Rédigée par J.L. Le Moigne. sur l'ouvrage de LORINO, Philippe : |
« Méthodes et pratiques de la performance ; le guide du pilotage » Les Editions d'Organisation. Paris, 1997. 512 pages. |
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S'il ne se présentait pas comme le "passage à l'acte" d'un "essai théorique sur le pilotage de l'entreprise" (publié en 1995 : "Comptes et récits de la performance"), peut-être ne penserait-on pas à introduire ce nouvel ouvrage de P. Lorino dans notre bibliothèque collective des nouvelles sciences de la complexité. Il assure d'ailleurs que son ouvrage est "autosuffisant" et qu"'il n'est donc pas indispensable d'avoir lu "Comptes et récits..." pour lire "Méthodes et pratiques de la performance"" (p. 13).
Ce n'est pas indispensable... mais c'est peut-être dommage pour le lecteur qui veut réfléchir aux conditions du "pilotage des organisations humaines", dès lors qu'il ne souhaite pas que ce pilotage puisse jamais être automatique ! On avait souligné l'exceptionnel intérêt et le caractère innovant de "l'essai sur le pilotage de l'entreprise" queP. Lorino avait publié en 1995 (cf. Cahier des Lectures MCX, novembre 95) : l'entreprise entendue comme un système de production de sens, que l'on puisse "raconter" : pas seulement comme un système de production de biens et services que l'on ne puisse que "décompter"... à la manière des modèles de contrôle de gestion classique. "Essai sur le pilotage", au demeurant fort pédagogiquement présenté, qui s'adressait à un lecteur dont on pariait qu'il était normalement capable d'exercer son intelligence sans avoir besoin à tout instant du "corrigé type" qui le rassurerait sur sa capacité à "améliorerla performance" : plutôt que d"'appliquer" pas à pas une méthode établie ailleurs, et avant, chercher à réfléchir, en se construisant des représentations riches, significatives, des contextes dans lesquels il intervient.
De "l'Essai" de 1995 au "Guide" de 1997, ce lecteur va-t-il pouvoir "agir de manière plus performante" (p. 16) ? Oui sans doute s'il ne s'est pas intéressé à "l'essai sur le pilotage"et s'il cherche un manuel fort bien présenté et illustré de "contrôle de gestion moderne" : si vous souhaitez renouveler le système de contrôle de gestion classique de votre entreprise, "orienté produits", pour mettre en place un système de gestion "orienté processus et activités", vous trouverez dans ce "guide du pilotage" un remarquable manuel, fort pédagogique, aussi "pratico-pratique" que faire se peut, et grouillant d'exemples simples et clairs (un peu trop simples peut-être si vous vous souvenez que votre entreprise n'est... pas si simple que cela !) : "La Méthode A.B.C." (pour "Activity Based Costing") et celle du "Target Costing", n'auront plus de secret pour vous... : on peut espérer que consultants et enseignants en "contrôle de gestion" se précipiteront sur ce manuel qui renouvelle fort brillamment l'ingénierie de la gestion des comptes de1'organisation.
Mais peut-être regrettera-t-on que ce manuel modernisé ne révèle que de façon trop discrète la conception de l'action organisée et organisante que nous proposait - et nous propose toujours - "Les comptes et récits de la perforrnance" ? Je présume que P. Lorino voulait rassurer les notables et les gardiens de la doctrine du contrôle de gestion et de la comptabilité analytique classique : il sait parler leur langage et il peut les aider à le moderniser : il y parvient fort bien. Mais ce faisant, il met peut-étre trop "son drapeau dans sa poche" ? Car si l'on peut lire "le Guide" de 1997 sans lire aussi "I'Essai" de1995, n'est-ce pas parce que "les récits" de l'essai n'imprègnent pas assez les "méthodes et pratiques" du guide ? Objection à laquelle P. Lorino nous répondra sans doute en nous invitant à faire confiance à "I'apprentissage organisationnel" (titre de son dernier chapitre) : en pratiquant ces méthodes renouvelées, les responsables des organisations ne pourront pas ne pas réfléchir sur le sens de ce qu'ils font, ce qui les incitera à lire et à méditer "les comptes et récits de la performance", méditation qui les conduira à renouveler leur conception des "décomptes", à bannir l'imputation de leur culture, et à entendre les multiples récits enchevêtrés qui disent l'aventure de l'entreprise en quête de quelques desseins... Stratégie tâtonnante qui ne réduira pas à "la seule amélioration du couple valeur-coût" ; un couple qui se prête plus aux décomptes qu'aux contes... Mais depuis que Luca Pacioli, l'inventeur (dit-on) de la comptabilité en partie double, a rencontré il y a 5 siècles exactement Léonard de Vinci, n'est-il pas permis d'espérer que l'on puisse relier les uns aux autres ?...
J.L. Le Moigne.
Fiche mise en ligne le 12/02/2003