Modélisation de la CompleXité
Programme européen MCX
"Modélisation de la CompleXité"

Association pour la Pensée Complexe
Association pour la Pensée Complexe
 

Note de lecture

Rédigée par Sergio Vilar sur l'ouvrage de DELACOTE Goéry :
« Savoir apprendre les nouvelles méthodes »
     Ed. O. Jacob, Paris, 1996. 277 pages.

Déverrouiller le système éducatif et travailler pour un nouveau départ de l'élaboration-diffusion des connaissances, est un ensemble de finalités permanentes pour tous ceux qui sont membres actifs du programme transdisciplinaire pour les modélisations des complexités. En dehors de notre groupe il y a, heureusement, des enseignants-chercheurs qui avancent dans le même sens, bien qu'ils le fassent de manière un peu différente de celle qui caractérise la plupart des adhérents de notre association. J'écris "différente" sans vouloir signifier que peut-être nous possédons quelques secrets scientifiques centraux desquels les autres devraient s'approcher. Au contraire, j'écris "différente" en bonne et grande mesure avec admiration pour l'auteur du livre dont jecommence à faire un compte rendu : Goéry Delacôte, physicien français, éducateur ouvert au dialogue avec toutes les branches du savoir et des sensibilités. Delacôte est en train de contribuer de façon décisive à la transformation du système d'enseignement aux Etats-Unis, ainsi qu'il contribue au changement des pratiques de gestion des établissements éducatifs et des rapports entre les institutions (écoles, universités) et ses utilisateurs (étudiants, en général )tous ceux qui souhaitent augmenter et approfondir leur culture, non comme connaissances fixées, toutes faites, mais comme des fluidités coulant sans arrêt tous azimuts.

Pour réaliser ses idées, Delacôte a un extraordinaire outil : l'Exploratorium de San Francisco, dont il parle dans Savoir apprendre les nouvelles méthodes. Qu'est-ce que l'Exploratorium ? En parlant rapidement on l'appelle un musée scientifique. Mais ce n'est qu'une simplification, parce que cette institution, suivant ce que son directeur explique, est une excellente anticipation des centres éducatifs et en même temps de recherche qui (c'est notre rêve, notre désir) proliféreront dans un futur proche dans de nombreux pays et villes.

Bien que l'Exploratorium soit un lieu scientifique, les artistes y jouent un rôle crucial. Les membres de l'AE-MCX savent, depuis le début de notre chemin commun, combien d'importance je reconnais aux relations des sciences avec l'art, de la pensée logique avec la spontanéité sensible. L'Exploratorium n'est pas seulement un centre de formation de professeurs, mais aussi un lieu de création et de gestion d'expériences scientifiques interactives pour un large public : expérimenter, questionner, communiquer, créer du sens et partager des valeurs sur ce monde, sont quelques uns des verbes-actions pour tous ceux qui travaillent sous la direction de Goéry Delacôte qui, en outre, n'est pas partisan des rapports hiérarchiques trop rigides.

L'Exploratorium est un immense carrefour enrichissant la recherche par la pratique et la pratique par la recherche, travaux qui révèlent constamment les liens qui unissent -non sans tensions- les multiples disciplines, se transférant mutuellement des éléments méthodologiques, des connaissances-résultats et des connaissances-processus.

Quelle est la métaméthodologie qui embrasse, très flexiblement, ces projets-réalisations ? Dans son livre G.L. consacre la plupart de ses pages à raconter ce qu'ils font (ce que je viens d'offrir en rapide synthèse) et il lui reste peu d'espace pour dire quelles sont ses positions épistémologiques. Or, implicitement, c'est clair dans son faire. G.L. cite une ou deux fois des auteurs dont nous partons aussi : Bohr, Piaget, et il se branche sur des concepts qui pour nous sont très opérationnels, comme ceux de métacognition sociocognitive, G.L. est pour l'utilisation des nouvelles technologies, y compris Internet : or, il voit bien que les techniques ne sont pas, en soi, génératrices de transformations des pratiques d'apprendre : elles peuvent conserver les anciens schémas et même augmenter la rigidité du système. Les nouvelles technologies pourraient contribuer à changer les modes d'élaboration et de diffusion des connaissances, mais elles contiennent aussi des possibilités de risques : accès inégal, cloisonnements cognitifs...

Au travers des pages de G.L. il y a, néanmoins, deux idées clé pour nous, deuxc oncepts-outils décisifs qui me semblent très peu développés par le directeur de l'Exploratorium : complexités et transdisciplinarité. Le premier concept n'est cité qu'une seule fois, en passant, bien que positivement (page 77 : ... "ne pas craindre la complexité"...). Le deuxième concept n'est jamais exprimé, ou l'est de façon erronée (page 259 : ... "programmes pluridisciplinaires"...). Ni pluridisciplinarité, ni multidisciplinarité ne sont transdisciplinarité ou interdisciplinarité. Or, G.L. propose implicitement de développer les travaux transdisciplinaires en plusieurs paragraphes de son livre : quand il soutient que les transformations éducatives à venir ne peuventréussir, et favoriser une meilleure appropriation des savoirs, que si elles sont toutes à l'oeuvre et l'oeuvre de tous, à des niveaux soigneusement articulés les uns avec les autres (page 21) ; quand il pense élargir la coopération dans 1'apprentissage pour mieux articuler les différentes formes de savoir ; quand il propose une science intégrant davantage toutes les disciplines (p. 240) ; quand il parle du brassage permanent, interne et externe, des idées (p. 264).

Et tout cela, pour quoi faire ? Pour faire la gestion de nos ignorances, qui ne font que croître à la mesure de la croissance très rapide des savoirs spécialisés (page 88) ; pour savoir nous débrouiller dans les zones de turbulences culturelles où choquent les multiples spécialisations ; pour lutter intelligemment contre les nouvelles ignorances ; pour compenser les spécialisations avec l'éclosion d'une nouvelle culture générale saisissant les aspects et les concepts centraux, conjonctifs, des transformations scientifiques et sensibles.

Le livre et les travaux de G.L. sont absolument nécessaires pour faire l'expansion de la nouvelle rationalité, pour nos projets-réalisations (en France, aux USA, en Espagne,etc.). Si nous réussissons, ces projets amèneront à la construction d'une nouvelle civilisation ; et sinon, nous allons subir et surtout les nouvelles générations subiront une barbarie plus dangereuse que celle des anciens barbares. Parce que les nouveaux barbares agissent déjà au sein des centres d'enseignement-recherche.


Sergio Vilar

Fiche mise en ligne le 12/02/2003


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