"Organisation Intelligente et Système d'Information Stratégique" est un ouvrage collectif d'actualité sur un thème d'actualité. Si l'actualité des systèmes d'information n'est plus à démontrer à l'heure où l'informatique devient omniprésente et traite de plus en plus une information qualitative et non seulement des chiffres, celle de l'Organisation Intelligente, thème confidentiel il y a quelques années encore, vient de sa diffusion récente dans les milieux managériaux confrontés à la complexité croissante des environnements internes et externes.

Mais au-delà de l'opportunisme bienvenu du thème, c'est bien entendu le contenu qui est à remarquer, et d'abord l'actualité du bilan sur les réalisations et les limites de l'informatique. Un bilan qui n'hésite pas à s'appuyer sur des conclusions du Bureau des Sciences et des Technologies Informatiques du Comité National de la Recherche des Etats-Unis ; et un bilan qui, rédigé par J.-L. Le Moigne, lui-même initiateur important de la création des méthodes MERISE, doit nous faire réfléchir quand il nous annonce le besoin d'une nouvelle étape, prenant mieux en compte les différentes dimensions de l'insertion des systèmes d'information dans les organisations, parmi les individus qui les composent.

Et c'est dans cette réflexion sur les fondamentaux épistémologiques, liant comme l'annonce la quatrième de couverture, intelligence individuelle, intelligence organisationnelle et systèmes d'information, que se situe l'apport principal de ce volume.

Là, la multi/trans/inter/.../disciplinarité prend tout son sens, et l'on comprend pourquoi le sujet nous amène à reprendre l'équilibration entre assimilation et accommodation selon Piaget, la rationalité procédurale de H.A. Simon, les agents de Minsky et beaucoup des fondamentaux chèrement acquis au cours du dernier demi-siècle de recherches sur l'intelligence, la décision, l'information, les organisations, l'apprentissage... De ce point de vue, le plaidoyer pour la formalisation d'un paradigme inforgétique prend tout son sens, et on y verra tout autre chose qu'un de ces mots nouveaux qui fleurissent comme l'expression d'autant de modes managériales éphémères.

Mais il faut également parler de l'actualité des parties suivantes, pour dire tout à la fois l'intérêt des cas présentés en illustration, car ils donnent une idée des réalisations d'aujourd'hui, et l'actualité de leur relatif décalage par rapport aux fondements présentés. Il y a loin de la théorie à la pratique, et on le retrouve ici, avec des exemples concrets à dominante cognitiviste et formaliste, où le récit de l'ingéniosité humaine en action prônée en début d'ouvrage, on pourra le regretter, n'apparaît guère. Une carence bien compréhensible si l'on pense qu'il est toujours plus facile de traiter les circuits, même extraordinairement compliqués, de l'information, que d'aborder le réseau humain avec ses jeux de pouvoir, ses dimensions affectives, et tout ce qui fait l'irréductible complexité des agents humains. Il est sans doute intéressant, de ce point de vue, de reprendre les premiers chapitres après avoir lu l'ensemble pour imaginer ce que pourraient être d'autres tentatives de mise en oeuvre des fondamentaux présentés.

Au total, un livre qui informera les acteurs de l'entreprise (managers, consultants, syndicalistes...) et stimulera leur réflexion sur une thématique dont l'importance pour l'avenir n'est plus à démontrer... et qui pourrait un jour dépasser largement les frontières de l'entreprise où elle s'impose aujourd'hui : une démocratie n'est-elle pas une organisation qui a besoin d'intelligence, et n'aurait-elle pas l'usage de systèmes d'information ?

Pascal Burguière