Rédigée par J.L. Le Moigne. sur l'ouvrage de COCHET Hervé : |
« Complexité en formation. Défi, diversité, dérive » Ed. L'Harmattan, Paris, 1996. 255 pages. |
Voir l'ouvrage dans la bibliothèque du RIC |
"La formation, dans son projet comme dans ses actions, est un processus vivant, donc complexe...". Ainsi s'amorce la riche et chaleureuse méditation sur la complexité en formation que nous propose ici Hervé Cochet. En reprenant ici les termes de la préface qu'il a rédigée pour cet essai, J.L. Le Moigne espère susciter l'attention d'autres lecteurs qui nous diront peut-être leurs propres méditations sur les défis... et les dérives de la formation entendue dans ses diversités.
Entendre la formation dans sa complexité, c'est bien sûr aussi proposer une formation à la Pensée Complexe ou à l'Intelligence que chacun peut se construire de la complexité de sa relation à l'autre et à l'Univers : comment conjoindre, dans la pensée et dans l'action, complexité et formation, formation de la complexité et complexité de la formation ?
C'est à relever ce défi, à le comprendre dans ses diversités et dans ses dérives, à l'interpréter dans ses devenirs qu'Hervé Cochet s'est attaché ici, nous invitant à ce réenchantement de la formation, et plus généralement je crois, de la communication, que, par lassitude peut-être, nous n'osions plus même espérer. Formation-alibi, formation-punition, forrnation-dérivatif... ? Et si nous réinventions la formation plaisir, l'auto-écoformation, celle qui ne simplifie pas d'abord sous le prétexte usé "que les gens ne sont jamais que des êtres humains" ! Ré-enchanter la formation par la pensée complexe qui lui rappelle sa chance inouïe : oui les gens sont des êtres humains, capables aussi d'aimer et d'inventer !
Exercice difficile, si difficile que les académies se sont souvent résignées à ne plus tenter de conjoindre la pensée et l'action, séparant l'enseignant qui transmet un savoir présumé bien pensé, et le formateur qui communique un art de faire présumé pertinent. Disjonction cruelle pour l'enseigné-formé, qui doit tenter douloureusement de relier le savoir et le faire, la culture et l'action, Epistémè et Pragmatiké. Il tente et souvent il y parvient, chacun sait en faire l'expérience, regrettant son impuissance à transformer cette expérience ineffable en science et en sapience.
Peut-être est-ce une méditation sur ce regret qui a incité H. Cochet à ne pas se résigner et à tenter de relever le défi de la complexité en formation ? "Défi situationnel" nousdira-t-il, pragmatique plutôt, qui incite à l'action pour comprendre afin de susciterquelque compréhension pour agir... Tresse sans fin du faire et du savoir, qui conduirasans doute son lecteur à reconnaître le défi épistémique que recouvre le défipragmatique.
Complexité en formation que révèle notre reconnaissance de la complexité de la formation. La formation contient la complexité comme la nuée contient l'orage, aux deux sens du verbe contenir : elle la porte en germe et elle en limite les débordements dévastateurs. Le ré-enchantement de la formation ne sera-t-il pas suscité par notre collective acceptation de cette "contention" ? : Plutôt que de veiller seulement à "limiter les débordements" de la Pensée Complexe, attentive à sans cesse enrichir nos représentations, ne peut-elle vouloir aussi "la porter en germe" et la cultiver ? Equilibration singulière? moins dangereuse pourtant que les mutilations simplificatrices auxquelles sans cesse contraint une formation oublieuse de "cet étrange pouvoir de l'esprit humain qui est d'inventer en reliant ce qui est séparé (ainsi G.B. Vico définissait-il "l'Ingenium" qu'il nous invitait à développer face à l"'Analyse" réductrice).
Ce ré-enchantement de la formation qu'Hervé Cochet nous propose ici avec une allégresse de plume qui enchantera souvent son lecteur, (indulgent à l'oubli qu'il sait éphémère de l'ascèse épistémologique qui assurera "l'obstinée rigueur" du discours), ne constitue-t-il pas un projet suffisamment précieux pour que nous lui prêtions attention ? Entre les cent exemples qu'il évoque dans son essai, je retiens volontiers celui de la définition du handicap (qu'il développe dans son premier chapitre) : en proposant un changement de regard, qui va de l'objet décrit (une incapacité présumée objective dans une situation donnée) au projet délibéré (un projet d'action du système présumé handicapé), il fait émerger -ou reconnaître- l'étonnante capacité du système à élaborer des "stratégies de compensation" -stratégies qui transforment, pour l'acteur concerné, sa compréhension du handicap, qui de passive et résignée, devient active et inventive.
Changement de regard qui transforme aussi le regard du formateur et le discours de la formation. L'ingéniosité de la raison "aussi puissante que rusée" disait Hegel, "a été donnée à l'homme pour savoir, c'est-à-dire pour faire" (G.B. Vico). N'est-ce pas le projet d'une formation ré-enchantée : exercer l'ingéniosité humaine pour savoir, c'est-à-dire pour faire ? La vivace et joyeuse méditation d'H. Cochet nous invite à la reconnaître : avec lui construisons ces chemins qui s'effaceront lentement derrière nos pas, comme le sillage sur la mer.
J.L. Le Moigne.
Fiche mise en ligne le 12/02/2003