Rédigée par J.-L. Le Moigne sur l'ouvrage de ERMINE Jean-Louis : |
« Les systèmes de connaissances » Ed. Hermès, Paris, 1996. 160 p. |
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Mais une des dernières venues de la recherche scientifique, la psychologie cognitive, allait progressivement proposer quelques modèles non énergétiques des transactions de ces artifices que sont les informations-connaissances que génèrent et manipulent à plaisir les êtres humains dans l'élaboration et la manifestation de leurs comportements. Modèles qui gagnèrent vite quelque considération dans les communautés scientifiques, non seulement parce qu'ils se référaient volontiers à une longue tradition culturelle, d'Aristote à C.S. Peirce ou à P. Valéry, mais aussi parce que les développements scrupuleux de la psychologie expérimentale leur donnaient, depuis les années cinquante, une crédibilité rassurante : les oeuvres de J. Piaget et d'H.A. Simon constituent aujourd'hui des repères épistémologiques fondamentaux pour toute recherche sur la cognition naturelle et artificielle, et donc pour toute interprétation des iprocessus de transaction affectant les "systèmes de symboles", ces artifices par lesquels nous relions dans l'action la forme et le sens, l'information et la connaissance.
Dès lors, nos exercices de modélisation de la gestion des
connaissances ou d'économie de l'information vont pouvoir disposer
d'un paradigme alternatif au paradigme énergétique pour se
développer : appelons-le provisoirement le "paradigme de la cognition"
pour le caractériser par référence à
l'émergence contemporaine des sciences de la cognition et de la
communication. Sans doute faudra-t-il l'affiner pour disposer d'un langage
permettant de rendre compte de la complexité irréductible des
processus socio-organisationnels de traitement de l'information ou de computation
symbolique : on a proposé il y a peul de construire un paradigme
"inforgéthique" autorisant le "changement de registre
modélisateur" que l'on recherche (l'information est à
l'organisation ce que la matière est à l'énergie. Mais
cette correspondance est plus complexe encore puisque affectée par
la capacité de décision éthique des acteurs en
jeu). Réflexion paradigmatique et épistémique qui reste
à poursuivre, sans que son inachèvement compromette la discussion
des expériences qui pragmatiquement se poursuivent aujourd'hui : "En
marchant se construit le chemin". Le célèbre vers d'A.
Machado dit parfaitement le projet du livre que nous propose aujourd'hui
J.-L. Ermine : à la fois retour d'expérience, méditation
épistémique et proposition pédagogique, il nous livre
une des premières synthèses dont nous disposons aujourd'hui
pour aborder la gestion des connaissances dans et par les organisations sociales.
Exercice novateur qui va s'avérer très bienvenu tant pour les
praticiens (les gestionnaires et les informaticiens qui les assistent) que
pour les chercheurs en ingénierie des systèmes d'information,
et plus généralement en sciences de l'ingénierie des
organisations sociales complexes.
Il faut souhaiter une large audience à cette "réflexion
expérimentale", car les enjeux sont aujourd'hui importants : nos
technologies de l'information se sont développées depuis cinquante
ans pour assurer les fonctions de contrôle de nos organisations sur
le mode de la régulation énergétique (ou de la
première cybernétique). Il s'agit aujourd'hui de les mettre
au service de leur complexe fonction d'intelligence : l'intelligence qui
s'exerce et s'exprime par nos fascinants "systèmes de symboles"
médiatisant nos "systèmes de connaissances", observaient
déjà A. Newell et H.A. Simon dans leur célèbre
"Conference Turing" de 1975. Un texte fondateur que nous pourrions utilement
relire aujourd'hui pour interpréter dans ses multiples dimensions
le riche exercice de transformation d'expérience en science que
nous propose ici J.-L. Ermine.
J.-L. Le Moigne
Fiche mise en ligne le 12/02/2003