Rédigée par J.L. Le Moigne. sur l'ouvrage de GAUTHIER Yvan : |
« La philosophie des sciences, une introduction critique » Presses de l'Université de Montréal, 1995. 130 pages. |
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Le titre, une fois encore est sinon trompeur, au moins partiel : l'introduction à "une" philosophie des sciences (première partie), se juxtapose à une critique académique de quelques ouvrages de spécialistes rédigées pour la plupart dans les années quatre vingt. Cette deuxième partie est constituée du recueil de notes de lecture publiées dans diverses revues. La lecture de la première partie ("thématique", 64 pages) est en effet facile mais irritante parce qu'elle "exclut la philosophie de la biologie, des sciences sociales et des sciences humaines".. ; dont "les discours sont (présumés) tributaires d'une attitude fondationnelle différente" (de celle de la physique), p. IX, ... "La cosmologie (n'ayant) que la part congrue". La lecture de la deuxième partie ("Problématique") sera en revanche ardue pour les lecteurs qui n'ont pas lu en leur temps les ouvrages de B.C. Van Fraassen (1980), de I. Hacking (1989) ou de I.Prigogine et I. Stenger (1979), dont certaines thèses feront l'objet d'une discussion "pointue" ! Je n'aurais sans doute pas prêté beaucoup d'attention à cet exercice d'apparence académique, qui semble relever de la joute spéculative plutôt que d'une méditation sur la légitimité des connaissances scientifiques aujourd'hui enseignables, si l'auteur, professeur de philosophie à l'université de Montréal, ne faisait ostensiblement profession de "constructivisme, un point de vue radical qui lui permet d'évaluer dans une optique bien précise les différentes orienientations de la philosophie des sciences", (texte de présentation de l'ouvrage). Puis-je confesser une déception que j'espère provisoire ? La seule définition de ce constructivisme qui lui permet de distribuer le blâme et l'éloge à ses chers confrères est la suivante : "Le constructivisme est un antiréalisme radical qui trouve son lieu l'exercice d'abord en logique et en mathématique et ensuite dans le discours scientifique... de la physique" (p. 121). Définition négative qui dit plus ce que le constructivisme ne devrait pas être que ce qu'il peut être et peut faire. (Si l'on se réfère aux huit critères de scientificité que propose la première partie (p. 19-22), on peut d'ailleurs craindre qu'aucun constructivisme ne puisse jamais s'exercer à la production d'énoncés scientifiques : il est vrai que cette "liste n'est pas exhaustive... et que... par surcroît les critères de scientificité n'ont qu'un rôle relatif de démarcation", p. 22). Sans doute sera-t-il difficile de se référer à la caution de Y. Gauthier pour argumenter la légitimité et la pertinence des épistémologies constructivistes lorsque les académiciens voudront leur faire un "mauvais procès". Mais cette capacité des constructivismes à s'exercer à leur auto-critique permanente est sans doute un témoignage de leur vertu philosophique à l'intention des scientifiques...
Et, ne faut-il pas porter au crédit de l'auteur le fait qu'il m'a donné envie de relire Van Fraasen ou I. Hawking (qui depuis ont été traduits en français)... en y trouvant quelques bons arguments pour un "constructivisme bien tempéré", ce que ces auteurs n'avaient peut-être pas anticipé. Ainsi va la science... et sa philosophie : cette pseudo-introduction s'avère herméneutique...
J.L. Le Moigne.
Fiche mise en ligne le 12/02/2003