Rédigée par Jacques Miermont sur l'ouvrage de SALLABERRY Jean-Claude : |
« Dynamique des représentations dans la formation » L'Harmattan. Paris. 1996. |
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Dans cet ouvrage qui s'attaque à un sujet difficile et controversé, J.-C. Sallaberry affronte en effet la rude tâche de repérer la nature des représentations, de leur émergence dans les groupes de formation, de leur construction et de leurs transformations. Son projet est de proposer une conception unifiée des représentations, tant dans le champ social que psychologique, en sollicitant l'apport de la psychanalyse individuelle et groupale, de la théorie des systèmes, des sciences de la cognition. I1 cherche à concilier l'épistémologie constructiviste de J. Piaget, la théorie de l'enaction et de l'autopoïèse de F. Varela, la théorie des modèles mentaux de P.N. Johnson-Laird, les conceptions inférentielles de C.S. Peirce, la théorie des niveaux d'apprentissage de G. Bateson, les modélisations de la complexité de E. Morin, J.-L. Le Moigne, G. Lerbet, J.-P. Dupuy. La représentation est à la fois processus et produit de ce processus, création interne au sujet, modalité d'échanges dynamiques entre instances psychiques en interaction, entre personnes, entre groupes sociaux.
L'auteur propose de repérer divers types de représentations organisées sur plusieurs plans. Les représentations - images R1, à bords relativement floues, les représentations -concepts R2, qui supposent un travail d'interprétation et d'élaboration d'hypothèses, à bords nets, et les représentations composites R3, constituées de représentations R1 et R2, qu'elles coordonnent activement, et qui relèvent d'un fonctionnement de niveau logique supérieur. Sous-jacent à ces trois niveaux de représentations, J.-C. Sallaberry postule l'existence de représentations inconscientes, assurant la continuité du "bio" à la "conscience". De fait, J.-C. Sallaberry suggère l'existence de hiérarchies enchevêtrées qui manifestent l'auto-ré-organisation de ces diverses formes de représentations, au-travers des inférences déductives, inductives et abductives. Il insiste d'autre part sur l'importance de deux principes : le principe de complémentarité, tel qu'il a été exprimé en physique quantique par N. Bohr, le principe d'incomplétude des systèmes complexes, qui renvoie aux fameux théorèmes du même nom de K. Gödel. Le premier principe rend compte de la dualité onde - corpuscule des particules dites élémentaires, et des relations d'incertitude de W. Heisenberg, qui empêchent de pouvoir préciser simultanément la position et la vitesse de telles particules. La validité d'un tel principe se retrouve dans toutes les situations d'interaction où l'acte de mesure interfère avec le réel observé et le modifie. Les représentations que l'on peut faire de soi-même et d'autrui ne permettent pas de cerner simultanément un état ou une position en un point singulier de l'espace-temps, et les caractéristiques du mouvement des personnes et des groupes impliqués dans une dynamique existentielle. Le deuxième principe énonce que la consistance liée à l'autodétermination des systèmes complexes est irrémédiablement incomplète, et ne peut être validée, ou viabilisée que par des systèmes extrinsèques ou hétéroréférentiels. L'avènement du sens implique une oscillation entre événements locaux et entités globales, la prise en considération de ces dernières interdisant la référence au "grand tout" ; les singularités et les totalités s'ajustent et se différencient dans un mouvement en perpétuelle évolution, sans qu'il soit jamais possible de prétendre atteindre à une représentation exhaustive du système complexe observant-observé impliqué dans un projet de formation.
C'est dire qu'un tel ouvrage, en abordant des questions importantes, essentielles mêmes, laisse en suspens de nombreuses interrogations. La théorie des représentations ici proposée pourrait être utilement rapprochée des recherches neuropsychologiques de l'école anglaise (théorie de la méta-représentation), et de la "théorie de l'esprit" (l'inférence d'états mentaux chez soi-même et chez autrui).
La théorie de l'enaction de F. Varela mériterait d'être discutée en partant d'une conceptionde l'actuogenèse, telle que j'ai cherché à la développer à partir des travaux éthologiques de P. Leyhausen (J. Miermont, 1987). Il n'est pas sûr que la "voie moyenne" de l'enaction soit réellement compatible avec une théorie des niveaux de représentations, voire même avec le concept même de représentation, puisqu'elle prétend en faire l'économie.
Il resterait également à préciser les relations subtiles et multiples que les représentations entretiennent avec les affects : l'ajustement des émotions primaires et secondaires n'est-il pas au coeur même de l'autonomisation, de l'émergence des représentations et de la symbolisation, du déploiement de la personnalité ? En particulier, la question des motivations et des résistances au changement me semble une variable incontournable dans tout projet de formation. On ne peut accéder à des processus de deutero-apprentissage (voire à des apprentissages de niveau 3) sans accéder à des expériences confusionnantes et angoissantes. Ce n'est pas une des moindres fonctions du formateur que d'assumer des fonctions méta-transférentielles sans se laisser piéger par elles, en assurant, sur le plan émotionnel, les conditions de sécurité suffisantes qui permettent l'advenue de nouveaux systèmes de représentations R3, qui soient congruentes avec les systèmes inconscients de représentation et les stratégies émotionnelles de la personne.
Jacques Miermont
Fiche mise en ligne le 12/02/2003