Rédigée par J.-L. Le Moigne. sur l'ouvrage de WAGENSBERG : |
« L'âme de la méduse, idées sur la complexité du monde » Edition du Seuil. Paris 1997. 171 pages. |
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Félicitons d'abord l'éditeur (la collection "Science Ouverte") puis étonnons-nous : comment se fait-il que cette "pièce de musée" (l'auteur est le célèbre directeur du remarquable musée des sciences de Barcelone), qui date de 1985, soit restée si longtemps ignorée de nos bibliothèques de langue française consacrées aux nouvelles sciences de la complexité ? En 1985 l'ouvrage était manifestement original, même s'il ignorait les deux premiers tomes de "La Méthode" d'Edgar Morin (publiés en 1977 et 1980) : sur l'intelligibilité de la complexité du monde, les méditations des physiciens étaient encore bien rares . surtout lorsqu'elles se voulaient "modestes". Peut-être est-ce pour cela que ce livre (écrit en espagnol) est traduit 3 ans après la traduction française de "Le quark et le jaguar" de M. Gell-Mann, qui parut en anglais en 1994 (cf. le Cahier des Lectures MCX n° 11).
Confessons que sur le fond proprement scientifique, (ce que l'on attend
habituellement d'un physicien), nous n'apprendrons plus grand chose en lisant
ces "idées sur la complexité du monde" :
thermodynamique et théorie de l'information ont été
suffisamment popularisées depuis 13 ans
et Prigogine comme Shannon
ont cautionné, souvent à leur insu, bien des discours,
pédants ou non, sur la complexité. En revanche le lecteur sera
souvent sensible à l'attention épistémologique diffuse
des réflexions de J. Wagensberg : quelques formules au fil du
texte illustreront l'argument.
"Répondre est un processus d'adaptation, questionner, un acte de rébellion". "L'essence des choses réside davantage dans leur forme que dans leur matière". "L'inquiétude (est) l'élément moteur, le stimulant, un acte de rébellion". "Entre le scientifique et le philosophe, ne pas oublier un troisième acteur : le citoyen".
"... Le chapitre consacré à "la simulation de la complexité" réjouira les praticiens de la "modélisation de la complexité" même s'ils regrettent que l'auteur, ait selon l'usage positiviste, fait l'impasse sur la modélisation. (Comment concevoir les modèles que l'on simule si brillamment ?).
C'est surtout le chapitre consacré à "l'art, une manière
de connaître la complexité" qui, je crois, retiendra aujourd'hui
notre attention : il propose un "principe de
communicabilité de complexité intelligible" qui ne doit
peut-être pas être réservé à l'art mais
dont la légitimité épistémique me semble très
aisée à argumenter en le couplant au principe
d'intelligibilité que revendiquent désormais les citoyens
(lesquels contestent le monopole de propriété que s'attribuent
les institutions scientifiques).
En un mot du grain à moudre pour nos réflexions épistémologiques et pour oxygéner nos cultures. Occasion pour nous, puisque l'auteur ne le fait pas assez, d'assimiler ses "idées" en les émulsionnant dans le bouillon de culture du "paradigme de la complexité".
J.-L. Le Moigne.
Fiche mise en ligne le 12/02/2003