Rédigée par J.-L. Le Moigne sur l'ouvrage de ARCADE : |
« Articuler Prospective et Stratégie. Parcours du stratège dans la complexité » Editions Futuribles International, Paris, mai 1998. Etude n° 8. 88 pages. |
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Méthodes analytiques, qui demandent d'abord "la délimitation", le "recensement le plus exhaustif possible", l'ordonnancement homogène..., et qui permettront (par quelle magie ?) "d'identifier les facteurs-variables constitutifs de la problématique", afin de "les classer et trier"... Méthodes auxquelles on donnera vite des noms de code pour rassurer le lecteur : la matrice des stratégies d'acteurs s'organise par la méthode MACTOR, celle des scénarios par l'outil MORPHOL, etc. Après avoir ainsi appris tout ce qu'il faut savoir sur "l'élaboration analytique des profils stratégiques consistants", ce lecteur pourra, enfin, lire 6 lignes (§ 2.1.5. !) sur "l'imagination créatrice", la "démarche analytique" ne devant (quand même) pas complètement "gommer l'originalité... de solutions préconisées" (par qui, et pour quoi ??). Démarche analytique qui se donne bonne conscience en assurant, § 1.3.1., qu'elle fournit une "représentation systémique du contexte de l'action" qui recouvre une classique décomposition en "domaines issus de l'analyse structurelle" que l'on appellera désormais "sous-système"... sans s'interroger bien sûr sur les fonctions de ces systèmes. En un mot, on part de l'hypothèse que le prospectiviste comme le stratège peut toujours réduire un phénomène qu'il perçoit fort compliqué en le décomposant logiquement en longues matrices carrées de composants "tout simples et faciles", matrices qu'il suffira de baptiser système pour rassurer le lecteur qui cherche à comprendre. Si ça ne suffit pas, on remplacera "pilotage" par "guidance" et "efficacité" par "effectivité" (on change les mots, par leur contenu !), et le tour sera joué.
Que l'on nous entende bien : trop de spécialistes honorables et consciencieux s'attachent à ce discours (qui n'a guère changé depuis 25 ans) pour qu'on le déclare incorrect : s'il leur plaît de le tenir, pourquoi faudrait-il les en empêcher ? Mais nous pouvons leur demander de nous aider en ne mettant pas ce "vieux vin de l'analytique et de la réduction de la complication dans les outres neuves de la modélisation systémique et de l'intelligence de la complexité". Nous pouvons leur demander aussi de ré-expliciter les fondements épistémiques (fort positivistes et platoniciens) auxquels ils se réfèrent, pour qu'en nous servant de leurs jolies méthodes, nous puissions nous souvenir qu'elles sont faites pour résoudre des problèmes que nous ne rencontrons peut-être pas. Et nous devons enfin leur demander de ne pas monopoliser à leur profit les institutions de la République (ou de la Communauté Européenne) : la caution éditoriale du Commissariat Général du Plan et de la DATAR est trop explicite ici pour être innocente. (Ah ! Quil est lointain le temps où la collection que la DATAR éditait dans une série du même nom que celui de cette étude : "Travaux et Recherches de Prospective", un des grands textes d'Yves Barel qu'on a toujours envie de faire relire à nos experts en planification stratégique et territoriale ! Le n° 14, publié en mars 1971, s'intitulait "Prospective et analyse de système" !).
Peut-on leur suggérer une veine alternative ? Pour articuler prospective et stratégie, "travaillons à bien penser" (Pascal), et souvenons-nous que "dans la nature, tout est fin et réciproquement, moyen". C'est sur ces arguments que "se construit sans cesse", en marchant, le chemin du "Programme Européen Modélisation de la Complexité".
J.-L. Le Moigne
Fiche mise en ligne le 12/02/2003