La confiance est un thème à la mode. De nombreux best-sellers le démontrent (en France : Peyrefitte A. "La société de confiance", aux Etats-Unis : Fukuyama F. "Trust. The social virtues and the creation of prosperity") et également différents débats qui se sont déroulés dans les dernières années dans divers contextes culturels : science des systèmes, science du risque, politique, histoire, économie.

La confiance est l'espérance d'un comportement prévisible et coopératif qui naît à l'intérieur d'un groupe, c'est-à-dire une caractéristique de l'interaction entre les personnes. Dans le passé sa considération était confinée au domaine de la morale individuelle. Aujourd'hui on commence à attribuer à la confiance ou au manque de confiance le bien-être ou le manque de bien-être, le succès ou l'insuccès, la créativité ou à la stérilité d'une quelconque micro-société : famille, groupe, entreprise.

Dans les dernières années l'attention sur les micro-sociétés s'est intensifiée pour plusieurs raisons. La désillusion des grandes systèmes idéologiques interprétatifs de l'histoire a poussé à chercher sur une échelle plus petite les sources des problèmes de la vie en commun : échelle à laquelle les ruptures de communication, les exclusions, les conflits élémentaires se manifestent. Dans une économie toujours plus compétitive, la vitalité des micro-sociétés comme les entreprises, a acquis une importance toujours plus grande. Enfin, devant un "état providence" partout en crise, la créativité des groupes spontanés, le fameux troisième secteur, devient un facteur déterminant de la cohésion sociale.

Des historiens et des économistes comme Peyrefitte et Fukuyama ont effectué, indépendamment, en partant d'une optique substantiellement micro-sociale, un saut fascinant du micro au macro. c'est-à-dire de l'interaction à l'intérieur du groupe de personnes, à l'histoire des peuples, à la macro-économie, en proposant une théorie culturelle du développement centré sur le paramètre confiance.

Le Cardinal, Guyonnet et Pouzoullic en se mettant dans l'optique micro-sociale, ont essayé au contraire d'approfondir les mécanismes de base du fonctionnement des micro-sociétés, en mettant en évidence dans la confiance la "variable de l'état" qui décrit le mieux la dynamique des groupes interactifs et qui permet ainsi de mieux les piloter.

L'appareil formel, très lucide et efficace auquel font appel ces auteurs pour représenter les systèmes interactifs est dérivé des théories de l'agir communicatif de Watzlavick et Habermans et des théories de simulation des jeux.

Les micro-sociétés auxquelles ils se réfèrent sont les cellules élémentaires d'une société moderne, dans laquelle interagit la triade : moi, l'autre et la machine (nous entendons par machine "les objets physiques" et en même temps les acteurs et le produit de la dynamique interactive). La machine est importante parce qu'elle est le composant qui détermine la réflexivité typique de la condition sociale moderne.

Le livre, sous cet aspect, né dans une ambiance culturelle à tendance technologique et dans un but de mise en pratique, stimule aussi à la réflexion théorique sociologique et philosophique sur la nature des systèmes sociaux modernes, qui sont toujours dans quelque mesure "techno-sociaux" et comme tels réflexifs, auto poïétiques.

Quelle contribution ce livre peut-il offrir à la compréhension et au réglage des systèmes complexes?

Si la complexité est le résultat d'une répétition récursive de phénomènes micro qui génèrent des scénarios macro, nous pouvons dire que ce livre nous rappelle l'importance de la compréhension des mécanismes micro-sociaux. Importance liée au fait que, à cette échelle, l'expérimentation est accessible, une formalisation plausible est disponible et de ce fait rend possible une recherche scientifique des déterminants principaux des comportements des systèmes.

Le livre présente des exemples et des métaphores éclaircissants (la métaphore de la douche, la métaphore du carrefour européen, le dilemme du prisonnier) et propose à la fin une méthode, expérimentée par les auteurs, pour construire un réseau de relations coopératives à l'intérieur d'un groupe.

Ce livre peut être considéré comme une étape courageuse et importante, plus qu'une conclusion. Il stimule en effet à donner une réponse à d'autres questions, par exemple : comment tenir compte du caractère auto référentiel des systèmes micro-sociaux, comment affronter le problème de la confiance dans les systèmes d'interaction virtuelle (problème important dans une société qui s'appuie de plus en plus sur la communication via Internet), quel est le rôle que joue l'ordinateur dans la coopération et donc dans la confiance, par quels indicateurs peut-on mesurer la confiance.

On peut s'attendre que les auteurs accepteront le défi de ces questions en contribuant à garder ouvert le débat sur la confiance.

J. Volta

Centre Commun de Recherche

CCR - CE - ISIS

Ndlr : Nous avons reçu une autre note de lecture de l'ouvrage de G. Le Cardinal, J.­F. Guyonnet et B. Pouzoulic que nous publions ci-après.

LE CARDINAL Gilles, GUYONNET, Jean-François , POUZOULLIC, Bruno

La Dynamique de la confiance

Dunod. Paris. août 1997. 244 pages

A côté des techniques managériales classiques, des savoir-faire légitimes et des compétences nécessaires, il est pour toute entreprise, quelque chose d'indispensable, mais qui ne se décrète pas par simple déclaration d'intention. Naturelle et allant de soi quand elle est établie, sa carence compromet gravement le succès des projets collectifs les plus modestes : la confiance et sa dynamique spécifique, tel est l'objet de ce livre à la tonalité nouvelle. L'approche conceptuelle rigoureuse et la mise en situation dans l'entreprise de ses enjeux majeurs n'en est pas la moindre de ses originalités. Alliant les développements théoriques (sur la communication, le couple contrat/confiance, les mécanismes de construction de la coopération dans les projets complexes ...) aux exemples parlants et aux images dont les symbolismes sont particulièrement féconds pour l'intelligence des situations évoquées, ce livre ne se contente pourtant pas d'analyser des faits. Il propose une méthode inédite pour aider un groupe aux intérêts variés et contradictoires mais rassemblé par un projet commun comme l'est l'entreprise, l'établissement scolaire ou l'association, à grandir dans l'intelligence globale qu'il a de sa situation complexe. Comment ? En permettant à chacun des acteurs en interaction d'expliciter méthodiquement ses peurs, attraits et tentations dans une situation définie. C'est la méthode "Peurs-Attraits-Tentations en miroir" (PAT-Miroir) inventée par les auteurs, fruit de leur coopération réussie !

Ainsi, chaque partenaire dans l'entreprise (et pas seulement les dirigeants) est invité à coopérer activement pour inventer ensemble les actions pertinentes et adaptées aux projets définis en synergie. Il s'agit de baliser précisément un chemin qui stimule les motivations profondes et favorise l'engagement dans la confiance de tous les acteurs du projet. Une centaine d'entreprises et organismes ont déjà tenté l'aventure. Ces exemples d'application soulignent la pertinence de la méthode préconisée aussi bien en termes d'efficacité pratique que d'amélioration du climat relationnel. Comme toute méthode, sa mise en oeuvre suppose d'en prendre le temps ... mais les résultats sont étonnants ! En outre ce livre rassemble dans une présentation simple et accessible des approches contemporaines variées, contribuant à formaliser une modélisation des processus complexes, comme peut-être celui de la communication des différents partenaires au sein d'un projet commun. Avec la méthode qu'il préconise, il constituera un outil précieux pour tout responsable soucieux d'instaurer un climat dynamisant fait de confiance et de coopération inventive dans le groupe dont il a la charge.

François de Muizon

Directeur de la revue Tychique