Rédigée par JLM sur l'ouvrage de PAGELS Henri : |
« Les Rêves de la Raison. L'ordinateur et les sciences de la Complexité » Traduit de l'Américain par M. Garène. "The dreams of reason" 1988 - InterEditions. Paris. 1990. 366 p. |
Voir l'ouvrage dans la bibliothèque du RIC |
Heinz Pagel, physicien volontiers humaniste, était Directeur de l'Académie des Sciences de New York. Son statut, autant que ses dons de narrateur, contribuent beaucoup à l'intérêt "politique" de son livre : il n'est pas encore fréquent de lire des ouvrages se référant explicitement aux "sciences de la complexité". Une caution donc. Caution d'autant plus importante que ce physicien n'a pas peur de convenir de l'enjeu épistémologique de ces "nouvelles" sciences. Caution loyale, puisqu'il convient que "nous ne trouverons pas de sitôt une définition utile de la complexité des objets en tant que propriété physique intrinsèque" (p. 68). Lucidité qui ne le découragera pas dans son entreprise ; il va, avec un savoir faire pédagogique attachant, nous exposer les principales constructions que physiciens et mathématiciens ont élaborées pour interpréter ou pour s'approprier tous les phénomènes que l'on rencontre entre l'ordre cristallin parfait, et le chaos brownien aléatoire, et qu'ils proposent de tenir pour complexes : théorie du chaos, dynamique des systèmes non linéaires, simulation informatique, réseaux neuronaux et connexionisme, télématique et temps réel, etc. Puis il va proposer une mise en perspective historicophilosophique de ces développements, de Fregge à Turing, de Cantor à Brouwer, de Russel aux Bourbaki, qui nous remettra "aux prises avec l'incessante lutte morale de l'existence humaine ordinaire... On peut se permettre d'espérer" ! (p. 343344). Lecture précieuse, tant par ses talents d'exposition que par l'autorité institutionnelle de l'auteur (tragiquement décédé en 1988). Lecture qui nous conforte pourtant dans la conviction que la modélisation de la complexité ne se réduit pas à la calculabilité du compliqué. "L'imprévisibilité essentielle".., et pourtant intelligible, à laquelle nous donne accès une réflexion épistémologique sur le caractère projectif plutôt qu'objectif de la complexité, entendue comme la caractéristique du systeme observant plutôt que du systeme observé. On retrouve à peu près toutes les références de H. Pagels dans les grands textes d'E. Morin p. ex., alors qu'on ne trouve nulle référence à E. Morin dans le livre de H. Pagels... pas plus qu'on ne trouve trace des anglophones W. Weaver (pourtant le pionnier : "Science and Complexity' date de 1947), de N. Wiener, de R. Ashby, de J. Piaget, de H. von Foerster, de F. Varela, de P. Watzlawick, de tant d'autres, qui font progresser les théories de l'autoécoorganisation, et de la cognition au service de l'intelligence de la complexité. Un excellent outil sur nos tables de travail dès lors que l'on tient ces théories algorithmiques pour de fécondes heuristiques potentielles dans nos exercices de modélisation de systèmes complexes... et qu'on le tient pour une caution initiale, une sorte de carte d'entrée, dans les académies naturellement retirées aux irréductibles sciences de la eomplexité.
Fiche mise en ligne le 12/02/2003