Modélisation de la CompleXité
Programme européen MCX
"Modélisation de la CompleXité"

Association pour la Pensée Complexe
Association pour la Pensée Complexe
 

Note de lecture

Rédigée par J.L. Le Moigne. sur l'ouvrage de DE BANDT Jacques et DE BANDT-FLOURIOT Francoise :
« La descente aux enfers du travail : ou l'économie sens dessus dessous »
     Ed. ADST (CNRS-LATAPSES, Valbonne), 1996. 234 p.

Quelle lecture tonique. Sur la question qu'aujourd'hui nous percevons tous comme critique, dramatique, insupportable, l'irrésistible ascension du chômage dans no scivilisations, ce "risque planétaire majeur" en train de devenir une quasi certitude, tout n'avait pas été dit ! Et il y a encore des économistes-citoyens pour oser penser et dire cet insupportable et pour l'argumenter de façon convaincante : si nos sociétés ont depuis 20 ans fait "le choix du chômage", elles peuvent aussi choisir des stratégies alternatives. Si on a choisi, c'est qu'il existe des alternatives, sinon on aurait subi, sans choisir ! Et les "Rapports MINC" 1994 qui assurent, avec bien des politiques (ceux de "la pensée unique" et quelques autres), que désormais "on n'a plus le choix", ne sont peut-être pas des textes sacrés. Peut-être même professent-ils quelques nouveaux "versets sataniques" (mais nulle fatwa mortelle ne les guette ; pas même une excommunication !). C'est à méditer sur les raisons de cette apparente et perverse fatalité proclamée par nos sages, qu'ils soient politiques ou économistes, et à proposer quelques stratégies alternatives, en remettant l'économique sur ses pieds (la rente au service du travail et pas l'inverse !), que J. et F. de Bandt s'exercent ici. Avec un réel talent, une riche culture, une solide documentation, et une attention vivace aux questions d'aujourd'hui, sans s'enfermer dans les conforts usuels de l'académisme ou de la pensée unique.

Un essai roboratif, qui ragaillardit ses lecteurs-citoyens, et qui leur redonne du mordant pour résister aux tentations de la résignation : sur la crise de l'emploi, crise de civilisation, on nous a abreuvés de tant de discours et de tant de promesses qu'on a quelque mal à y penser encore. Après avoir refait cette terrible descente dans les cercles successifs de l'enfer (quelques beaux vers de Dante Allighieri nous accompagnant et nous éclairant), nous pourrons gravir "le dilettoso monte" de cette "humaine comédie" : quelques propositions pour "recentrer l'économie sur le travail... en prenant très au sérieux les ressources humaines". Ainsi revigoré pourrons-nous reprendre le livre et nous exercer à quelques lectures plus critiques, prêter attention aux manques et aux oublis, repérer les voies oubliées, refuser de réduire la civilisation et la solidarité à des images économiques... Certes. Mais je ne voudrais pas, en me prêtant au jeu des querelles d'économistes, dissuader par avance le lecteur hésitant. Bien sûr, il faudrait prêter plus d'attention aux distinctions entre le travail productif en général et le travail salarié ou contractuel ; bien sûr, il faudrait ne pas confondre le travail productif et la production de solidarités sociales ; il faudrait prêter plus d'attention aux aspects socio-culturels du travail, à la symbolique forte de sa durée, à la charge d'aliénation et d'exploitation dont il est porteur, aux vertus civiques de l'allocation universelle, du service collectif ; bien sûr il faudrait sans cesse méditer sur la complexité de l'aventure humaine qui veut toujours allier le droit à la passion et le droit à l'indifférence... Bien sûr, il faudrait méditer sur la légitimité de ces savoirs enseignables que nous produisons sur et par le travail... Mais ces réflexions épistémologiques ne seront-elles pas avivées par la méditation pragmatique à laquelle nous incite cette "descente aux enfers" ?


J.L. Le Moigne.

Fiche mise en ligne le 12/02/2003


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