Rédigée par J.L. Le Moigne. sur l'ouvrage de VALLEE Robert : |
« Cognition et Système. Essai d'Epistémo-Praxéologie » Ed. L'Interdisciplinaire. Lyon 1995. 136 pages. |
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NdLR: Cette note de lecture de l'ouvrage de R. Vallée "Cognition et Système" a été publiée dans le "Cahier des Lectures MCX n°11" accompagnant le numéro de mars 1996 de la "LETTRE MCX - CHEMIN FAISANT" (n° 25), mais incomplet).
Le titre de ce bref essai annonce un projet sans doute plus ambitieux que celui que se propose son auteur, R. Vallée, le pionnier de la cybernétique en France (ne fondait-il pas, à Paris en 1949, soit un an après la parution de l'ouvrage de N. Wiener, "Cybernetics", le "Cercle d'études cybernétiques" ?): plus que de cognition, de systémique et d'épistémologie, il nous livre une synthèse de quarante années de recherches et de méditations sur la "théorie (mathématique) des systèmes dynamiques élargis" entendus comme des "systèmes cybernétiques" classiques; systèmes capables de percevoir certaines caractéristiques de leur environnement, et de les traiter pour calculer leurs décisions d'actions, actions qui sont présumées transformer cet environnement en provoquant ainsi l'activité d'une boucle "perception-décision-action-perception..." que R. Vallée propose d'appeler la boucle "épistémo-praxéologique".Intitulé qui laisse son lecteur un peu perplexe puisqu'il ne voit pas ce qu'apporte ici le préfixe "épistémo" au concept de "praxéologie" par ailleurs défini dans les mêmes termes que la cybernétique par son fondateur Kotarbinsky dès 1937 (fondateur que, curieusement, R. Vallée ne mentionne pas alors qu'il consacre un important premier chapitre à "la présentation historique des fondateurs et de leurs idées... à l'origine de la théorie des systèmes et de la cybernétique"). Je présume que c'est pour rendre compte de son intention d'assurer une base épistémique à sa réflexion praxéologique en cybernétique (laquelle a beaucoup souffert depuis 50 ans de ses inattentions à ses propres fondements épistémologiques), que R. Vallée a pris le parti de qualifier ainsi son projet : même si on peut considérer qu'il progresse avec trop de prudence dans cette direction, on ne peut que se féliciter de le voir montrer le chemin en le baptisant du nom musical de "constructivisme bien tempéré". Le nom pourtant ne nous suffira pas à définir le projet, même si l'auteur nous précise que "s'il ne propose aucune définition personnelle et générale, c'est pour laisser la notion ouverte". Il risque ainsi de rendre plus difficiles ses communications avec ses lecteurs. I1 est vrai que cette difficulté n'est sensible que dans les paragraphes proposant des développements épistémologiques _ au demeurant peu nombreux _ et qu'on ne la rencontre pas en lisant les formalisations des processus de perception et de décision au sein des "systèmes dynamiques", lesquels constituent l'essentiel de l'ouvrage. Le fait qu'il ait "restreint" son projet aux seuls systèmes cybernétiques (fermés), s'il lui permet de présenter des formalisations d'une belle sobriété, a pour conséquence de priver son lecteur d'une réflexion sur les concepts d'interaction, de téléologie (réduite ici à la téléonomie) et de symbolisation, qu'introduit précisément la modélisation systémique depuis 1975 pour dépasser les incomplétudes de la modélisation cybernétique. En revanche, il permet de présenter cette dernière avec une grande économie (100 pages suffisent alors que le "cybernetic modeling" de Klir et Valach publié il y a 30 ans en 1966, en demandait 300) : le mérite, on le voit, n'est pas mince.
Peut-être regrettera-t-on aussi quelques oublis relatifs dans la présentation historique de la cybernétique (premier chapitre), mais cette incomplétude (qui ici me semble mineure) est le lot de tout travail d'historien, surtout peut-être en histoire des sciences.
Enfin il faut regretter quelques coquilles (dont cet éditeur est hélas familier) qui parsèment le texte: modèle devient moelle, ce qui est peut-être une bonne image, ou "Science and Sanity" devient "Science and Unity"... ce qui est plus fâcheux !
J.L. Le Moigne.
Fiche mise en ligne le 12/02/2003