Rédigée par Philippe Boudon. sur l'ouvrage de MUNTANOLA-THORNBERG Josep : |
« La Topogenèse, fondement d'une architecture vivante » Anthropos, Paris 1996, 176 pages. |
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Si l'on peut penser avec bon sens que l'architecture devrait offrir un domaine d'investigation particulièrement adapté aux recherches concernant la conception, mais caractérisé par un mutisme dont l'idée d"'espace indicible" n'est pas peu responsable, il faut se féliciter de pouvoir trouver enfin un ouvrage d'architecte praticien qui ne discourt pas sur le mode courant chez les architectes, d'une rhétorique doctrinale propre à convaincre du bien fondé de leur pratique mais qui se pose, en praticien, des questions véritablement théoriques. Certes, le praticien ici n'est pas dans la tour d'ivoire du théoricien et cherche, à travers la sémiotique des lieux, une aide à résoudre ses questions de praticien (et d'enseignant). Mais il ne craint pas le détour théorique et la complexité que celui-ci impose, dans une distance à la pratique. Face à la désinformation dont les discours relatifs à l'architecture semblent être généralement porteurs, (a-t-on pu se faire une idée véritable de la conception de la TGB, de l'Opéra de la Bastille, de la pyramide du Louvre, quand on a lu les journaux ?) qui explique pour partie sans doute le désintérêt du public pour la critique architecturale, on est ici en présence d'un effort visant une pratique qui puisse être théoriquement informée. Mumford, Ricoeur ou Barthes figurent donc à côté de Platon ou d'Aristote dans les références par lesquelles l'auteur cherche à éclairer sa propre pensée de concepteur dans une réflexion qui met en scène de nombreux exemples. Ne serait-ce que par ces exemples, le lecteur trouvera de quoi méditer sur la complexité de la conception architecturale, dans l'association qu'elle effectue entre poétique, rhétorique et typologie. On soulignera le repérage des figures de rhétorique à l'oeuvre en architecture, particulièrement intriguant (dont j'ai moi-même fait l'expérience étonnante dans des travaux d'étudiants qui n'avaient pas de mal à les illustrer de façon patente chez divers architectes contemporains) : conception littéraire et conception architecturale auraient-elles à voir ?
Mais plus largement, distinguant trois ordres de dimensions de la topogénèse : esthétiques, éthiques et logiques, c'est la conception législative et la conception architecturale que l'auteur rapproche à travers Aristote, dans un passage court (pp. 91 à 95) mais lourd de sens pour qui s'intéresse au projet. Loin de séparer esthétique, éthique,et logique, il pose (grâce à Aristote et très loin, comme il le souligne, de la position générale actuelle des architectes, ce qui en fait tout l'intérêt) le principe de leur conjonction. Du fait que "l'architecte ne construit pas ce qu'il projette, mais il ordonne le travail des autres", s'établit un parallélisme entre l'architecte et le législateur qui tous deux doivent faire preuve de cette sagesse-vertu-pratique qu'Aristote appelle "architectonique" et qui doit accompagner l'action commune qui les caractérise : projeter vers le futur. "Le législateur est mort quand on obéit à ses lois : il légifère pour le futur". Ainsi en va-t-il tout aussi bien des bâtiments qui demeurent après l'architecte, ou de la ville après l'urbaniste.
Le pont ainsi jeté par l'auteur entre conception architecturale et conception littéraire d'une part, entre conception architecturale et conception législative d'autre part, apparaissent comme des questions trop nouvelles sans doute pour qu'on y trouve toutes les réponses et leurs prolongements possibles dans l'ouvrage, mais c'est out le mérite de celui-ci que de les avoir posées.
Philippe Boudon.
Fiche mise en ligne le 12/02/2003