Rédigée par Georges Lerbet sur l'ouvrage de MAFFESOLI Michel : |
« Eloge de la raison sensible » Essai, Paris, Grasset, 1996, 282 pages. |
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Il est remarquable que l'intérêt actuel pour les travaux se rapportant de près ou de loin à la cognition, a tendance à passer d'une centration sur les questions d'abstraction vers une autre qui prend davantage en compte ce qui a trait à la sensibilité, à la perception, au sensori-moteur.
Quand on suit, depuis vingt ans, la pensée de Michel Maffesoli à travers la lecture de son oeuvre, il n'est pas surprenant que l'essai qu'il propose aujourd'hui, participe de ce déplacement des centrations. On sait en effet combien cet auteur s'est attaché à montrer le caractère tragique de notre état anthropologique lié à l'inéluctable inachèvement des contradictions de notre vécu. On sait aussi combien il situe l'exacerbation de cet état au coeur de notre monde actuel qui oscille entre la modernité héritée des lumières et la post-modernité du "temps des tribus".
Dans ce cheminement intellectuel alimenté par l'examen clinique des corpus sociaux, politiques, esthétiques, culturels..., où la place est laissée à l'approche de l'imaginaire et des mythes dans la tradition de pensée de Gilbert Durand en particulier, il fallait bien qu'un moment advienne où Michel Maffesoli porterait un regard épistémologique sur les fondements de sa démarche cognitive. Il fallait d'autant plus que cette démarche éclaire la lecture de la pensée de notre temps. C'est en partie chose faite avec la publication de ce onzième ouvrage de Maffesoli.
Pour mener à bien son entreprise, Maffesoli commence par poser les limites d'une appréhension positiviste de l'objet, fondée sur sa coupure d'avec le sujet. I1 montre combien le rationalisme qui supporte cette posture intellectuelle n'aboutit qu'à favoriser l'abstraction mutilante et combien cela impose une rupture épistémologique. Face aux insuffisances et à la vanité de l'utopie rationaliste, il convient de savoir élargir l'univers de la raison à ce qui procède en propre du sujet envisagé cognitivement de façon moins restrictive.
En alléguant d'une "raison interne", en prônant "l'illumination ou l'élargissement de la conscience" (p. 69) génératrice d'une "pensée organique", nous ne sommes pas loin de revivifier une conception bio-cognitive de l'esprit à laquelle nous sommes habitués dans les sciences de la complexité. Ainsi, chez Maffesoli, la raison peut-elle devenir sensible tout en ne demeurant pas une sorte de bruit de fond mental. L'hédonisme sur lequel elle prétend reposer s'organise en effet, ici, en référence au "formisme", "expression philosophique" de la forme, "qui se contente de poser des problèmes et donne "des conditions de possibilités" pour y répondre au cas par cas et non de manière abstraite" (p. 113). Ce n'est pas trop dire, me semble-t-il, que de voir dans cette référence philosophique l'ambition d'une modélisation ouverte dont la forme, qui n'est pas "formule", équivaut à une véritable procédure d'implexion qui réserve la complexité à ce qui fait l'objet (global) de contemplation.
D'où l'intérêt porté ici à l'expérience vécue et aux méthodologies phénoménologiques, dans lesquelles, le rappelle Maffesoli, l'idée d'horizon (p. 154), la démarche intuitive etle support de la métaphore constituent un outillage primordial pour gérer des "comment ?" plutôt que des "pourquoi ?".
Georges Lerbet
Fiche mise en ligne le 12/02/2003