Rédigée par Gilles Le CARDINAL sur l'ouvrage de MONROY Michel et FOURNIER Anne : |
« Les figures du conflit » (Préface de J.-L. Le Moigne), PUF, Le Sociologue, 1997. |
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A celui qui veut choisir la coopération et accepter les efforts qu'elle exige, à celui qui veut apprendre à distinguer les fonctions réorganisatrices d'un conflit, de ses fonctions destructrices des personnes et des institutions, il faut recommander la lecture de "Figures du conflit".
Michel Monroy, psychiatre, et Annie Fournier, historienne, nous y proposent des réflexions hautement salutaires fondées sur une série de récits de conflits exemplaires. Chacun pourra reconnaître dans ces histoires, familiales et professionnelles, des épisodes de sa propre vie et bénéficier de la modélisations systémique qu'ils en proposent tout au long du livre.
Ayant laissé de côté les explications classiques des conflits, "la plus banale des activités humaines et peut-être aussi la plus complexe", les auteurs nous proposent de poser un regard neuf et acéré, non dénué d'un humour nourri aux paradoxes.
Nous découvrons, avec leur aide, que le conflit remplit des fonctions essentielles, utiles à connaître, qu'il possède une dynamique propre, difficile à conduire enfin, qu'il échappe le plus souvent au contrôle de ses protagonistes.
Car si on engage volontairement un conflit avec de bonnes raisons et avec des espoirs précis, faire capituler l'adversaire voire l'éliminer du champ, restaurer son droit, son identité, sa légitimité, on en reste rarement le maître. Plus d'un s'y sont faits littéralement engloutir corps et bien.
D'un contexte initial où s'entremêlent rancunes, rivalités, intérêts divergents, idéologies incompatibles, un événement peut déclencher le feu aux poudres : agression, faute, erreur, transgression, offense vraie ou supposée. Les réactions ne se font pas entendre et le conflit s'installe alors, puis s'amplifie et enfin s'autonomise.
Parce que le conflit remplit un certain nombre de fonctions précises :
- révéler les contradictions cachées, présentes dans le système humain considéré :
en ce sens, il informe ;
- sortir les acteurs de l'inertie et contribuer à les mobiliser dans un camp :
en ce sens, il réveille et met en mouvement ;
- remettre en cause l'ordre ancien et permettre une réorganisation en détruisant au passage les coquilles vides :
en ce sens, il vérifie la solidité des structures et nettoie le terrain de ses cadavres ;
- faire chuter une complexité devenue difficile à vivre en une opposition confortable du bon et du mauvais, du bien et du mal, des amis et des ennemis :
en ce sens, il simplifie.
C'est alors que nous sommes conduits à choyer cette irremplaçable ennemi dont nous avons un étrange besoin pour structurer notre vie relationnelle et professionnelle.
Si quelques traitements du conflit sont passés en revue comme pour ouvrir des portes, de la psychothérapie aux différentes méthodes systémiques pour aboutir à la thérapie familiale, l'originalité du livre est ailleurs : dans ce double regard du psychothérapeute et de l'historienne qui repèrent les invariants dans les conflits, qui proposent une modélisations systémique qu'ils appliquent à des situations et des environnements variés. Alors nous comprenons mieux nos comportements apparemment irrationnels qui visent en effet à rendre lisible et simple une situation à nos yeux illisible et complexe, justifier des choix injustifiables, à garder la face en invoquant des valeurs universelles.
Si un conflit se construit avec méthode, ses protagonistes qui en sont les architectes, les bâtisseurs et les organisateurs, peuvent finir pour en devenir les jouets et les victimes.
La lecture de ce livre, ciselé en dentelle, nous aide à construire de meilleures représentations des structures et des processus à l'uvre dans les conflits potentiels ou actualisés et à être plus lucide sur les comportements et les stratégies qui s'y développent.
Gilles Le CARDINAL
Fiche mise en ligne le 12/02/2003