ne pas se pencher sur la littérature dite baroque (l’écrivain cubain José Lézama Lima, théorisant lui-même ses formes d’écritures complexes, dont l’hypertélie), sur un cinéma réclamant une lecture épistémologique comme celui de Tarkovski, sur certaines expériences du cinéma numérique empreintes de pensée leibnizienne et auto-organisées (Time Code, Mike Figgins, 1999) ou même sur la composition musicale contemporaine dans son ensemble ; la mieux servie en France en terme d’approche complexe. Cela pouvant entendre également le turntablisme (dispositif à deux platines) des musiques techno et hip-hop.
Tout en donnant ces exemples nous avons parfois confronté ces formes d’art à différents modèles d’émergence. Ce sera un des buts de cet Atelier -Forum " Entendre l'esthétique dans ses complexités" : établir une vision renouvelée des thèmes de l’émergence et de la complexité dans leurs rapports avec l’esthétique et la création artistique. Projet qui s’inscrit dans la réalisation d’une typologie des formes d’émergences en rapport avec certaines œuvres d’art. Chercheurs, artistes et citoyens ne peuvent-ils s'associer en participant à une intelligence effective de la construction de telles « réalités » que nous nommons « artistiques » ?
Ce texte provient d’interrogations assez anciennes sur la perception. Certaines expériences empiriques personnelles, diverses sensations « étranges » ressentis lors d’exposition d’œuvres d’art, de visions de films ou de moments singuliers de la vie, m’ont amené à m’interroger sur certains phénomènes accompagnant la perception et l’entendement. Je me suis un peu tourné, il y a quelques années vers les neurosciences, à l’occasion d’une étude oculomotrice sur peintures originales de Francis Bacon,
Cette recherche épistémologique ne m’a cependant pas pleinement contenté. La perception, le ressenti devant certaines œuvres de Bacon, ou films ou vidéos ou films expérimentaux ne me semblaient pas prise réellement en compte par les approches cognitivistes habituelles. Qui plus est, cette étude, n'interrogeait pas la sensation de « futur » fortement éprouvée lors de ces perceptions ainsi que la notion d’empathie. Était aussi ancré en moi le fait que certaines œuvres d’art « représentaient » en quelque sorte ce que je pouvais subodorer : il existe en certaines œuvres d’art des parties cachées qu’une certaine perception dévoile de façon instantanée. D’autres rencontres m’ont peu à peu m’entraîné sur des recherches sur les théories de la prédiction : la mécanique statistique et la théorie des probabilités dans les systèmes complexes et les expériences de Shalizi en particulier ayant amené à la production d’un filtre/algorithme permettant de « voir » ce qu’il peut résider derrière la notion de complexe. Dans une idée de « Second Order Complexity », ces expériences réalisent des prédictibilités maximales sur le comportement des systèmes complexes.
Par ces nouvelles investigations, il commençait à devenir possible de proposer l’hypothèse que les œuvres (en particulier images animées) contenaient des processus stochastiques internes ou figurés, se couplant avec des processus de même nature s’effectuant dans le cerveau de l’observateur, et que la rencontre des deux produisaient le sens, l’interprétation, ce que l’on appelle sentiment esthétique. Cette hypothèse un peu « pionnière» peut en dernier ressort, proposer d’autres éléments pouvant explorer sa pertinence, dont les neurones miroirs, découverts par le physiologiste et neuroscientifique, Giacomo Rizzolatti. Ces neurones miroirs ont la capacité d’imitation et de simulations des actions proposés, ils les calculent en quelque sorte, en dressent les probabilités, en dessinent le futur. Pari pascalien ?
Ndlr. En s’attachant depuis longtemps à entendre ‘l’esthétique dans ses complexités’, LJ Lestocart devait rencontrer et méditer l’œuvre littéraire de Paul Valéry. Celui-ci ne fut-il pas l’exceptionnel témoin de cette fascinante et quasi cinématographique expression de l’acte cognitif s’exerçant dans et par les complexités de l’acte littéraire ? LJ Lestocart avait développé ces interrogations sur ‘les fonctions de l’esprit dans l’expérience de création’ (qu’elle soit tenue pour scientifique ou pour artistique) dans une étude publiée en 2006 par l’excellente revue ‘ALLIAGE’ qui se veut ‘Le vecteur d'une réflexion de fond sur les rapports de la culture, de la technosciences et de la société’. . Nous remercions J-M Levy-Leblond, le directeur de la Revue, de nous autoriser à reprendre cet article, avec quelques modifications et mises à jour mineures de l’auteur, dans les documents du site du Réseau Intelligence de la Complexité’.
« … Plus que d’œuvre-système-invisible, j’entendrai ici parler d’œuvre-système. Ce qu’on doit voir, percevoir, interpréter est surtout invisible pour le « bon sens ». Anaxagore de Clazomènes, lequel a introduit la notion de noûs (en grec, esprit ou raison) disait en un insoutenable paradoxe : « La neige composée d’eau est noire malgré nos yeux ». La neige, prétend en effet Anaxagore, doit être sombre comme l'eau dont elle est formée, et, à quiconque le sait, elle n'apparaît plus du tout blanche ; la neige blanche en fondant se change en eau noire. (Gaston Bachelard, La terre et les rêveries du repos, 1948). « L’imagination matérielle qui a toujours une tonalité démiurgique veut créer toute matière blanche à partir d’une matière obscure, elle veut vaincre toute l’histoire de la noirceur » - traduisons tout ce qui est complexe. D’une manière générale comme il est dit dans Le nouvel esprit scientifique (1934), « le simple est toujours le simplifié et ne saurait être pensé qu’en tant qu’il apparaît comme le produit d’un processus de simplification ». Bachelard souligne encore dans Essai sur la connaissance approchée (1928) « Simplifier, c’est sacrifier. C’est le mouvement inverse de l’explication qui, elle, ne craint pas la prolixité. » ou encore « La simplicité n’est que la simplicité d’un langage bien réglé, elle n’a aucune racine dans le réel. » (extrait du texte de présentation de LJ Lestocart)
« C’est à partir de l’expérimentation, par certains artistes, de territoires élargis de la Réalité Virtuelle et de certains procédés de topologies complexes, qu’on peut tenter d’établir une « protohistoire » des installations interactives à base énactive qui modélisent l’avènement conjoint d’un monde et d'un esprit à partir des différentes actions qu’accomplit un être dans le monde (Maturana, Varela) . … ».– Extrait du texte de présentation de LJ Lestocart
Le Cycle 2010 Esthétiques, positions et fondements philosophiques, épistémologiques de la Complexité . des conférences du groupe « Esthétique, complexité, expérimentation et modélisation » (ECEM) de l’ISC-PIF. Le groupe ECEM (Z. KAPOULA & L.-J. LESTOCART) reprend une série de séminaires et débats intégrant cette fois un axe philosophie. Derrière ce sous-titre "Positions et fondements philosophiques, épistémologiques de la Complexité" se cache une idée d'Archéologie du Savoir et de généalogie des Sciences de la Complexité de l’esthétique de la pensée. Dans ce programme de longue haleine, il s'agit en effet de tisser des liens entre divers domaines et diverses connaissances (esthétique, neurosciences, neurologie neurophysiologie, philosophie de l'esprit, mais aussi théâtre, écriture, littérature, etc.) dans le souci d'inventorier les fondements d'une pensée complexe.
Un séminaire du Groupe « Esthétique, complexité, modélisation et expérimentation , Pour une neuro-esthétique, » qui se met en place à Paris dans le cadre de l’ISC-Paris Ile de France : Considérant l’art comme objet complexe, du point de vue de la perception, de l’interprétation et de la création, on s’appuiera sur les théories de l’émergence et les diverses composantes de la Complexité (principe entéléchique, morphogenèse, bifurcation, rétroaction, récursivité, auto-organisation, etc.), pour dresser une sorte de typologie de ces différentes formes de complexité, afin de les mettre en confrontation avec diverses œuvres d’art (peintures, installations, installations interactives, films, films expérimentaux, animations, etc.) L’objectif du groupe « Esthétique, complexité, modélisation et expérimentation », parrainé par l’ISC-PIF, est de créer un noyau actif combinant la recherche théorique, empirique et la modélisation sur la perception de l’art et ses complexités. Les disciplines représentées dans ce consortium sont : philosophie, critique d’art, histoire de l’art, psycho-esthétique, neurosciences cognitives, physiologie oculomotrice, ingénierie et mathématiques. Le programme détaillé des activités du Groupe (co animé par Zoé Kapoula Directrice de recherche au CNRS et Louis-José Lestocart, Journaliste Art-Press et chercheur IRIS-CNRS) est régulièrement présenté sur le site http://formism.net:80/ecme (Chaque séance trois fois par mois a lieu à 18h à l’Institut des systèmes complexes de Paris Île-de-France. 57-59 rue lhomond 75005 Paris